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Route de nuit - Le cercle vertueux de la vitesse

Dans Pratique / Sécurité

Stéphane Schlesinger

De plus en plus de voix s’élèvent qui réclament un abaissement des limitations de vitesse, tandis qu’en Allemagne, les tronçons libres pourraient disparaître. Et ce, au nom d’une certaine forme d’écologie. Seulement, la vitesse est un facteur de progrès incomparable.

Route de nuit - Le cercle vertueux de la vitesse

Le changement climatique est à l’œuvre, qui produit des effets aussi puissants qu’incontestables. En conséquence, nous sommes très nombreux à chercher des solutions pour limiter ce phénomène, certaines pertinentes, d’autres ne relevant que d’un opportunisme crasse.

Par exemple, les militants de l’antivitesse ressortent du bois pour réclamer un abaissement des limitations, sous couvert d’écologie, thème qui les intéressait bien peu autrefois. La base de leur raisonnement ? Un sombre calcul suédois qui démontre qu’une réduction de l’allure entraîne automatiquement un recul du nombre de morts dans des accidents de la route.

Les faits prouvent le contraire (les Pays-Bas et le Danemark, par exemple, ont relevé leur limite sur autoroute, ce qui s’est soldé… par une baisse de la mortalité). Même en France, on a pu observer une hausse des vitesses pratiquées corrélée par une baisse du nombre de morts dans les accidents de la route, dans les années 90.

En 1978, Mercedes réintroduisait l’antiblocage de frein en Europe, un élément sécuritaire fondamental surtout quand on doit freiner fort à haute vitesse.
En 1978, Mercedes réintroduisait l’antiblocage de frein en Europe, un élément sécuritaire fondamental surtout quand on doit freiner fort à haute vitesse.

Autre argument : rouler à 110 km/h au lieu de 130 km/h permet de consommer moins d’énergie, fossile ou électrique. Cela se vérifie nettement plus dans les faits (mais pas systématiquement). Toutefois, pourquoi ne pas alors proposer une baisse à 100 km/h, voire 90 km/h si c’est bon pour la planète et la survie de l’humanité ?

Une telle réduction a été instaurée aux Etats-Unis en 1973, tout le territoire s’étant retrouvé limité d’un coup à 55 mph (88 km/h), suite à la crise pétrolière. Cette barrière très basse n’a commencé à être assouplie qu’en 1987.

Entretemps, les voitures américaines ont d’abord vu leurs rendements moteur s’effondrer, et leurs liaisons au sol stagner lamentablement. Pire, des progrès fondamentaux aperçus au début des années 70 dans les voitures de série (ABS en 1971, airbag en 1972) ont fait pschitt. L’industrie US entrait alors dans une longue décadence, pain bénit pour les Japonais qui l’ont sérieusement mise à mal commercialement.

La même année en France, on instaurait aussi des limitations pérennes, après pourtant des expérimentations peu concluantes dans les années 60. Là encore, la raison était la limitation de la facture pétrolière. En 1974, le 130 km/h sur autoroute est gravé dans le marbre, ce qui n’a pas dû changer grand-chose en termes de mortalité puisque ce chiffre dépassait la vitesse maxi de bon nombre de voitures du parc, sachant par ailleurs qu’une Simca 1100 6CV ou une Peugeot 204, pour citer deux des modèles les plus vendus, n’atteignaient qu’avec peine les 140 km/h.

Un autre élément, devenu obligatoire en 1973, a énormément contribué à la baisse de la mortalité routière : le port obligatoire de la ceinture de sécurité hors agglomération. On le dit très peu…

En tout cas, on a pu observer un phénomène similaire à celui qu’on a vu aux USA : les productions gauloises ont sérieusement ralenti leurs progrès, tant côté performances que liaisons au sol. La CX a régressé par rapport à la DS face au chrono, ne retrouvant les capacités de la 23ie qu’en 1977, la suspension hydropneumatique Citroën n’a évolué que vers la simplification, avant l’avènement de la gestion électronique… en 1989 sur la XM, qui d’ailleurs conservait la direction DIRAVI inaugurée par la SM… en 1970.

La 504, sortie en 1968, a énormément progressé face à la 404 grâce notamment à son essieu arrière indépendant, plus sophistiqué que celui de la majorité des concurrentes, surtout allemandes. Seulement, sa remplaçante, la 505 sortie en 1979, le reprenait quasiment tel quel. Progrès zéro ! Idem pour la Simca 1100 de 1967, infiniment plus sûre que la 1000 : l’Horizon qui a remplacé la première en 1978 n’en était qu’une évolution, sans aucun progrès dynamique…

En clair, l’industrie automobile française, à la forte compétitivité, a commencé à perdre son avance côté liaisons au sol, élément sécuritaire pourtant crucial. A quoi bon les développer si on ne peut s’en servir ?

Pendant ce temps, l’Allemagne fédérale résistait. Dans ce pays, sur plus des deux tiers de l’immense réseau autoroutier, la vitesse maxi n’est que conseillée à 130 km/h. En clair, on peut rouler à 180 km/h, voire beaucoup plus, en toute légalité. Cela a incité les constructeurs germaniques à énormément travailler sur le rendement des moteurs pour abaisser les consommations tout en augmentant les performances, sans oublier de perfectionner les trains roulants.

C’est là que ça devient intéressant. Progressivement, les productions allemandes ont rattrapé puis dépassé les françaises en matière de tenue de route, tout en prenant le large côté performances... Une Peugeot 204 mettait la misère à une Coccinelle en comportement routier, avant de se trouver humiliée par la Golf. La 605 en 1989 a certes établi de nouvelles normes en la matière… Que sa remplaçante 607 s’est empressée d’oublier.

Seul à utiliser à l’époque l’injection directe sur de petites voitures, VW a pu établir un record de consommation sur une auto de série avec la Lupo 3 l fin 1998.
Seul à utiliser à l’époque l’injection directe sur de petites voitures, VW a pu établir un record de consommation sur une auto de série avec la Lupo 3 l fin 1998.

Outre la Golf GTI de 1976, qui a ringardisé les petites sportives de l’époque en marchant plus fort tout en consommant moins (au point de devenir un phénomène que toute la concurrence va chercher à copier), l’Allemagne a été la première à remettre sur le marché européen l’antibloqueur de frein (inauguré par la Jensen FF en 1966, mais le Royaume-Uni ayant abaissé sa vitesse maxi à 112 km/h en 1967, les progrès dynamiques de ses productions ont presque cessé) en 1978 grâce à Mercedes allié à Bosch, puis à introduire l’airbag sur le vieux continent, dès 1981, en le combinant à des prétensionneurs de ceinture de sécurité.

La Peugeot 505, en 1979, n’était qu’une 504 recarrossée, donc sans gros progrès. Elle durera pourtant jusqu’à l’orée des années 90…
La Peugeot 505, en 1979, n’était qu’une 504 recarrossée, donc sans gros progrès. Elle durera pourtant jusqu’à l’orée des années 90…

En généralisant plus vite que nous l’injection sur les essences (puis l’injection directe sur les diesels, même si elle a été introduite en série par Toyota en 1985 sur son 4x4 Land Cruiser puis Fiat sur sa berline Croma en 1988), les Allemands ont pu abaisser la consommation, phénomène qui s’est accéléré à partir de 1982 quand Audi a réintroduit la mode de l’aérodynamique avec la 100 C3 (Cx de 0.30). Dès 1984, une banale Opel Kadett s’en tenait à 0.30 elle aussi ! Et en 1989, la Calibra établissait un record, à 0.26. La Golf a introduit l’injection directe sur les compactes diesels en 1993, affichant des consommations record, la Lupo 3,0 l étant la première auto de production à n’avaler que 3,0 l / 100 km, même si, vu son prix, son but principal était le coup marketing.

En matière de suspension, Porsche a inauguré l’essieu arrière multibras en 1977 sur la 928, suivi en 1982 par Mercedes sur la 190. C’est encore d’Allemagne que nous vient l’ESP. Ils comptent encore parmi les rares à utiliser de façon extensive la transmission intégrale, qu’ils ont généralisée après le succès de l’Audi Quattro en 1981 (là encore, la Jensen FF l’avait devancée, mais vous connaissez l’histoire).

Petite anecdote, en 2011, on parlait déjà beaucoup en France d’abaisser la limitation à 80 km/h sur route et 110 km/h sur autoroute. J’en ai alors discuté avec des ingénieurs de chez Renault, en leur demandant si ça n’allait pas inciter les marques françaises à dégrader leurs liaisons au sol. « C’est évident », me répondit l’un d’entre eux. Avant d’ajouter : « à l’heure actuelle, je me sentirais bien plus en sécurité dans un Opel Zafira que dans un Espace pour effectuer un freinage d’urgence avec 5 passagers et leurs bagages à 170 km/h. »

De sorte que l’industrie allemande a pris le dessus en Europe par sa technicité, en s’appuyant sur ses autobahns non limitées. Bien sûr, la concurrence a réagi, dans une saine émulation, et c’est là où je veux en venir : grâce à ces autoroutes sans limitations, donc grâce à la pratique régulière de vitesses élevées, on dispose de voitures, allemandes ou pas, qui ont pu, même si les rythmes d’évolution varient, continuer à devenir à la fois plus sûres et économiques.

Et l’économie d’énergie, c’est bon pour l’écologie. Actuellement, nombre de grandes berlines (Mercedes Classe, BMW Série 3, VW Passat, Peugeot 508) sont capables de n’avaler que 5,0 l/100 km (voire beaucoup moins) sur autoroute à 130 km/h.

Néanmoins, trop sûrs de leur avance, les Teutons se sont tiré des balles dans le pied, déjà en ne sachant pas trop réagir au succès colossal de Tesla sur leur chasse gardée, le marché des grandes routières, ensuite en provoquant l’invraisemblable Dieselgate (merci VW).

Route de nuit - Le cercle vertueux de la vitesse

Néanmoins, on reprend une longueur d’avance outre-Rhin avec le prototype électrique Mercedes EQXX capable de 1 200 km d’autonomie car il ne consomme que 8,7 kWh/100 km, grâce notamment à une aérodynamique exceptionnelle. C’est qu’il faut faire face à une concurrence redoutable venue de Chine, qui est le pays le plus avancé en matière de technologie de batteries.

L’Allemagne prévoit de généraliser les limitations de vitesse sur ses autoroutes : une bonne idée… Pour la France. Grâce à ça, nos voitures vont retrouver des couleurs outre-Rhin, puisqu’on ne pourra plus rouler vite ! Plus sérieusement, c’est grâce à ces vitesses élevées qu’on a des voitures frugales, au bénéfice de l’environnement, et aussi affûtées côté sécurité du comportement ainsi que du freinage. Si on supprime ce moteur de progrès, on risque d’avoir les effets inverses à ceux espérés, tant en matière d’écologie que de sécurité routière.

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