Paris libéré… de nous
La limitation à 30 km/h dans Paris est l’aboutissement du processus d’enfermement de la capitale sur elle-même. La question n’est plus la vitesse à laquelle y rouler, mais d’y rouler ou pas. J’ai choisi la deuxième option.
Pas facile le 30 km/h, mais on s’y fait et il faut bien reconnaître que la mesure était nécessaire. Parmi les trottinettes électriques et les vélos, entre les piétons qui traversent - moi le premier - où bon leur semble, le 50 km/h avait quelque chose d’insensé. Et d’ailleurs, les occasions d’y rouler se faisaient rares en dehors de quelques grands axes aux rares moments de fluidité et je ne pense pas que les temps de trajet en soient allongés.
Alors, on change ses repères, on ne passe plus la troisième, au début, on a le sentiment de se traîner lamentablement puis, très vite, celui d’être à la bonne vitesse : ne plus débouler à 14 mètres/seconde aux carrefours, ni dépasser un cycliste ou un patineur avec 40 km/h de mieux. Après tout, le véhicule adapté à la ville, c’est le leur et circuler à 30 donne une forte conscience de l’absurdité de déplacer ici un engin capable de pointer à plus de 180.
D’ailleurs, une fois revenu en banlieue, on se surprend à ne plus dépasser les 50 km/h.
La vitesse est décidément une sensation dont on se désaccoutume autant qu’une donnée physique. De même qu’en reprenant le volant après un après-midi de randonnée ou en prenant l’autoroute après 50 km de départementale, on peine à atteindre la vitesse légale, après une demi-heure dans Paris, 50 km/h en ville me semble une folle allure.
Ça, c’était pour mon côté pas trop ronchon, urbain, policé…
2001, l’odyssée de l’Espace
Mais pour être franc, ce grand ralentissement me chaut d’autant moins que je ne mets plus qu’occasionnellement les roues de ma moto dans la capitale, guère plus souvent les pieds et la voiture strictement jamais. Ce que je vous en dis plus haut, je le tire de deux trajets à moto en trois semaines.
Car Paris, je le bordure par le périphérique ou l’A86, de banlieue à banlieue, et n’y pénètre plus que contraint et forcé et jamais trop profondément pour y voir un de mes rares copains ou interlocuteurs professionnels pas encore émigré en première ou deuxième couronne. Les six premiers arrondissements, je les ai perdus de vue il y a longtemps. Je ne connais plus personne qui y habite. Et très peu dans les quatorze autres.
Il y a vingt ans, comme beaucoup de proches banlieusards ma vie se déroulait dans Paris : travail, cinéma, théâtre, restaurants, librairie, habillement et même la révision de la moto…
Il y a 20 ans, en 2001, Bertrand Delanoë était élu à la mairie de Paris et très vite s’attaquait à la voiture en réduisant ses voies pour créer d’énormes couloirs à autobus bordés d’un muret de béton. Résultat, des bouchons spectaculaires mais il faut reconnaître que les bus circulaient mieux – disons moins mal - et qu’on ne pouvait laisser indéfiniment augmenter le trafic automobile.
De fait celui-ci entamait enfin sa décrue à mesure que diminuait l’espace qui lui était dédié. Le cadre sup’ partant au boulot seul dans son Renault Espace avait mangé son pain blanc ; il descendit dans le métro dont la fréquentation augmenta de 25 % entre 2000 et 2011. Ou grimpa en selle.
Il y a 20 ans, le grand boom de la 125
À cette époque, rédacteur en chef d’Auto-Moto, je me suis fait plein de nouveaux amis qui me demandaient quelle petite moto ou scooter acheter et si j’avais « des prix »… La 125 dont le marché explosa alors littéralement en île de France fut ce que la RATP appela dans un rapport sur la congestion de ses bus et rames « la variable d’ajustement des transports parisiens », la solution qu’adoptèrent des dizaines de milliers de franciliens, allergiques aux transports en commun (c’est mon cas) ou n’en ayant pas une utilisation commode (idem).
Partout, des haies de scooters témoignaient de l’avènement d’un nouveau mode de transport qui n’était plus l’apanage des seuls coursiers mais de tous ceux qui avaient un besoin impérieux de se déplacer. Et même de plus en plus impérieux car c’est sous cette mandature que débuta le boom sans fin de l’immobilier parisien et avec lui le grand exode des classes moyennes et des familles qui n’avaient plus les moyens du Paris Intra Muros et du métro à dix minutes à pieds.
Qu’importe, première ou deuxième couronne, à condition de renoncer à la voiture et de ne pas craindre la pluie, on pouvait encore se rendre facilement dans Paris, s’y distraire, y consommer et surtout y travailler sans s’inquiéter du dernier train ou métro. Dans la même après-midi, sur ma bécane, je pouvais tomber trois interviews d’une heure à des kilomètres de distance et repasser au journal avant d’aller me faire une toile à Odéon.
Sans y habiter, j’étais chez moi à Paris, y effectuais 90 % de mes achats, y avais ma vie sociale et professionnelle.
Une ville en forme de donut
Vingt ans plus tard, je n’y fais plus rien, n’y dépense plus rien, hormis de rares escapades le dimanche et de rares déjeuners où j’arrive invariablement en retard, moteur bouillant, suant sous le casque et jurant qu’on ne m’y reprendra plus.
Aujourd’hui, comme la plupart de mes relations, j’habite une drôle de ville en forme de donut, avec au milieu une zone quasi interdite où je ne pénètre qu’avec circonspection.
Car même à moto, coincé sur une chaussée rétrécie à coups d’élargissement de trottoirs, de mobilier urbain, de chantiers sans fin et de pistes cyclables, j’ai découvert à mon tour les joies du surplace. Dans un nombre sans cesse croissant de rues, il n’est plus physiquement possible de remonter les files. À moins de prendre la piste cyclable. Et une fois rendu, je fais des tours de pâté de maison pour me garer, le stationnement sur trottoir n’étant plus toléré et les places moto (qu’il faudra bientôt payer) étant invariablement saturées.
Après l’auto, la moto, le dernier véhicule à moteur capable de venir de Pontoise, Versailles ou Argenteuil à Paris est en train d’être chassé des rues.
Sans doute une excellente nouvelle pour la propreté de l’air, mais probablement une moins bonne pour l’activité économique.
Parfois, j’ai l’impression que ce n’est pas contre la pollution que lutte la mairie de Paris, mais contre la locomotion individuelle, contre ceux qui refusent de descendre sous terre et de monter dans la rame.
Car il n’y a plus que deux façons raisonnables de se rendre dans la capitale de son pays et d’y circuler : à vélo si l’on n’habite pas trop loin ou debout dans un wagon pour la plupart des autres. Dans les deux cas, en y perdant un temps considérable et en renonçant à une partie de sa liberté, pardon pour le gros mot.
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