Réveillé par le speaker ou la radio, le public revient en force et, plus question de quitter notre "position stratégique", pour un petit café noir et des croissants chauds à haut risque. La chaleur de l'ambiance fait vite oublier la faim et les pieds engourdis par le froid. A chaque passage, la Matra déclenche une ovation. Des jeunes, des moins jeunes, quelques mères de famille très dignes… Tous se dressent dans un seul élan, applaudissent, lèvent les bras, crient d'inutiles encouragements aux pilotes. Et puis, dès que la voiture bleue s'éloigne, la tribune voisine prend le relais faisant échos au public posté dans les balcons au-dessus des stands. Entretenue par le speaker, la fièvre monte. Il y a près de vingt ans déjà, qu'une voiture française a triomphé au Mans et depuis, aucune n'a été en mesure de gagner. Après une longue éclipse, le public français "se réconcilie" avec la course.
A chaque passage, le son du V12 Matra est presque un hymne,
un signe de ralliement
Fini le temps, où l'on tentait de se consoler avec les victoires à l'indice ou en petite cylindrée des valeureuses et bourdonnantes DB Panhard. Matra de retour en F1 est aussi de retour au Mans et peut gagner. On y croit, mais on a peur aussi. Après chaque passage, le silence s'installe. Certains ont amené des transistors et on tend l'oreille pour capter les flashs spéciaux. Au bout de trois minutes (le temps au tour est aux alentours des quatre minutes selon l'état de la piste), tout le monde guette le bruit du V12 et se rassure en l'entendant sonner haut et clair dans le lointain. Il n'y a plus que ce son, qui semble exister, presque un hymne, un signe de ralliement.
«La voix du haut parleur annonce des soucis d'allumage et, puis une première crevaison, le rêve de victoire de Matra s'envole».
Toute la matinée s'écoule à ce rythme avec le même rituel à chaque tour. Si la Ford GT 40 tourne comme une horloge, le V12 de la Matra semble plus hésitant. A midi, un arrêt ravitaillement, qui n'en finit pas. Tout le monde se penche, se tord le cou pour apercevoir le stand des bleus. Les paires de jumelles passent de mains en mains et chacun y va de son analyse ou de ses commentaires. Le V12 résonne enfin et la Matra reprend la piste sous une formidable clameur, qui donne le frisson. Quelques minutes plus tard, la voix du haut parleur redevenue audible annonce des soucis d'allumage et, puis une première crevaison, le rêve de victoire s'envole. Une deuxième place, c'est déjà énorme et on oublie vite la frustration. Moins de trois heures à tenir pour Pescarolo-Servoz Gavin et pour nous trois, tenter d'oublier la faim, qui nous tord l'estomac.
Film des 24 Heures du Mans 68. La nuit et la victoire de la Ford GT 40.
A peine rassurés, de nouveau l'inquiétude. Trois minutes, puis quatre, cinq et pas le moindre hurlement du V12 à l'horizon. La Matra est immobilisée entre Mulsanne et Arnage, un pneu a éclaté, annonce le haut parleur. On ne sait pas si Pescarolo, alors au volant peut ramener la voiture. Les minutes défilent, interminables. Les autres voitures continuent à passer devant nous, mais on ne les voit même pas. Et puis le dénouement avec l'abandon officiel et une sensation de vide, semblable à celle d'un film, que l'on ne voudrait jamais se voir terminer. Coup de fatigue, il est temps de tester la "gastronomie" locale de visiter le Village et de découvrir d'autres portions du circuit. Et un dernier coup de foudre pour les S du Tertre Rouge, où perchés au sommet du talus, on découvre de près les visages des pilotes, les mains sur le volant, les carrosseries maculées d'huile et de projections diverses.
Ford l'emporte
La ronde se poursuit, clairsemée avec seulement une quinzaine de voitures en piste, dont beaucoup semblent bien fatiguées. Les moteurs font dans le grave et nombre de pilotes, qui évitent les changements de vitesse pour ménager les mécaniques enchaînent les "S" sur leur lancée et souvent en sous régime. Vingt minutes avant l'arrivée, la cadence a encore chutée. Les trois Alfa Romeo se regroupent pour la photo et le public salue la Ford GT 40 victorieuse de Lucien Bianchi et de Pedro Rodriguez, l'enfant terrible du Mans, qui fit trembler la Scuderia Ferrari avec son frère Riccardo, alors qu'ils avaient à peine l'âge de passer le permis. Trop loin et trop fatigués pour revenir assister au défilé des vainqueurs, on retrouve le skaï douillet de la 404 et on parvient à s'extirper du circuit juste avant les bouchons.
Le public salue la Ford GT 40 victorieuse de Lucien Bianchi et de Pedro Rodriguez, l'enfant terrible du Mans, qui fit trembler la Scuderia Ferrari avec son frère Riccardo, alors qu'ils avaient à peine l'âge de passer le permis.
On se quitte à Paris en jurant de recommencer au plus vite. Il y a une course à Reims bientôt et le salon de l'Auto
On se quitte à Paris, en jurant de recommencer au plus vite. Il y a une course à Reims bientôt et le Salon de l'Auto. Rendez-vous est pris, mais en attendant le retour au collège le lundi matin. Sur le chemin, je claque mes dernières pièces jaunes dans l'achat de L'Equipe (une autre première) et, dans l'heure qui suit, je me fais "gauler" par le "prof" de français avec les pages autos ouvertes sur les genoux. Coup de chance, il aime la course auto, était lui aussi au Mans, a fait des photos et me propose comme "punition" de commenter une projection de diapositives. L'ancêtre de l'exposé, en somme et peut-être la petite étincelle, qui ne donnera envie d'écrire et de raconter des histoires…
La prochaine fois, Alain nous racontera comment en 1989, il s'est retrouvé en quelque sorte copilote d'Hannu Mikkola avant d'embarquer cette fois comme copilote Timo Salonen qui découvrant les talents incertains d'Alain sur la neige lui objecta tranquillement «"Slowly, please Alain, slowly » ..
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