Pollution, la théorie et la pratique
On peut bien durcir les normes Euro et inventer la vignette Crit’air, si les municipalités entretiennent les embouteillages pour réguler le trafic et si une partie des conducteurs « repolluent » leurs moteurs, le fond de l’air ne va pas s’éclaircir.
Je ne voudrais pas refaire mon dernier billet, mais la semaine dernière, je me suis rendu trois fois dans Paris à moto. Trois fois ma dose maxi et je le paie cher : depuis une énorme sinusite me tamponne le front avec, entre fièvre et Doliprane, les idées aussi claires que le smog parisien.
C’est que j’ai les sinus très sensibles aux hydrocarbures, un véritable avion renifleur à moi tout seul.
J’aurais pu prendre le métro, mais l’air chargé de particules des souterrains de la RATP – plus pollués que la surface – ne me réussit pas d’avantage et cela m’aurait pris le double de temps. Enfin, normalement.
Car « normalement » n’a plus cours quand on se déplace à Paris où, en cette rentrée, les embouteillages ont augmenté d’un bon quart. Officiellement, ce serait à cause de la fin du télétravail, mais personne n’y croit. Encore moins les très nombreux télétravailleurs…
Bref, dans l’effroyable capharnaüm qu’est notre capitale depuis que la barrière de travaux - sans travaux derrière, une invention municipale – tient lieu de régulateur du trafic, j’ai inhalé par demi-litres de l’essence imbrûlée.
Principalement celle de mes camarades d’interfile, à deux roues et à moteur. Il y a d’abord eu, porte de Champerret, un gars énervé sur sa BMW S1000 RR, tout aussi coincé que moi dans l’enchevêtrement mais lui, dans un genre moins fataliste. Dix bonnes minutes durant, il aura essayé de faire s’ouvrir les flots de tôle à grands coups de gaz. J’étais 50 cm derrière lui, moteur coupé, dans la trajectoire de son pot Akrapovic. Au feu suivant, je me suis faufilé à sa hauteur et lui ai demandé confirmation.
- Pardon, elle est décatalysée votre moto ?
- Ben oui.
- Et vous n’avez pas revu les réglages d’injection ?
- Ben non, pas la peine.
- Ben si, parce que là, elle est réglée beaucoup trop riche, ça pue l’essence à plein nez.
Silence, regard noir, le gars engage la première - klong - et décolle ses 200 « ch’vos » du bitume. Sur sa bulle, la vignette violette Crit’air 1.
Interdits à Pékin et Bombay, autorisés à Paris.
À vue de nez – et ce n’est pas une figure de style – entre le cinquième et le quart des motos franciliennes, gros scooters compris, ont subi une ablation de leur catalyseur. Et le plus souvent, secret de polichinelle, dès la première révision dans l’atelier du concessionnaire, dix ans au moins que cela dure.
Même sans avoir mon talent particulier, pas besoin d’analyseur « cinq gaz », cela pourrait se vérifier en une minute d’un coup de sonde à trente euros dans le pot d’échappement. Mais j’imagine que cela outrepasse l’imagination ou la compétence technique des concepteurs de la vignette Crit’air. Et puis ça mettrait les motards en colère…
Mais le pire, ce sont les innombrables scooters de livreurs à moteur deux temps qui fument bien gras, des machins interdits à Pékin ou Bombay depuis deux décennies tant ils sont toxiques, mais qui reviennent en force chez nous. Même les ASVP de la préfecture de police en sont équipés, pour vous dire le sérieux de notre administration. Les traînées de ces fumigènes, je les renifle à cinquante ou cent mètres et parfois même, je les vois. Leurs conducteurs sont innocents, les coupables sont à la fois les constructeurs qui, pour écouler leurs moteurs 2T, les équipent de catalyseurs, un non-sens sur ce genre de mécanique. Et les législateurs qui feignent d’ignorer que ces dispositifs ne fonctionnent que le jour du test d’homologation puis, une fois colmatés par l’huile brûlée, évacuent les gaz en direct par un by-pass. D’accord, c’est moins raffiné que le logiciel truqué de VW, mais ça marche largement aussi bien - ça pollue peut-être même bien d’avantage - et le risque de sanction est nul.
Un billet de mauvaise humeur ?
Bref, je me tamponne une sinusite d’anthologie et au moment d’écrire ces lignes, j’hésite à demander à Michel (Holtz, who else ?) de me remplacer pour cette livraison du lundi.
Plus rien ne m’intéresse ici-bas en dehors de mon prochain rendez-vous d’ORL. Je sais, je devrais faire un billet sur la grande panne du marché automobile, l’attentisme de l’acheteur alimenté par l’incertitude réglementaire et technologique. Mais d’une certaine manière, le résultat de cette incertitude réglementaire et technologique, c’est lui qui me congestionne le lobe frontal et je ne suis pas d’humeur à écrire un billet d’humeur.
Ou alors un billet de mauvaise humeur…
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