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Permis B, un centenaire qui bizute les jeunes

Dans Pratique / Autres actu pratique

Jean Savary , mis à jour

Le permis de conduire vient d’avoir cent ans. De plus en plus longue, coûteuse et complexe, son obtention est devenue le grand bizutage de la jeunesse. Sans aucun effet sur la mortalité des conducteurs novices.

Permis B, un centenaire qui bizute les jeunes

Des décennies que je lis et entends que la formation au permis B coûte trop cher, qu’il est un frein à l’emploi et à la mobilité des jeunes, que son taux de réussite (58 % en 2022) est étrangement 30 points inférieur à celui du baccalauréat et qu’il faut des mois pour le repasser après un échec.

Des décennies que les gouvernements le réforment à hue et à dia. À hue, durcissement et sophistication de la formation quand on se rappelle que les jeunes pèsent deux fois plus lourd dans les victimes de la route que dans la population. À dia, simplification et assouplissement quand le taux d’échec grimpe tellement que le coût de la formation et les délais d’obtention s’envolent.
Tout cela en vain, le pourcentage de jeunes conducteurs débutants tués n’a jamais varié : leur nombre évolue parallèlement au total des victimes de la route au gré des mesures préventives et répressives, et représente toujours un bon quart des tués sur la route pour un huitième de la population. Et le prix moyen du permis n’a cessé de grimper.

Au fond, de la même manière bien française que nous avons de créer et empiler des lois au vent de l’air du temps et au fil de l’actualité, sans nous demander pourquoi la précédente n’était pas appliquée et encore moins comment la suivante pourra l’être, nous bidouillons la formation et l’examen du permis sans nous demander à quoi servent vraiment ses complications ni si ce calvaire est vraiment indispensable. À croire qu’il est inscrit dans la constitution.
Il y a pourtant de quoi s’interroger.

Sous la pression de l’Europe

Permis B, un centenaire qui bizute les jeunes

Personne pour relever que dans les années 70 et 80, quand la grande majorité des jeunes hommes le passaient gratuitement pendant le service militaire, et l’obtenaient presque tous en trois coups d’embrayage et un tour de caserne, ils ne se tuaient, en proportion, pas d’avantage qu’aujourd’hui ?
Dans tous les pays développés, quelle que soit la sophistication de l’apprentissage, que l’examen soit une épreuve ou une simple formalité, les conducteurs novices se tuent deux fois plus que les autres.
L’exemple de la Grande-Bretagne est particulièrement frappant. Il n’y a pas si longtemps, on y apprenait à conduire avec Papa ou Maman, Tonton ou Tata, avec un grand L (Learner = apprenti) collé devant et derrière la voiture, les moniteurs étaient rarissime, l’examen réduit à sa plus simple expression, et cela n’empêchait pas le pays d’être un modèle mondial de la sécurité routière. Puis, au début des années 2000, pour se conformer aux règlements européens, le Royaume a dû adopter des examens théorique et pratique qui ont imposé de fait le recours à un moniteur certifié. Résultat ? Aucun, la mortalité des jeunes conducteurs mâles a même légèrement augmenté les premières années suivant la réforme.
Plus éloquent encore, en Belgique, jusqu’en 1967, on pouvait conduire sans le moindre permis, puis jusqu’en 1969 l’obtenir sans le moindre examen et enfin, jusqu’en 1977, se contenter d’un examen théorique avant que l’Europe n’impose son processus. Avec une telle absence de résultats probants que depuis quelques années, le pays s’est de nouveau autorisé quelques libéralités. Comme la conduite « non accompagnée » qui autorise, après quelques cours en auto-école, un jeune à conduire seul. Ou, s’il est accompagné, sans avoir pris la moindre leçon. Cela n’a pas rendu les routes belges plus dangereuses que les nôtres.

Le permis américain pour moins de 100 $

Permis B, un centenaire qui bizute les jeunes

En dehors de notre continent, et particulièrement dans le monde anglo-saxon, le permis est le plus souvent une simple formalité.
Aux États-Unis, dans la plupart des états, il s’obtient entre 14 et 17 ans sans, le plus souvent, passer par l’auto-école : apprentissage sur le web du Code de la route, QCM basique que l’on tente autant de fois que nécessaire pour quelques dollars puis, souvent le même jour, l’épreuve de conduite qui se résume à quelques manœuvres basiques sur un parking au volant de sa propre voiture, sans que l’examinateur se donne toujours la peine de monter à bord. Coût total, moins de 100 €.
Idem en Australie et au Canada mais n’allez pas croire que les Anglo-Saxons ne prennent pas soin de leurs jeunes conducteurs : si le permis y est quasiment donné, dans de plus en plus d’États, il est progressif, imposant quelques mois de conduite exclusivement diurne, sans passagers étrangers à la famille et avec un rayon d’action limité.

Les méfaits du pédagogisme

En France, la plupart des spécialistes de la sécurité routière admettent que l’on pourrait diviser par quatre la difficulté de l’examen et conséquemment le coût de la formation sans provoquer une hécatombe.
Alors, pourquoi notre permis demeure-t-il si difficile à obtenir ?
À cause du « pédagogisme », un mal très français qui a, entre autres méfaits, démoli l’orthographe et la syntaxe de millions de jeunes français à coups de conjonctions de subordination, groupes pronominaux et adverbiaux, compléments circonstanciels, subordonnées conjonctives, propositions relatives, appositions, superlatifs absolus et autres barbarismes inconnus des plus de 50 ans, ceux qui écrivent sans trop de fautes.
Avant cette atroce scientifisation de la langue, l’écolier ordinaire ne confondait pas « que » et « dont » et savait débuter une phrase autrement que par « du coup ». Il ne distinguait pas le groupe nominal mais savait quand écrire un verbe à l’infinitif ou au participe passé, en le remplaçant par « vendre ». Exemple : l’oiseau a été mangé par le chat - pardon, pour cette phrase traumatisante – donne : l’oiseau a été vendu par le chat. Et comme le sifflait inlassablement ma prof, si c’est venduuuuuu, c’est donc un « e » avec accent aiguuuu. Si c’est vendrrrre, c’est forcément un e avec un RRRR. Quand j’ai donné (et non donner) cette astuce au jeune instit de mon fils, il m’a regardé comme si j’avais inventé le moteur à eau.

Comment faisaient les taxis de la Marne ?

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Pardon pour cette digression, mais elle n’est pas gratuite. De même que parler et écrire le français a été transformé en une mathématique absconse et vaine qui ravit le grammairien, conduire une bagnole est, pour les pédagogues qui sévissent à la Sécurité routière, « une tâche complexe qui doit mobiliser tout à la fois stratégies, connaissances, valeurs sociales, prises de conscience et collaborations », ce sont eux qui l’écrivent.
Autrement dit, pas un truc facile à apprendre, à se demander comment faisaient les taxis de la Marne vu qu’en 1914, le permis n’avait pas été inventé.
C’est pourquoi, en plus de savoir déjouer les pièges des questions vicieuses et de ne surtout pas en chercher dans les questions niaises, de traduire avertisseur sonore par klaxon et intersection par croisement, de bien distinguer les nuances entre pouvoir, falloir et devoir, le candidat au permis doit connaître la longueur du réseau autoroutier français et la participation du parc automobile aux émissions de CO2. Et une fois au volant, démontrer à l’inspecteur qu’il a une haute conscience des enjeux environnementaux, du vivre ensemble et du partage de la route par une conduite qui ne soit pas seulement prudente et respectueuse d’autrui, mais aussi stratégique, écologique et collaborative.

Le conducteur étranger est extrêmement dangereux !

Ne nous plaignons pas, tous les apprentis conducteurs d’Europe suivent la même formation - disons plutôt éducation - qui vise à faire émerger une nouvelle race d’automobiliste intellectuellement et moralement modifié qui aura conscience des enjeux sociétaux, environnementaux, juridiques et techniques en lien avec l’acte de déplacer un véhicule sur la route en actionnant des pédales et un volant.
Le chemin est encore long si l’on en croit les rapports des colloques internationaux où, à coups de concepts brumeux, les éminences qui gouvernent le programme des autos-écoles du vieux continent se tirent la bourre.

Hélas, ils n’ont aucune influence en dehors de nos frontières et il faut se rendre compte du danger insensé que nous font courir les conducteurs de ces dizaines de pays lointains dont les permis sont reconnus par les autorités françaises, malgré le fait qu’ils l’ont obtenu via une formation et un examen dérisoires, voire avec quelques billets glissés dans un formulaire.

Vous rendez vous compte qu’en plus d’ignorer la longueur de notre réseau autoroutier, ces conducteurs étrangers n’ont pas appris, entre autres mille questions possibles :

- l’influence de l’aérodynamique et du poids sur l’augmentation de la consommation et de la pollution d’un véhicule.

- que l’avertisseur sonore est bien une forme de pollution (sonore, mais l’appel de phare est-il une pollution lumineuse ?),

- que le regard doit traverser le pare-brise à mi-hauteur, ni au-dessus, ni en dessous.

- quelle est la différence entre refus d’obtempérer et délit de fuite.

- qu’en sortant de voiture, le conducteur doit ouvrir la porte de la main droite (pour l’inciter à tourner le regard vers le rétroviseur extérieur)

- que la taille des panneaux est fonction de la limitation de vitesse en cours (et non de la météo, mauvaise réponse !)

- qu’il faut vérifier son niveau d’huile sur un terrain plat (même si c’est du gravier ou des pavés ?).

- que la consommation de cannabis ET d’alcool multiplie le risque d’accident par 29 (et non pas par 14, ce qui change tout).

Permis B, un centenaire qui bizute les jeunes

Alors quoi ? Sont-ce ces étrangers ignares qui mangent les bandes blanches des Français, brûlent nos stops et feux rouges et viennent, jusque dans nos bourgs, écraser nos fils et nos compagnes ?

Sans parler de ces milliers de mauvais Français qui, par opportunité, pour payer moins cher ou ne pas subir cet interminable calvaire, passent chaque année leur permis dans des pays où il ne prétend pas être un test de QI, de mémoire, de compréhension de la langue, et de bien-pensance. En somme, des pays où l’on considère que même les cons ont le droit de conduire, ce qui, forcément, est dangereux.

Enfiler des perles dans le sac de nœuds

Je plaisante, mais au fond je suis en rage. Trente ans que je suis le sujet de près, trente ans que j’interviewe des pontes qui sont souvent d’accord avec moi, mais « que voulez-vous… », trente ans que rien ne change, sinon en pire, et que l’on enfile des perles dans le sac de nœuds.

À force de discuter et bavarder, j’ai fini par comprendre pourquoi.

Cela tient à trois raisons.

1/ L’économie. Le secteur de l’auto-école emploie 25 000 salariés en France, c’est beaucoup plus que le rempaillage de tabourets. Pourtant, la profession n’est pas opposée à une grande réforme de l’apprentissage qu’elle juge inadapté. « Il faudrait inculquer la trouille aux audacieux et la confiance aux timides, le système produit exactement le contraire. Ceux que l’on retrouve à la rubrique accidents du lundi matin, ce sont presque toujours les garçons sûrs d’eux, qui ont le permis du premier coup avec le minimum d’heures » m’a confié un patron d’auto-école qui, comme beaucoup de ses collègues ne serait pas hostile à la simplification, voire la suppression de l’examen. À condition, bien sûr, que l’auto-école reste obligatoire…

2/ Le corporatisme. Jaloux de ses prérogatives, le corps des 1 500 inspecteurs du permis de conduire est, par principe, hostile à toute simplification radicale de l’examen. Au point de ne pas toujours tenir compte des récents assouplissements (créneau non éliminatoire, placement sur la chaussée moins strict) et d’appliquer encore les anciens critères de rapidité, d’habileté et d’assurance. Un inspecteur à qui je demandais comment expliquer un tel taux d’échec et comment justifier que d’un fonctionnaire à l’autre, il varie de 40 à 70 % m’a rétorqué que depuis la suppression du service militaire, passer le permis était le dernier grand rite de passage à l’âge adulte. Mais il n’a pas prononcé le mot bizutage.

3/ La politique. Un chercheur spécialiste de la formation, pas hostile à un examen très succinct, me confiait ne pas y croire : « faciliter l’accès des jeunes à la voiture, ce n’est pas du tout dans l’air du temps, on cherche plutôt à développer les modes de transport alternatif. »

Et il y a l’opinion publique… De même que les sondages montrent des retraités relativement partisans de la réforme… des retraites, une simplification radicale du permis de conduire ne serait populaire que chez ceux qui ne l’ont pas encore passé, très minoritaires. Là encore, le syndrome bizutage : « si j’y suis passé, pourquoi eux y échapperaient-ils ? » Sans parler de la peur face à tous ces jeunes qui ne sauraient plus conduire…

 

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