Radars : vandalisme, recettes en baisse, pour combien y en a ?
À n’en pas douter, la note sera salée, mais pas forcément autant qu'annoncée ! Parler de plusieurs centaines de millions d'euros rien que pour le vandalisme paraît tout simplement disproportionné. Pour ce qui est des recettes, les projections paraissaient de toute façon difficilement tenables, sans la mise en place du 80 km/h. Zoom sur les chiffres officiels des dégradations des radars retrouvés par Caradisiac et les infos clés pour savoir à quoi s'en tenir… et éviter la "surenchère" tentante du gouvernement.
Tiendra, tiendra pas ? Au vu des déclarations du président de la République dès l'ouverture la semaine dernière du grand débat national, et répétées depuis, il est probable que l'abaissement du 80 km/h ne reste encore longtemps généralisé à l'ensemble du réseau secondaire bidirectionnel sans séparateur central. En attendant, les radars cristallisent le mécontentement ambiant.
Bâchés, dégradés, incendiés, les actes de vandalisme se sont multipliés ces dernières semaines à leur encontre. Il n'y a qu'à prendre la route pour le constater. Combien coûtera leur remise en état ? "Ce sera probablement plusieurs dizaines de millions d'euros, peut-être plusieurs centaines de millions d'euros", a indiqué le délégué à la Sécurité routière sur LCI le 10 janvier dernier, tout en se gardant de donner le nombre précis de radars dégradés "pour éviter, a justifié Emmanuel Barbe, la surenchère".
Au vu des chiffres officiels sur le vandalisme entre 2014 et les huit premiers mois de 2018 (voir tableau ci-dessous), que Caradisiac a étudiés, l'estimation paraît tout de même disproportionnée. Une note à 20 millions d'euros correspondrait déjà à une hausse de 115 % par rapport à celle de 2017… Une seule certitude, elle sera nettement plus élevée.
Bilan de l’évolution du nombre de dégradations de 2014 à l'été 2018
Comment nous avons procédé. Nous avons tout simplement reproduit le décompte des radars dégradés tel qu'il a été publié dans un rapport annexe du dernier projet de loi de Finances (PLF), et ajouté le coût annuel du vandalisme tel qu'il apparaît aussi dans les annexes des précédents PLF.
Type de radars / Année | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | De janvier à août 2018 | |
Fixe (classique) | Léger | 1 585 | 1 379 | 1 770 | 2 183 | 2 411 |
Lourd réparable | 203 | 218 | 248 | 161 | 104 | |
Lourd non réparable | 145 | 89 | 142 | 100 | 105 | |
Total | 1 933 | 1 686 | 2 160 | 2 444 | 2 620 | |
Discriminant | Léger | 130 | 129 | 165 | 231 | 232 |
Lourd réparable | 32 | 22 | 31 | 23 | 16 | |
Lourd non réparable | 9 | 7 | 8 | 3 | 10 | |
Total | 171 | 158 | 204 | 257 | 258 | |
Feu rouge | Léger | 67 | 54 | 53 | 47 | 22 |
Lourd réparable | 67 | 45 | 42 | 43 | 9 | |
Lourd non réparable | 1 | 0 | 1 | 2 | 1 | |
Total | 135 | 99 | 96 | 96 (sic) | 41 (sic) | |
Passage à niveau | Léger | 5 | 3 | 0 | 0 | 0 |
Lourd réparable | 5 | 2 | 12 | 1 | 4 | |
Lourd non réparable | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Total | 11 | 6 (sic) | 12 | 1 | 4 | |
Vitesse moyenne | Léger | 60 | 19 | 3 | 5 | 3 |
Lourd réparable | 35 | 9 | 14 | 6 | 8 | |
Lourd non réparable | 8 | 1 | 1 | 1 | 0 | |
Total | 103 | 29 | 18 | 12 | 11 | |
Autonome (chantier) | Léger | 0 | 16 | 576 | 1 046 | 839 |
Lourd réparable | 0 | 2 | 132 | 205 | 151 | |
Lourd non réparable | 0 | 0 | 23 | 40 | 17 | |
Total | 0 | 18 | 731 | 1 291 | 1 007 | |
Total | Léger | 1 847 | 1 600 | 2 567 | 3 512 | 3 507 |
Lourd réparable | 342 | 298 | 479 | 439 | 292 | |
Lourd non réparable | 164 | 98 | 175 | 146 | 133 | |
Total | 2 353 | 1 996 | 3 221 | 4 097 | 3 932 (5 898 en extrapolant sur 12 mois, +44 %) | |
Coût annuel | 10,37 M d'€ | 8,3 M d'€ | 6,79 M d'€ | 9,3 M d'€ | NC (+44 % = 13,392 M d'€) | |
Source : logiciels VT-Pilote et FR-Pilote de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI). "NC" pour non connu. |
Un vandalisme en hausse d'au moins 44 % en 2018
Contrairement à ce que pourrait laisser croire le ministère de l'Intérieur ces derniers temps, l'augmentation du vandalisme, même s'il s'est selon toute vraisemblance intensifié en fin d'année, ne date pas non plus du 15 novembre, et donc du mouvement des gilets jaunes. "Le nombre de dégradations constatées entre janvier et août 2018 était déjà équivalent au nombre de dégradations constatées sur l’ensemble de l’année 2017", lit-on d'ailleurs dans le rapport général du Sénat en annexe du projet de loi de Finances (PLF) 2019. Une recrudescence qui serait liée "à l’annonce puis à la mise en œuvre de la limitation (…) à 80 km/heure".
En reprenant ainsi ces statistiques officielles, et en extrapolant les 3 932 cas recensés sur les huit premiers mois de l'année, on arrive déjà à près de 6 000 dégradations pour tout 2018, ce qui représente un bond de 44 % par rapport à 2017… Reste ainsi à connaître l'ampleur de l'accélération ressentie le dernier mois et demi, mais il paraît évident que, par rapport à l'année précédente, la hausse du vandalisme sera donc au moins supérieure à cela.
Pour les détails, il faudra patienter. "Près de 60 % des radars (…) ont été neutralisés, attaqués, détruits par celles et ceux qui se revendiquent" du mouvement des gilets jaunes, a certes fini par lâcher le ministre de l'Intérieur, le 10 janvier aussi. Mais de fait, cela ne veut pas dire grand-chose. De quels radars parle exactement Christophe Castaner ? Ce sont 60 % de combien au total ?
Pour un radar fixe vandalisé, c'est 9 500 € en moyenne !
Selon nos informations, le ministre ne viserait que les seuls radars fixes de vitesse, soit les 1 930 cabines classiques, les 408 radars discriminants et les 103 tronçons (ceux qui se basent sur la vitesse moyenne des véhicules entre deux points d'une portion), soit un total de 2 443 automates, si l'on en croit le décompte affiché sur la carte en ligne du gouvernement. Cela signifierait qu'il y en aurait près de 1 500 hors service… Du jamais vu depuis le début du contrôle automatisé.
Pour le sénateur Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial du compte des amendes routières dans le cadre du PLF 2019 et auteur de ce rapport général qui y est annexé, cela reste plausible : "Je pense que les radars feux rouges en milieu très urbain ont été peu touchés, les radars embarqués n'ont bien entendu pas été concernés", quant aux radars chantiers (baptisés également autonomes), cibles pourtant régulières de casseurs, "ils ont l'avantage de pouvoir être mis à l'abri". On peut donc espérer qu'ils l'aient été. Reste que l'estimation du nombre d'appareils HS ne suffit pas à évaluer le coût général de leur remise en état.
D'un type de dispositif à un autre, le coût moyen varie par exemple du simple au quadruple. Dans le rapport d'information sur la politique d’implantation des radars, rédigé par un autre sénateur, Vincent Delahaye, à l'été 2017, on y apprend ainsi que l'État débourse en moyenne 9 520 euros pour un radar fixe classique vandalisé, 7 792 euros pour un discriminant et 2 419 euros pour un radar feu rouge.
Un recul de 17 % des recettes dû au seul vandalisme ?
Il ne s'agit là en outre que d'une dépense moyenne par type de radar. Bien évidemment, en fonction des dégâts vraiment subis – un radar complètement détruit versus un même type d'appareil recouvert d'une simple bâche -, la note finale n'a rien à voir. Pour l'administration il y a trois catégories de dégradation : le vandalisme léger, le lourd réparable et le lourd non réparable. Et pour le coup, "je ne suis pas certain que l'État ou les services concernés aient déjà un inventaire précis de ce qui s'est passé en décembre", commente le sénateur Gabouty.
Pour ce qui est des recettes, la baisse induite par ces seules dégradations est loin d'être simple à évaluer. "Selon plusieurs sources gouvernementales, rapporte Le Canard enchaîné dans sa dernière édition, le manque à gagner pour l'année 2018 serait de 200 millions d'euros sur une recette prévue de 1,2 milliard", soit un recul de l'ordre de 17 %… Et ce, alors même qu'il était prévu que les radars rapportent plus avec l'abaissement de la vitesse autorisée sur le réseau secondaire !
Initialement, dans le projet de loi de Finances 2018, et donc avant même qu'il ne soit question du 80 km/h, les recettes envisagées tournaient plutôt aux alentours d'1,1 milliard d'euros, déjà en hausse de 10 % par rapport au record enregistré en 2017. Non seulement, le parc de radars, d'une manière générale, devait s'étoffer, mais en plus "de nouveaux dispositifs de contrôle plus performants" devaient être déployés… Ce qui n'a finalement pas eu lieu. Le plan a pris pas mal de retard, et ces évolutions ont été repoussées à 2019.
Moins de recettes, mais moins de radars qu'en 2017…
Résultat : fin 2018, il y avait carrément moins de radars en service (sans même prendre en compte les vandalisés) que fin 2017 ! On serait à quelques dizaines près… Au mieux, le parc pourrait donc être considéré comme stable. Mais quand on sait que d'une année sur l'autre, l'activité des appareils déjà en place a plutôt tendance à décroître, les recettes – sans cet abaissement à 80 km/h - n'auraient donc pu que fléchir.
Un autre facteur a aussi joué les effets inhibiteurs pour les radars : la réforme de 2017 qui oblige les employeurs à donner l'identité des conducteurs qu'ils pensent fautifs quand un véhicule de leur société se fait flasher. Aux dires mêmes de la Sécurité routière, dans son dernier bilan des radars automatiques, "le nombre d'infractions commises par les véhicules immatriculés au nom d'une personne morale [soit au nom d'une entreprise, NDLR], près de 3,2 millions en 2017, est en baisse de 9,4 % par rapport à 2016".
Qu'en a-t-il alors été en 2018 ? Si l'on en croit ses diverses interventions sur le sujet, l'évolution s'est tout simplement poursuivie et confirmée. À parc d'appareils relativement égal, voire en retrait, il y aurait donc eu forcément moins de déclenchements, sans le 80 km/h.
Combien exactement faut-il alors attribuer à l'augmentation des recettes générées par le seul 80 km/h ? À l’inverse, à combien faut-il chiffrer la décrue logique d'un parc d'appareils stable et vieillissant d'une part, et, de l'autre, le manque à gagner dû au vandalisme ? Bien malin qui pourrait le dire…
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