Voiture électrique : marche arrière toute ?
Les voitures électriques chinoises ne déferlent pas encore en Europe. Pas encore mais pourrons-nous y échapper, protéger notre industrie, nos emplois ? Faut-il garder le cap 100 % électrique ?
Principal point d’entrée des voitures importées en Europe, le port d’Anvers-Zeebruge est littéralement engorgé de voitures électriques chinoises.
Cette information, lue et entendue partout sonne comme un tocsin : alerte rouge au péril jaune ! Faut-il être vert de peur pour nos constructeurs européens ?
Pour le moment, non. Si les importations européennes de voitures chinoises ont connu un boom de 80 % en 2023, elles ont, sur les deux premiers mois de 2024, diminué de 20 %.
Et si les constructeurs de l’Empire du milieu commencent à s’implanter solidement en Scandinavie – 20 % du très électrifié marché norvégien, 5% en Suède – ils pèsent encore peu dans les pays historiquement producteurs : 0,8 % du marché 2023 en France, 1,4 % en Allemagne et 2,75 % à l’échelle du continent. Il faut aussi préciser que les importations chinoises ne comprennent pas que des électriques, mais aussi des thermiques.
En fait, si les parkings d’Anvers débordent et qu’à chaque déchargement d’un cargo roulier on ne sait où les caser, c’est aussi parce qu’elles ne s’écoulent pas aussi bien qu’on le croit ou qu’on le craint.
D’abord, parce que certains labels chinois ayant opté pour la vente directe, sans concessionnaires, ils n’ont d’autres lieux de stockage que leur port de débarquement. Sachant que certaines voitures restent exposées d’un an à 18 mois aux embruns salés de la côte belge et que l’on y manque de chargeurs pour entretenir leur batterie, on se demande qui voudra bien les acheter…
Ensuite, parce que ces constructeurs optent désormais pour des bateaux géants transportant jusqu’à 7 000 véhicules par rotation qui ne font plus escale dans les ports du sud de l’Europe – d’autant que l’accès au canal de Suez est rendu périlleux par les Houthis - mais déchargent l’intégralité de leur cargaison à Anvers.
Enfin, si les parkings sont pleins, c’est aussi parce que partout en Europe, à Wolfsburg, à Sochaux comme à Flins, les transporteurs routiers manquent de chauffeurs pour « dépoter » les voitures.
Bref, il n’y a pas encore péril en la demeure.
30 % de taxe ? Une gentillesse
Pas encore…
La semaine dernière, on apprenait que Cherry allait relancer l’ancienne usine barcelonaise de Nissan. C’est le deuxième constructeur chinois à s’implanter en Europe après BYD qui construit une usine en Hongrie, et avant qu’un troisième ne reprenne l’immense usine Ford de Saarlouis, en Allemagne.
Ces implantations européennes visent à contourner l’augmentation des droits de douane qu’envisage la Commission européenne en rétorsion à la distorsion de concurrence constituée par les aides publiques massives prodiguées par l’État chinois à ses constructeurs. Ces droits passeraient de 10 à 20 ou 30 %, une gentillesse comparée aux 100 % annoncés par Joe Biden et aux 200 % promis en surenchère par Donald Trump.
Surtout, cette augmentation des taxes européennes est peu probable : les constructeurs allemands, tous très lourdement impliqués en Chine devenue leur principale source de profit, n’en veulent pas par crainte de représailles. Et même Carlos Tavares, le patron de Stellantis n’y tient plus tellement depuis qu’il s’est associé au chinois Leapmotors dont il assume être le cheval de Troie.
Nul n’est méchant par intention
Quand bien même droit de douane il y aurait, ils devraient être énormes pour empêcher les constructeurs chinois d’empiéter massivement sur nos marchés.
À cela, deux raisons qui se complètent.
D’abord, il faut se remémorer la maxime de Socrate « Nul n’est méchant par intention ».
Ce n’est pas par désir de couler notre industrie automobile (13 millions d’emplois en Europe, 7% des salariés, 8% de son PIB) ni d’asservir le vieux continent que la Chine veut nous inonder de ses wattures. Mais avant tout parce qu’elle doit écouler ses excédents de production.
Tandis que le marché chinois de l’après Covid plafonne à 21 millions d’immatriculations par an – douze fois le marché français – les capacités de production culminent désormais à 40 millions d’autos, pour une production réelle proche des 30 millions.
C’est que le boom de l’industrie auto a été tel que l’Association chinoise des constructeurs automobile est incapable d’en donner le nombre exact. Le Wall Street Journal en dénombre cent vingt-trois (123 !) se livrant une guerre des prix sans merci. Il en résulte des marges très faibles voire négatives. Les bénéfices qu’ils n’engrangent plus sur leur marché saturé, BYD, Aiways, MG et consorts veulent les trouver à l’export, une pratique vieille comme l’industrie automobile.
Les États-Unis se fermant aux importations chinoises, ce débouché n’existe qu’en Europe, le dernier grand marché où se pratique encore cette chose étrange qu’on nomme le libre-échange. Un marché de rêve avec des droits de douane parmi les plus bas du monde, et surtout, extrêmement lucratif.
Car les constructeurs européens, forts du pricing power consécutif à la pénurie d’après Covid, ont tellement gonflé les tarifs que l’on peut y rester ultra-compétitif en vendant bien plus cher qu’en Chine, et malgré un coût de transport de 1 500 € par voiture.
Fin avril, une étude menée par l’agence Reuters révélait que les électriques chinoises étaient vendues en Europe à des tarifs deux à trois fois supérieurs à ceux de leur pays d’origine. Une BYD Dolphin tarifée 15 400 € à Pékin coûte 33 900 € à Paris.
On comprend dès lors que ce n’est pas en remontant de 10 à 20 voire 30 % les taxes à l’entrée du marché européen qu’on repoussera la menace. Ce qu’a prouvé MG en compensant instantanément auprès de ses clients la suppression du bonus de sa MG4.
Comment les constructeurs chinois parviennent-ils à de tels tarifs ? La guerre des prix déclenchée par Tesla l’an passé n’explique pas tout.
Pas plus la taille du marché chinois : certes, le VE y pèse désormais un quart des ventes et 20 millions de VE circulent déjà en Chine, très majoritairement de conception locale mais vu l’énorme variété des modèles, les économies d’échelle jouent peu.
La main-d’œuvre moins chère n’est pas non plus une explication suffisante : le salaire moyen de l’ouvrier chinois avoisine désormais les 900 € - plus de trois fois celui payé par Dacia dans son usine marocaine - et les salaires ne représentent qu’une faible part du coût de revient.
Plus sûrement le fait que les constructeurs chinois emploient peu de sous-traitants et produisent eux-mêmes la majorité des composants. BYD produit 75 % des pièces de ses voitures : moins de valeur ajoutée à partager et des délais de conception plus courts.
Ils sont aussi à la source de tous les composants essentiels, de l'électronique embarquée aux moteurs et surtout aux batteries qu’ils payent bien moins cher que leurs concurrents occidentaux. Sans oublier l’acier dont la Chine est de très loin le premier pays producteur mondial : huit fois la production indienne, douze fois celle des États-Unis…
L’autre raison du faible prix des VE chinois, citée par de nombreux spécialistes serait une conception simplifiée, affranchie des schémas et process traditionnels de la voiture thermique occidentale. Les Chinois se seraient davantage démarqués de nos productions qu’ils ne les ont copiées. J’ai un peu de mal à y croire, en tout cas ça ne saute pas aux yeux…
Revenir à nos points forts
Comment relever le défi ? Puisque la barrière douanière est soit inopérante parce que trop basse, soit utopique parce que trop haute, je ne vois qu’une seule manière de faire face : revenir sur l’objectif d’un marché européen à 100 % électrique en 2035 en activant la clause de revoyure prévue en 2026.
Il ne s’agirait pas de renoncer à nos objectifs de décarbonation de l’automobile, mais de nous appuyer sur nos points forts pour y parvenir : le moteur à explosion et l’hybridation. De créer un nouveau standard européen, avec ses propres normes d’émission, de sécurité et pourquoi pas, d’encombrement. En fait, de revenir à l’objectif de la voiture « 2 litres aux cent » promu par l’État français dans les années 2000.
Rien d’impossible : déjà, une Toyota Yaris ne dépasse guère les 3 l/100 et consommerait un tiers de moins en étant plus légère, basse et aérodynamique. En carburant pour moitié à l’éthanol - ou à l’essence synthétique que nous promet Porsche, produite à partir d’hydrogène vert et de CO2 - une telle voiture afficherait le bilan carbone d’une électrique. Et au fait, pourrait aussi être électrique, mais d’un format bien différent des monstres actuels.
Ce nouveau standard européen, loin d’être un particularisme local pourrait devenir un produit d’exportation vers tous les pays et continents - Inde, Afrique, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est… - où l’électrification des moteurs restera longtemps une chimère mais où l’urgence climatique commande de réduire les émissions de CO2. Et où la nécessité économique impose des véhicules thermiques beaucoup plus sobres. Ceux que l’industrie chinoise ne sait pas encore concevoir et produire.
Une utopie ?
Des utopies, il y en a d’autres. Comme celle qui consiste à croire que, d’ici 11 ans, les Espagnols, les Grecs, les Bulgares, les Roumains, les Hongrois, les Tchèques, les Polonais, les Irlandais n’achèteront que des voitures électriques - et de s’imaginer que celles-ci ne seront pas à 90 % chinoises.
Ou de se figurer que le patriotisme économique empêchera les automobilistes français, allemands, britanniques, espagnols, hollandais, belges ou italiens d’acheter des VE 30 % moins chers au motif qu’ils viennent de Chine.
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