Route de nuit - Où sont les femmes?
Depuis une vingtaine d’années, on ne voit plus de femmes au top niveau du sport automobile. Mais où sont les Michèle Mouton et Jutta Kleinschmidt des années 2020 ?
Walter Röhrl n’a pas la réputation d’être un tendre au volant d’une voiture de rallye. Il a même été deux fois champion du monde ! N’empêche, plusieurs fois, il s’est fait bananer par une petite jeunette : Michèle Mouton. Elle a raflé des temps scratch devant lui au Rallye de Monte-Carlo 1978, pilotant une Lancia Stratos, une auto terriblement difficile à manier à la limite.
Repérée par Audi, elle est engagée en championnat du monde et termine l’année 1982 à la deuxième place, sur une Quattro. Juste derrière Röhrl, alors qu’avec trois victoires, elle en comptait une de plus que lui ! Le décès de son père l’a, dit-on, profondément affectée, ce qui l’aurait poussée à la faute au rallye de Côte d’Ivoire.
Sans ça, elle eût peut-être glané les quelques points qui lui ont manqué. Par la suite, elle a battu tous les records à la redoutable Pike’s Peak en 1985 à bord d’une monstrueuse Audi Quattro Sport, raflé le championnat d’Allemagne des rallyes en 1986, cofondé The Race of Champions en 1988 et encore terminé seconde au Londres-Sidney en 2000.
Ce n’est qu’un aperçu du palmarès de Michèle Mouton, arrivée dans la compétition auto par hasard à 21 ans alors qu’elle se destinait à une carrière d’éducatrice spécialisée. Un des plus grands talents de l’histoire du sport automobile et la seule femme à avoir marqué des points en WRC.
Née de l’autre côté du Rhin, Jutta Kleinschmidt a, elle aussi, fait des étincelles. Son truc à elle, ce sont les rallye-raids, dans lesquels elle a débuté sur une moto en 1987 aux Pharaons. En 1988, c’est le Paris-Dakar, qu’elle gagnera plusieurs fois. D’abord dans la catégorie féminine moto, en 1993.
Ensuite en 2001 au général, sur une voiture, une Mitsubishi Pajero. Elle avait déjà terminé 3 en 1999 et arrivera encore sur le podium, à la 2 place, en 2002, voire encore 3 en 2005 au volant d’un proto Volkswagen Touareg ne ressemblant que très loin au modèle de série. Bref, Michèle Mouton et elle ont excellé dans des courses très dures à bord de voitures très rapides et dangereuses.
Aujourd’hui, la compétition automobile est bien plus sécurisée qu’aux époques respectives de Michèle Mouton et Jutta Kleinschmidt. Et les femmes ont disparu du top niveau. Que s’est-il passé ?
Ni l’une ni l’autre ne se l’explique vraiment. A une époque où l’on ne cesse – à juste titre – de dénoncer les méfaits du sexisme dans la société, pourquoi ne sont-elles pas plus présentes dans les autos du WRC, au Dakar ? Sans même parler de la catégorie-reine, la Formule 1, où elles ne sont d’ailleurs que deux à s’être engagées : Maria Teresa de Filippis en 1958 et Lella Lombardi de 1974 à 1976.
On peut parfaitement voir dans cette absence un machisme puissant, y compris du côté des sponsors, rechignant bien souvent à financer une femme qu’ils n’imaginent pas performer autant que les hommes. On peut aussi suspecter une inhibition chez bien des jeunes pilotes, pensant que puisqu’elles sont du sexe féminin, elles seront moins performantes et brillantes que les hommes. Alors qu’à aucun moment, la science n’a étayé ces faits.
Quand on considère les exploits de Mouton et Kleinschmidt en rallye, mais aussi de Florence Arthaud et Helen MacArthur en navigation (qu’est-ce qu’il faut avoir comme courage, comme force et comme endurance pour battre le record du tour du monde à la voile en solitaire !), sans oublier Jacqueline Auriol, pilote d’essai sur avion de chasse et détentrice de nombreux records sur Dassault Mystère, on se dit que la question des différences de capacité physique entre les hommes et les femmes n’est pas cruciale, pas plus que celles de la volonté de se surpasser et de la rage de vaincre. On pourrait aussi parler du football féminin, où ça cogne plus sévère que chez les hommes !
Les choses vont peut-être évoluer. Les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses en karting (même si elles ne représentent encore que 10 % des effectifs), et un championnat de monoplace W Series (pour Women) a été créé en 2018 pour leur permettre de démontrer leur talent et montrer que femmes ont leur place dans le sport automobile, et pas en tant que grid-girls. De plus, il est gratuit.
On y a vu réapparaître des pilotes féminines qui ne couraient plus, faute d’argent, les sponsors (car en course, la question de l’argent demeure, et c’est bien triste, plus cruciale que jamais) ne jouant pas forcément le jeu. Si cela changeait, cela pourrait raviver l’image du WRC et de la Formule 1, entre autres, et de là, rebooster l’image de l’automobile, attaquée de toutes parts… Surtout, contribuer à une vraie égalité femmes-hommes dans la société.
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