Sorties de crise - La crise de 1929 : les grandes marques automobiles tombent comme des mouches
Quels enseignements la société tirera-t-elle de la crise sanitaire ? Reprendra-t-elle le fil de l’histoire comme avant ou profitera-t-elle de cette alerte pour repartir sur de nouvelles bases ? Les hommes seront-ils plus réactifs après cette alerte qu’ils ne le sont face à la catastrophe écologique toujours latente, autrement plus sourde, plus lourde de conséquences, plus irréversible. Personne ne peut présumer de l’inépuisable aptitude de l’humanité à se reconstruire comme à s’autodétruire. On peut en revanche observer ce qui s’est passé les « jours d’après » les précédentes fractures de l’industrie automobile. Pour démarrer en fanfare, nous revenons sur la crise de 1929.
Le jeudi 24 octobre 1929, Wall Street s’effondre. Inéluctable aboutissement d’une frénésie spéculative qui n’a cessé de s’amplifier depuis 1926.
Les spéculateurs ont été alléchés par la possibilité d’acheter des actions à crédit et la perspective de réaliser rapidement des profits. Naïvement, personne n’imaginait que le cours des actions s’arrêterait un jour de grimper. Entre 1925 et 1929, la capitalisation boursière est passée de 27 milliards de dollars à 89 milliards ! La faillite de la firme Photomaton, le 29 septembre 1929, aurait dû alerter le marché.
Moins d’un mois plus tard, une avalanche de ventes déferle sur le marché new-yorkais à la veille du Jeudi noir. Les causes du krach boursier continuent d’alimenter le débat. Pour les progressistes, la situation résulte d’une manifestation aiguë des dysfonctionnements structurels du capitalisme, tandis que les libéraux n’y voient qu’un accident cyclique venant dérégler le fonctionnement de structures économiques fondamentalement saines.
La crise boursière engendre la Grande Dépression avec son cortège de faillites et de chômage. L’industrie automobile qui s’était trouvée en première ligne de la prospérité des années 1920, est durement frappée. Les ventes de voitures neuves aux États-Unis chutent de façon vertigineuse : de 2 500 000 exemplaires en 1930, elles sombrent à 1 500 000 véhicules en 1932.
Les grandes marques automobiles tombent comme des mouches. Peerless est une des premières victimes en 1931, Marmon jette l’éponge en 1933, Stutz en 1935, Auburn, Cord et Duesenberg en 1937, Pierce Arrow en 1938. Graham et Hupmobile agonisent jusqu’à la guerre. Dans l’industrie du luxe, seuls survivent les labels adossés à des groupes puissants, comme Cadillac membre de General Motors et Lincoln qui appartient à Ford.
La crise économique gagne l’Europe en 1933. La production française sombre de façon vertigineuse, passant de 230 000 à 179 000 exemplaires entre 1930 et 1935. Pour ne pas disparaître, beaucoup de constructeurs doivent se reconvertir ou se restructurer. Certains choisissent la production de véhicules utilitaires, comme le lyonnais Rochet-Schneider qui interrompt la fabrication de ses voitures dès 1932. Son compatriote Berliet poursuit jusqu’à la guerre. Hispano-Suiza recentre ses activités sur l’aéronautique à partir de 1937. Des restructurations plus drastiques frappent Talbot (reprise en mains par Anthony Lago), Delage (absorbée par Delahaye) ou Voisin (qui dépose son bilan).
André Citroën est contraint de chercher de l’aide. En février 1934, les banques refusent de lui accorder un nouveau crédit ; il doit déposer le bilan de sa société en décembre 1934 et cède ses actions à Michelin, son principal créancier.
Partout dans le monde, on constate la même désolation : Isotta-Fraschini; Itala et OM déposent les armes en Italie, Minerva jette l’éponge en Belgique. En Grande-Bretagne, Bentley a été rattrapé in extremis par Rolls-Royce en 1931.
Aux États-Unis, le président Franklin Delano Roosevelt trouve une nation en pleine déconfiture quand il prend ses fonctions à la Maison-Blanche, le 4 mars 1933. La crise a déstabilisé la vie d’un pays qui cherche désespérément des solutions inédites. L’Amérique compte douze millions de chômeurs et se trouve confrontée à la misère.
Le président démocrate lance le New Deal, un projet économique et social qui entre en application le 12 mai 1933. Réduction du temps de travail, imposition d’un salaire minimal, protection des banques, dévaluation du dollar… Un plan draconien est mis en œuvre pour résorber le chômage et accroître la productivité.
Pour relancer la machine, il faut envoyer des signes d’optimisme. Les designers sont persuadés que le design sera l’un des moteurs de la reprise. Une nouvelle génération s’épanouit. Raymond Loewy est le chef de file d’un groupe qui comprend aussi Walter Teague, Henry Dreyfuss, Norman Bel Geddes et Harold Van Doren. Ensemble ils participent au mouvement du streamline qui imprime des formes fluides à tous les objets usuels, aux articles ménagers, aux moyens de transport et même à l’architecture.
Mais au-delà de leurs vœux pieux, les designers se heurtent à une population désespérément conservatrice. Chrysler est le seul constructeur à mettre sur le marché une voiture inspirée par le streamline. L’Airflow fait sensation avec sa caisse monocoque, sa calandre arrondie, ses phares intégrés et son vaste espace habitable. Elle séduit 11 000 acheteurs pendant sa première année de commercialisation, puis les ventes diminuent comme une peau de chagrin : 8 000 en 1935, 6 275 en 1936, 4 600 en 1937… La clientèle lui préfère l’Airstream plus conventionnelle. Les stylistes de Chrysler sont allés trop vite et top loin.
La faillite de l’Airflow pose la question de la capacité du public américain à assimiler l’innovation. Elle met en relief ses réticences à accepter la différence, assumer le progrès et tout simplement participer à sa contemporanéité. Les consommateurs américains sont en majorité des suiveurs, rarement des défricheurs. Ils roulent comme ils se logent, comme ils s’habillent, comme ils pensent : dans le conformisme et la conformité.
Les Européens réagissent de la même manière. La plupart des constructeurs apportent des modifications mineures au style des voitures à partir du millésime 1934. Comme en Amérique, on voit fleurir des carrosseries qui revendiquent une ligne prétendument « aérodynamique ». Les pare-brise s’inclinent, les calandres s’arrondissent, les arrières s’allongent, et les ailes s’enveloppent. Des mesures minimalistes. Les solutions radicales sont rares. Peugeot est le seul constructeur à suivre la même voie que Chrysler avec la ligne « fuseau-Sochaux » appliquée à la 402. Renault tente une prometteuse Viva Grand Sport dessinée par l’avionneur Marcel Riffart… mais le modèle rentre dans le rang au bout de quelques mois.
Après une longue période de troubles, le Front populaire remporte les élections législatives de mai 1936. Cette coalition composée des principaux partis de gauche gouvernera la France jusqu’en avril 1938. Un mois après les élections, les Accords de Matignon instituent la semaine de quarante heures et les deux semaines de congés payés.
La France découvre la civilisation des loisirs mais l’industrie automobile ignore les évolutions de la société. Tous les constructeurs ont abandonné le projet de concevoir une voiture populaire. Il n’y a plus de très petites voitures au catalogue. Ni Renault ni Citroën n’en proposent. Seul Peugeot, Rosengart et Licorne s’adressent encore à la clientèle la plus modeste. Et la situation est semblable partout en Europe. La seule voiture minimaliste européenne est la Fiat 500 Topolino.
En Amérique, GM est le groupe qui s’en sort le mieux, en gérant correctement la baisse de la production, en abaissant le seuil de rentabilité, en maîtrisant la sous-traitance. Résultat, en 1936, Chevrolet destitue Ford à la première place du marché américain. Il faut dire que Ford a manqué de vision. Alors que Chevrolet avait introduit un moteur six-cylindres en 1929, Ford réplique en 1932 avec un V8 inopportun.
Des deux côtés de l’Atlantique comme de l’autre, les chiffres de vente repartent à la hausse. Tout s’arrête en 1939 en Europe et en 1942 en Amérique du Nord…
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