Radars automatiques : quand la dénonciation devient-elle vraiment obligatoire pour les patrons ?
La loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle a été adoptée définitivement à l’Assemblée nationale le 12 octobre dernier. La dénonciation obligatoire par les patrons quand un véhicule de société est flashé, prévue par cette loi, est-elle du coup déjà en vigueur ? Est-ce que c'est la date de l'infraction qui importe ou la date éventuelle de son passage au tribunal en cas de contestation ? Voici tout ce qu'il faut savoir sur cette nouvelle disposition… Et avant tout, retenir que rien n'est encore fait !Vous avez une question concernant vos droits par rapport à un PV, votre assurance ou tout autre sujet lié à votre véhicule, demandez notre avis, Caradisiac vous répond dans sa rubrique "Vos questions – Nos réponses".Avec la collaboration de Maître Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs.
La question de l'internaute
"Un conducteur flashé par un radar fixe le 8 octobre 2016 est-il assujetti à la loi d'obligation de dénonciation, qui vient d’être votée par le Parlement ? La date de l'infraction constitue-t-elle la référence ? Ou est-ce la date de passage devant le juge qui prévaut ?"
Grégory
La réponse de Caradisiac
Une chose est sûre : en matière pénale, s’applique le principe de la non-rétroactivité. En clair, ce sont les règles en vigueur au moment de la commission de l’infraction qui prévalent, et non celles qui auraient été adoptées par la suite.
Rappel du contexte
La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle prévoit que lorsqu'un véhicule de société sera flashé par un radar, le représentant légal de cette société, soit le patron, aura 45 jours "pour indiquer (...) l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule".
En cas de refus, il s’exposerait à une amende de 135 euros (minorée à 90 €, en cas de paiement dans les 15 jours, et majorée à 375 €). Celle-ci pourrait même être quintuplée au tribunal, insinue également le texte, soit s’élever jusqu’à 1 875 euros !
La nouvelle règle doit s'appliquer dès le 1er janvier 2017.
Dans le cadre du contrôle automatisé, il n’existe de toute façon "aucune obligation de dénoncer", rappelle Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs. Certes, cette prétendue nouvelle obligation est sous-entendue dans la loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle, adoptée définitivement à l’Assemblée nationale le 12 octobre dernier, mais "il n’est pas du tout dit qu’elle soit pour finir une véritable et réelle obligation !"
Premièrement, le texte, avant de pouvoir être promulgué, doit encore passer avec succès l’épreuve du Conseil constitutionnel qui a été saisi par les députés le 17 octobre dernier. On devrait être fixé d’ici à la semaine prochaine… Mais, en attendant, "il ne serait aucunement surprenant que le Conseil constitutionnel retoque, entre autres, cette disposition non seulement mal fichue sur le plan juridique, mais aussi et surtout très discutable sur le plan moral et philosophique", précise Me Tichit.
Deuxièmement, même si le texte, en particulier les points relatifs à la répression des infractions routières, était validé par les Sages, il ne paraît pas évident que les patrons n’aient véritablement d’autre choix que de dénoncer. Tout simplement, "parce que les dispositions aujourd’hui en vigueur n’ont par ailleurs ni été modifiées, ni supprimées ! Forcément, cela veut dire que ce qui existe aujourd’hui pourra également perdurer", explique l'avocate. Or, aujourd'hui, quand un PV-radar est envoyé à un patron quand un véhicule de société est "radarisé", il est bien possible de payer la contravention ou de la contester, plutôt que de désigner un tiers…
La dénonciation : une mesure farfelue, comme l'amende quintuplée !
Enfin, l’insinuation selon laquelle l’amende pourrait même être quintuplée et donc grimper jusqu’à plus de 1 800 euros paraît tout simplement "abracadabrantesque". "Lorsque les amendes forfaitaires, les amendes forfaitaires minorées et les amendes forfaitaires majorées s'appliquent à une personne morale, leur montant est quintuplé", stipule cette loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle. Sauf qu’en matière d'infractions routières, fustige Me Tichit, "les amendes ne s'appliquent jamais à une personne morale ! En l’occurrence, le code de la Route précise bien que lorsque les véhicules appartiennent à une personne morale [soit à une société, NDLR], c’est le représentant légal [soit le patron, NDLR] qui est responsable. Or, le patron, c'est bien une personne physique !"
Cela fait des années déjà que le pouvoir judiciaire cherche à sanctionner plus durement les patrons qui refusent de dénoncer leurs salariés. Le fait de les menacer de multiplier par cinq les amendes en pareils cas n’est donc pas nouveau. Mais la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire en France, a toutefois toujours rejeté ce genre de tentatives !
Les règles générales à retenir à réception d'un PV radar
À réception d'une contravention-radar, un chef d'entreprise, comme un propriétaire de véhicule particulier, a – et aura - toujours 3 possibilités :
- payer spontanément,
- dénoncer un tiers,
- contester la contravention.
Et "quand il paie spontanément, sans contester, cela veut tout simplement dire qu'il reconnaît l'infraction", explique Caroline Tichit. Du coup, "si des points sont en jeu, ils doivent théoriquement lui être retirés automatiquement de son permis". Seulement voilà, en pratique, on sait que lorsqu'il s'agit de véhicules de société, le paiement de l'amende n'entraîne que rarement une perte de point(s), ce qui est pourtant quasi systématique avec un véhicule particulier flashé. D'où l'instauration de cette nouvelle règle visant à contraindre les patrons à dénoncer… Mais ce que risquent surtout les autorités avec cette nouvelle mesure, c’est de ne plus sanctionner du tout !
La dénonciation : une mesure très risquée pour l'administration !
Prenons un cas concret pour mieux comprendre la situation : à réception d’une contravention-radar, un patron dénonce un salarié (un cas de figure qui arrive déjà aujourd’hui. C’est même de plus en plus fréquent). Le salarié dénoncé devient alors le destinataire de l'avis de contravention. Et les mêmes possibilités ouvertes initialement aux patrons s’offrent à lui :
- payer spontanément,
- désigner quelqu’un d’autre,
- contester…
Attention, en cas de contestation, plus question alors pour lui de consigner quoi que soit : les personnes dénoncées, elles, n’ont pas à payer pour accéder à la justice. Une fois, sa contravention contestée en bonne et due forme, un salarié dénoncé doit ainsi – c’est la suite logique pour tous les contestataires – se retrouver au tribunal pour s’en expliquer.
"Et là, que pensez-vous qu’il se passe quand, devant le juge, le salarié dénoncé nie simplement avoir été le conducteur du véhicule au moment des faits ?", interroge Me Tichit… "Oui, normalement, c’est moi qui le conduis., c’est donc bien normal que mon patron m’ait dénoncé, mais voilà, ce jour-là, sans le prévenir, j’ai passé le volant… Que pensez-vous qu'il se passe dans un tel cas de figure ? Il se passe que le salarié dénoncé ne peut qu’être entièrement et totalement relaxé !" Autrement dit, il n’a ni amende à régler, ni retrait de point à subir, et ce, sans avoir eu besoin d'apporter les preuves de son innocence, ni de dénoncer un autre que lui…
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