Mouvement du 17 novembre: qui en veut aux automobilistes ?
Entre les 80 km/h, les carburants dont les prix flambent et la stigmatisation des adeptes du diesel, il ne fait pas bon être automobiliste ces derniers temps. Cela se traduit par une grogne générale qui pourrait aboutir à un mouvement de très grande ampleur le 17 novembre. Caradisiac s’intéresse aux ressorts d’un auto-bashing qui, paradoxalement,, n’empêche pas les Français de se ruer dans les concessions.
Rarement les automobilistes ont été à ce point matraqués. Depuis le début de l’année, ils ont ainsi connu l’abaissement de la vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire, une hausse inédite sur le prix des carburants, et ceux qui roulaient en diesel se voient maintenant stigmatisés par des pouvoirs publics qui pendant des années ont favorisé ce type de motorisations. Cela commence à faire beaucoup, et mérite que Caradisiac se penche sur les mécanismes de phénomènes dont le caractère vertueux (lutte contre la pollution, amélioration de la sécurité routière, etc.) est totalement annihilé par l’agacement qu’ils suscitent.
Auto-maso ?
Le passage à 80 km/h restera comme l’événement automobile majeur de l’année 2018. Mise en œuvre le 1er juillet dernier, la mesure continue de susciter l’agacement de près de 8 automobilistes sur 10, peu réceptifs à l’argumentation sécuritaire qui justifie son application. Dans un pays où 36 000 points de permis s’évaporent chaque jour, chaque nouveau tour de vis apparaît dans le meilleur des cas comme une injustice supplémentaire, et dans le pire des cas un moyen simple et efficace de faire entrer de l’argent dans les caisses. La Cour des comptes précise que la répression routière a rapporté près de deux milliards en 2017, dont plus d’un milliard généré par le seuls système de contrôle automatisé.
Avec les 80 km/h, le nombre de PV a ainsi logiquement augmenté cet été, sans que les statistiques ne s’améliorent : la mortalité routière a connu une hausse de 9% en septembre (342 victimes, contre 314 un an plus tôt). Et même si c’est la première fois que l’on passe sous la barre des 900 morts durant un troisième trimestre, il n’en demeure pas moins qu’au cumul des trois derniers trimestres, les statistiques sont moins bonnes que celles enregistrées en 2013 (1 195 victimes contre 1 155 cinq ans plus tôt chez les automobilistes).
Dans le même temps, on apprend que contrairement à ce qu’affirment les pouvoirs publics, ce ne sont pas 91% des sommes récoltées par les radars qui bénéficient à la lutte contre l’insécurité routière, mais au mieux 68%, voire moins.
Les autorités refusent en tout cas de changer de cap, comme l’a confirmé le ministre de l’intérieur Christophe Castaner au micro de RTL le 30 octobre : « si la mesure ne fait pas baisser le nombre de morts, on reviendra à 90 km/h. Si par contre on établit qu’elle a fait baisser le nombre de morts, j’aurai la fierté d’avoir assumé l’impopularité de cette mesure, mais en même temps de savoir qu’elle aura contribué à sauver des vies. »
Rendez-vous en juillet 2020 pour l’évaluation officielle de l’efficacité réelle des 80 km/h…et tous les mois sur Caradisiac pour commenter les statistiques officielles. Dans l’intervalle, l’argument le plus efficace en faveur de la baisse des limitations de vitesse est probablement le prix des carburants, qui bat des records.
Coûts de pompe
Les taxes ont augmenté de 7,5% sur l’essence et de 14% sur le gazole depuis un an, ce qui a eu pour conséquence une explosion du prix de l’huile lourde à la pompe : 1,52 € le litre en moyenne fin octobre (pour un prix du litre hors taxes de 0,65 €), soit un montant supérieur à celui du sans plomb ! Une première que les autorités assument pleinement : « nous taxons la pollution pour assurer la transformation écologique de notre économie », résume le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin, qui ajoute que l’« on ne peut pas à la fois regretter le départ de Nicolas Hulot et pester contre l'augmentation du prix du diesel ».
Hier louée pour ses faibles émissions de CO2, la technologie diesel est aujourd’hui montrée du doigt pour ses vilaines émissions de microparticules. Un virage à 180 degrés pour les pouvoirs publics, qui visent même son interdiction totale dans le Grand Paris, à l’intérieur d’une zone délimitée par l’A86, à l’horizon 2024 (l'année des Jeux Olympiques)!
Pour qui en douterait encore, il n’est pas prévu que la sur-taxation ralentisse en 2019, bien au contraire. « Une bonne politique, c’est de garder son cap », plaidait récemment le ministre des finances Bruno Le Maire dans les colonnes du Parisien / Aujourd’hui en France. « Nous ne ferons pas de retour en arrière. Est-ce que nous pouvons mieux faire ? Oui. Est-ce que nous devons mieux faire ? Oui. Est-ce que nous sommes prêts à améliorer encore les dispositifs ? Nous allons y travailler avec François de Rugy (ministre de l’écologie, NDLR), car nous ne sommes pas sourds. Nous entendons les remarques et les inquiétudes des Français, ceux qui sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler. »
Politiciens en embuscade
Des forces vives que les pouvoirs publics auraient en effet tout intérêt à choyer davantage. Les 80 km/h accréditait l’idée d’un gouvernement sourd aux attentes de la province, et la taxation renforcée sur les carburants, même si elle se justifie pleinement d'un point de vue écologique, ne fait que renforcer ce sentiment.
D’un côté une France d’en bas qui se sent stigmatisée, et de l’autre un pouvoir parisien qui apparaît coupé des réalités (et dont on aimerait qu'il donne réellement l'exemple en matière de lutte contre la pollution): les ingrédients d’un mélange explosif sont en train de s’agréger, comme en atteste le succès de la pétition contre la hausse des prix des carburants (plus de 500 000 signatures à ce jour), laquelle se double d'appels à « bloquer la France » le 17 novembre.
Un mouvement notamment relayé par Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), qui déclarait récemment sur RMC qu’« il faut bloquer toute la France le 17 novembre, il faut que la population française dise à ce gouvernement : "Maintenant, ça suffit" ». Et le députe de l’Essonne de se dire « convaincu qu’on peut changer l’histoire » et obtenir l’annulation de l’augmentation des taxes sur les carburants. Une contestation sur laquelle embraye logiquement la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen au micro d’Europe 1: « Il va falloir que le gouvernement comprenne que les Français n’en peuvent plus, ils ne peuvent plus se déplacer en voiture (…) Nos ministres vivent à Paris mais dans la ruralité la voiture c’est essentiel. »
Même si le porte-parole du gouvernement Benjamin Grivaux a qualifié de "grands irresponsables" ces leaders politiques qui appellent à un blocage des routes, il n'en demeure pas moins que de nombreux parlementaires, y compris de la majorité, s'alarment de mesure qui frappent durement la ruralité et plaident pour un meilleur respect de la solidarité territoriale. Réseaux sociaux aidant, la contestation monte dans des proportions inédites à ce jour. Craignons le retour de manivelle.
French paradox
De cet amas de mauvaises nouvelles émerge toutefois un paradoxe: plus on leur tape sur la tête, et plus les automobilistes français achètent des voitures. Depuis le début de l’année, le marché des modèles neufs a cru de 6,5% en volume, soit une progression sensiblement supérieure à celle enregistrée sur l’ensemble de l’année 2017 (+4,7%). Une euphorie que les industriels soutiennent à coup de nouveautés toujours plus attrayantes, avec des formules de location qui représentent 73% du montant total des financements de VN l’an dernier.
Quant à l’Etat, il accompagne le tout avec une prime à la conversion plébiscitée: 250 000 dossiers devraient être enregistrées cette année, alors que les projections misaient sur 100 000. Le succès du dernier Mondial de l'auto, qui a rassemblé plus d’un million de visiteurs alors même que beaucoup prédisaient un échec, continue de donner raison à cette observation de l’ancien Président Georges Pompidou: « les Français aiment la bagnole ». Pourtant, tout semble fait pour les en dégoûter.
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