Enquête - "Renaulution": ce que mijote Luca de Meo
Jeudi 14 janvier, le nouveau patron de Renault Luca de Meo présentera son grand plan stratégique de relance de la marque au losange. En voici les grandes lignes.
Renault, année zéro ? C’est ce que laissent entendre toutes les récentes interventions du Directeur général de la marque au Losange, Luca de Meo, qui dévoilera jeudi 14 janvier les détails de la « RENAULuTion », grand plan de relance que lui et ses équipes mitonnent depuis sa prise de fonction officielle le 1er juillet dernier (sa nomination ayant été annoncée en janvier 2020, il aura en réalité pu mûrir son projet pendant près d’un an).
« Nous sommes dans une situation difficile, mais la bonne nouvelle, c’est que notre industrie donne toujours une chance à ceux qui font ce qu’il faut, et parfois même, plus vite que prévu », expliquait Luca de Meo dans une note interne en septembre. Depuis, l’homme a pu mieux identifier les éléments qui constitueront les nouveaux moteurs de croissance de l’entreprise. Au programme : électrification, montée en gamme et mise en avant de la Formule 1 (via Alpine) pour valoriser les compétences technologiques du groupe.
A cela s’ajoutera une « optimisation » de l’outil industriel qui passera par des fermetures d’usines et donc des licenciements massifs dans un groupe qui compte actuellement plus de 179 000 collaborateurs, répartis dans 39 pays. « Il faut comprendre que l’entreprise est totalement surdimensionnée. Cette société a été structurée pour fabriquer et vendre 6 millions de voitures ! Et même avant le Covid-19, Renault plafonnait à 3,8 millions d’unités. Nous devons donc gérer ce problème, héritage de décisions du passé. Il faut réduire nos capacités de production en protégeant les gens au maximum », déclarait Luca de Meo dans une interview accordée au Point en septembre.
Dans cet esprit, il y a toutes les chances que l’objectif, annoncé fin mai 2020, de deux milliards d’euros d’économies sur trois ans soit revu à la hausse. Il en va de même pour les 15 000 suppressions d’emplois dans le monde - dont 4 600 en France, qui avait été officialisé fin mai l’an dernier. Est aussi actée la fermeture de l'usine de Choisy-Le-Roi, dont les activités se voient transférées à Flins, et pourrait s’ajouter, dans les deux ans à venir, celle de l’usine Alpine de Dieppe, qui tourne au ralenti du fait des méventes de l’A110.
Il y a donc urgence à agir chez Renault. Paradoxalement, le terrible exercice 2020, qui se sera traduit par une perte nette de plus de 7 milliards d’euros au premier semestre et une baisse de 22,1% des ventes mondiales (chiffres à la fin novembre), pourrait faciliter la tâche du milanais, qui fêtera ses 54 ans au mois de juillet : il est aujourd’hui évident que sans une sévère correction de cap, le groupe va droit dans le mur.
« La situation est mauvaise pour Renault, mais elle l’est aussi en réalité pour quasiment tous les constructeurs, qui se posent aujourd’hui des questions existentielles. Le secteur automobile est à l’aube d’une transformation comparable au remplacement du cheval par le moteur à explosion», commente Louis-Antoine Calvy, consultant « Transport » au sein du cabinet de conseil Bartle, interrogé par Caradisiac. « Avec ce nouveau plan, Renault adopte une approche pragmatique et finalement assez classique, qui passe notamment par une réduction des coûts et une réorganisation de l’appareil de production. PSA, au bord de la faillite en 2013-2014, a réalisé une marge opérationnelle courante de 8,5% en 2019. »
"Vendre le lundi après avoir gagné le dimanche"
Il est donc permis d’être optimiste. Pour ce faire, de Meo a lui-même commencé à esquisser les contours de la future organisation. Ainsi, le groupe sera organisé par marques, chacune doté d’un patron, et non en zones géographiques comme cela était le cas jusqu’ici. Le groupe se composera donc de Renault, qu’il pilotera lui-même, Dacia et Alpine, à quoi s’ajoutera une marque dédiée aux nouvelles mobilités, laquelle pourrait s'appeler Mobilize, du nom d’un programme de mobilité solidaire qui existe déjà au sein du groupe.
Cette organisation devrait permettre de renforcer l’identité de chacune de ces marques : « Alpine a une identité très spécifique de niche, très sportive, très française. Nous ne resterons pas forcement dans le registre seulement rétro et classique de l’Alpine A110 », déclarait de Meo au Point. Dans cet esprit, Alpine fera ses débuts en Formule 1 cette année, ce qui donnera à cette marque franco-française une visibilité mondiale. Cela explique aussi le retour de l’espagnol Fernando Alonso, double champion du monde de F1, en tandem avec le prometteur français Esteban Ocon.
Tous deux vont devoir faire fructifier les espérances nées de l’encourageante saison 2020 de l’écurie Renault F1. De premières images de la nouvelle voiture ont fuité sur les réseaux sociaux ce vendredi (voir ci-dessous), et on y aperçoit d’ailleurs clairement une mise en avant des couleurs bleu blanc rouge sur la carrosserie. Le nom Renault continuera d’apparaître sur les moteurs, d’autant que la F1 permet de mettre en avant les technologies hybrides (dénommées E-Tech chez Renault) qu’il s’agira de « vendre le lundi après avoir gagné le dimanche. »
Dacia, le nouveau "cool"
Dacia, marque à fort potentiel et pourvoyeuse d’importants volumes de ventes, est elle aussi appelée à prendre de l’essor : « …sa proposition dans le low-cost est très forte. La marque ne doit pas s’éloigner de ce positionnement originel, mais il faut lui donner une image plus « cool ». Le gros sujet, c’est évidemment le positionnement de Renault. Nous devons retrouver nos racines. (…) Cette marque a toujours été plus créative que les autres, c’est dans sa culture. Elle doit jouer la modernité et l’innovation. Renault peut incarner la nouvelle vague de l’industrie automobile », précise Luca de Meo.
PSA comme inspiration
Et celui-ci de poursuivre : « Renault doit aussi se développer sur les segments de véhicules plus rémunérateurs que les petites voitures – Clio, Captur, etc. – où nous sommes très forts. Carlos Tavares, chez PSA, a fait un travail extraordinaire avec une belle montée en gamme des véhicules avec les Peugeot 3008 ou 5008 ou les Citroën Aircross. C’est un mouvement que Renault n’a pas fait. Le centre de gravité de la gamme Renault doit être plus haut. »
Le nouveau patron de Renault a pu démontrer par le passé qu’il savait œuvrer en ce sens, notamment chez Fiat où il a lancé Abarth, puis chez Seat avec Cupra, autant de labels sportivo-hauts de gamme qui permettent de vendre des voitures plus onéreuses.
Au passage, on note que Renault vient d’ailleurs d’annoncer une hausse générale des tarifs de sa gamme, qui augmentent jusqu’à 2 000 €. Par ailleurs, l’offre va se réorganiser en profondeur, ce qui devrait se traduire par la disparition de modèles trop peu rentables. Les gammes Scenic, Talisman et autres Koleos seraient notamment sur la sellette.
Eviter la relégation
Les synergies avec Nissan et Mitsubishi seront aussi l’une des clés de la croissance nouvelle de Renault : « Si nous séparons les trois membres de l’Alliance, nous nous donnons directement rendez-vous en deuxième division du championnat automobile », résumait de Meo dans une note interne. Dans cet esprit, Renault et Nissan ont déjà choisi des projets communs destinés à réactiver la confiance réciproque, et notamment tout ce qui concerne les batteries des voitures électriques, qui viendraient enfin de fournisseurs communs.
D’ailleurs, le nouveau Nissan Ariya, crossover familial électrique, repose sur la nouvelle plate-forme CMF-EV, une base modulaire propre aux modèles électriques qui sera également utilisée par Renault. Même si cette décision avait été prise bien avant l’arrivée de de Meo, cela représente un progrès tangible par rapport aux Nissan Leaf et Renault Zoé, qui n’ont pas grand-chose en commun techniquement. D’un point de vue industriel, Renault a d’ailleurs l’intention de produire en France les voitures électriques, qui représentent une valeur ajoutée supérieure.
L'inconnue des nouvelles mobilités
Parmi les inconnues restant à lever, reste notamment celle des intentions de Renault dans les nouvelles mobilités. De Meo a ainsi déclaré vouloir réaliser jusqu’à 30 % de l’activité du groupe dans des domaines n'ayant rien à voir avec le secteur automobile traditionnel. Or, les constructeurs peinent encore à gagner de l’argent avec des activités qui sortent de leur périmètre historique. Renault peut-il changer la donne ? « Renault souhaite réaliser 20 à 30% de son activité dans des domaines n’ayant rien à voir avec le secteur automobile traditionnel et évoque les plateformes de mobilité. A ce jour, le marché des nouvelles mobilités n’a pas démontré l’existence d’un modèle économique rentable. », rappelle Louis-Antoine Calvy. « Beaucoup d’investissements ont été réalisés par les constructeurs dans ce secteur, les annonces qui seront faites à ce sujet la semaine prochaine seront donc d’un intérêt tout particulier. »
Des annonces que Caradisiac suivra et decryptera tout au long de la journée de jeudi à travers un grand live. Avec la naissance de Stellantis, futur n°4 mondial, et maintenant la « Renaulution », l’industrie automobile française se réinvente de façon spectaculaire en 2021.
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