"Pour vivre heureux, vivons cachés"… pourrait être la devise de la famille Peugeot. Liée à une image de tradition provinciale volontiers prudente et sérieuse, son histoire s’écoule comme un long fleuve tranquille. Armand Peugeot, issu de cette grande dynastie industrielle et bourgeoise, est le premier à pressentir l’avenir de l’automobile. Ce visionnaire passe alors pour un original au pays de Montbéliard.
Il l’était et il fonda un empire.
De mai à décembre 1889, Paris vit au rythme de l’Exposition universelle. Au pied de la longiligne carcasse de la toute jeune tour Eiffel, c’est un hymne à la civilisation industrielle, aux sciences et à la modernité. Après s’être étourdis au sommet de la flèche d’acier, des milliers de visiteurs se pressent sous l’immense arche qui ouvre la Galerie des Machines. Elle abrite les plus récentes et les plus merveilleuses inventions que la science vient de créer.
Au milieu de cet immense déballage où quelques élucubrations techniques côtoient des innovations qui feront date, l’automobile fait une apparition presque inaperçue. On peut y voir pourtant un tricycle biplace à moteur à vapeur construit par Léon Serpollet en collaboration avec Armand Peugeot. La première incursion de Peugeot, fabricant de cycles renommé, n’intéresse personne.
Si, dans l’esprit de l’époque, la machine est appelée à supplanter l’animal dans le domaine de la locomotion, la vapeur et ses contraintes semblent déjà appartenir au passé. Armand Peugeot le pressent. Quand il découvrira au détour d’une allée de l’Exposition des canots équipés de moteurs Daimler à "essence de pétrole", il en aura la certitude.
Armand Peugeot, curieux de tout, l’esprit toujours en éveil, croit depuis quelques années déjà à la locomotion automobile. Dans sa famille, il passe pour un homme que rien n’arrête, surtout pas l’aventure. Jeune ingénieur diplômé des Arts et Manufactures de Paris, il n’hésite pas à s’embarquer pour l’Angleterre. Le pays où est née la révolution industrielle s’impose à ses yeux comme un modèle.
"Armand le téméraire"
Pendant un stage dans une société de Leeds, il prend la dimension des futurs bouleversements industriels et commerciaux. Il en revient conquis par la bicyclette et n’aura de cesse de développer ce nouveau moyen de locomotion. Contre l’avis de son cousin Eugène avec qui il préside aux destinées de la société familiale "Les fils de Peugeot Frères", il réussit à imposer la production de cycles dans les usines du Haut-Doubs.
Dès 1885, année où les premières bicyclettes Peugeot sortent des ateliers de Valentigney, Armand songe déjà aux futures évolutions. C’est ainsi qu’il approche Amédée Bollée, puis Léon Serpollet, les pionniers du moteur à vapeur. Puis, déçu par l’indifférence du public, il rencontre Gottlieb Daimler.
L’ingénieur allemand n’a pas encore construit la lointaine ancêtre des Mercedes mais tente de faire connaître son moteur. Il en a confié la commercialisation pour la France à la société Panhard et Levassor. "Moi je fais les moteurs, vous faites les voitures", propose alors Levassor à Peugeot. Ce dernier relève le défi et le premier quadricycle Peugeot à moteur à explosion voit le jour en 1891. Lancé sur la route, il va parcourir sans gros soucis 2047 km en 139 heures. Un exploit qui fait du bruit ! La production passera de cinq voitures en 1891 à plus de quarante en 1894. Fort de ce premier succès, Armand Peugeot avec ses idées novatrices sur l’automobile est cependant bien loin de faire l’unanimité au sein du clan familial.
En 1896, il prend son indépendance et fonde la Société des Automobiles Peugeot. Dès lors, l’escalade se poursuit. Il rompt le contrat avec Daimler pour produire ses propres moteurs, élargit sa gamme, adopte des solutions novatrices pour satisfaire une clientèle aussi aisée qu’exigeante. Pendant ce temps, Eugène, le cousin incrédule d’hier, décide de se lancer à son tour dans l’automobile sous la marque "Lion-Peugeot". Secondé par ses trois fils et stimulé par la rivalité familiale, il ne manque pas son entrée en scène. Vives, intelligentes et relativement bon marché, les voiturettes vont en plus se couvrir de gloire en compétition.
Conscient que cette rivalité ne peut être que stérile, fragilisé financièrement, Armand Peugeot amorce un rapprochement avec les "hommes du Lion". La disparition d’Eugène en 1907 facilitera les négociations et la fusion se fera trois ans plus tard. La nouvelle "Société Anonyme des Automobiles et des Cycles Peugeot" possède l’apparence d’un gros consortium. En réalité, elle ressemble davantage à un énorme puzzle avec des pièces mal taillées où chacune des usines produit ses propres modèles sans véritable concertation.
Robert, Jean-Pierre, Roland et les autres…
La première guerre mondiale va imposer définitivement l’automobile et ouvrir une nouvelle ère, celle de la grande série. Cette période met en valeur les qualités d’un nouveau chef de famille : Robert Peugeot. Il est ouvert à toutes les idées, concilie la mesure et l’audace, joue la prudence mais exploite toutes les opportunités. Il décide souverainement des orientations, car il est le grand patron. Il a horreur de l’apparat, des mondanités et des honneurs. Un "esprit Peugeot" qui déborde du pays de Montbéliard pour imprégner une clientèle qui apprécie la sobriété alliée à la robustesse et ne goûte que modérément les innovations.
Toutefois, si le constructeur n’aime pas plus bousculer ses habitudes que celles de ses clients, il sera toujours à la pointe du modernisme. Suivant les modes avec ses modèles aérodynamiques des années trente ou misant sur le long terme en travaillant sur le diesel dès cette époque, Peugeot sera toujours en mesure d’anticiper les enjeux du futur sans fanfaronnade. L’innovation rimera toujours avec discrétion.
Jean-Pierre Peugeot puis son fils Roland sauront préserver l’héritage rigoriste et la réputation de sérieux de la Maison. Ce dernier, conscient des enjeux et des difficultés, saura également faire preuve de pragmatisme en ne sacrifiant pas l’avenir de l’entreprise à des impératifs familiaux. En 1965, la société se donne sous son impulsion une structure moderne et choisit alors comme PDG un homme extérieur à la famille.
Paroles de et sur Peugeot
"C’est en fabriquant que l’on apprend"
Armand Peugeot
"Puisant le meilleur de sa sève au sol natal, la famille Peugeot, à l’abri de simples et fortes traditions, groupe tout un pays autour d’une industrie chaque jour plus prospère."
Brochure publicitaire éditée en 1929
Ses grandes dates
• 1810 : deux frères, Jean-Pierre et Jean-Frédéric Peugeot créent une fonderie à Saint-Cratet dans le nord du département du Doubs.
• 1832 : l’entreprise familiale se transforme en société sous le nom de "Peugeot Frères aînés".
• 1876 : quelques années après le décès des fondateurs, la société adopte la raison sociale "Les fils de Peugeot Frères". Elle est alors dirigée par Armand et Eugène Peugeot, deux cousins petits-fils de Jean-Pierre.
• 1896 : création par Armand de la "Société des Automobiles Peugeot". Eugène reste à la tête des "Fils de Peugeot Frères" qui poursuit ses fabrications traditionnelles.
• 1905 : les "Fils de Peugeot Frères" se lancent à leur tour dans l’automobile en présentant des voiturettes baptisées Lion-Peugeot.
• 1907 : mort d’Eugène Peugeot. Ses trois fils souhaitent un rapprochement avec leur oncle Armand. Il intervient en 1910, lorsque les deux firmes fusionnent sous le nom de la "Société Anonyme des Automobiles et Cycles Peugeot". Robert Peugeot, fils cadet d’Eugène, en devient le président.
• 1912 : ouverture de la nouvelle usine de Sochaux.
• 1915 : mort d’Armand Peugeot
• 1928 : Jean-Pierre Peugeot, fils de Robert, prend la direction de la société.
• 1965 : constitution de PSA (Peugeot Société Anonyme) qui assure une gestion financière unique pour l’ensemble du groupe (automobiles, cycles, aciers et outillages). François Gauthier est nommé PDG du groupe. C’est la première fois que ce poste est confié à un homme extérieur à la famille.
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