Caradisiac : Que pensez-vous Me Tichit de la recommandation du CNSR* de contraindre les patrons de dénoncer systématiquement leurs salariés à réception d'un PV d'un radar automatique ?
Me Tichit : Le principe de la dénonciation est toujours délicat. Pour autant, on ne peut que constater en effet qu'il existe une véritable inégalité de traitement entre les conducteurs des véhicules flashés, selon qu'il s'agit de véhicules personnels, loués ou de véhicules de sociétés, c'est-à-dire des véhicules qui appartiennent à des entreprises, ce que l'on appelle dans notre jargon juridique des « personnes morales » par opposition aux « personnes physiques ». Alors en partant de ce constat, cette recommandation pourra paraître à beaucoup comme légitime...
Caradisiac : Mais vous considérez qu'en mettant en application une telle recommandation le système des radars automatiques ne pourrait plus fonctionner à plein régime et risquerait carrément de s'effondrer. Vous y allez peut-être un peu fort, non ?
Article L121-3 du code de la Route : (...) le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de l'amende encourue pour des contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées (...), à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu'il n'apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction.
La personne déclarée redevable en application des dispositions du présent article n'est pas responsable pénalement de l'infraction. (...)
Lorsque le certificat d'immatriculation du véhicule est établi au nom d'une personne morale, la responsabilité pécuniaire prévue au premier alinéa incombe, sous les réserves prévues au premier alinéa de l'article L. 121-2, au représentant légal de cette personne morale.
Article L121-2 du code la Route : (…) le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est responsable pécuniairement des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules (...), à moins qu'il n'établisse l'existence d'un événement de force majeure ou qu'il ne fournisse des renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de l'infraction.
Me Tichit : Je persiste, potentiellement, ce serait en effet la fin du système automatisé ! Je vous explique : dès lors que les patrons font en sorte de se protéger – et je leur recommande d'ailleurs toujours de le faire quand cela leur est possible –, en mettant en place des suivis précis de leur parc de véhicules leur permettant de savoir qui conduit telle ou telle voiture, et bien en procédant ainsi, ces gérants d'entreprises sont exonérées de toutes responsabilités pénales et pécuniaires, quand ils dénoncent leurs salariés [en application des articles L121-2 et L121-3 du code de la Route, les articles de référence en pareils cas ; cf. le rappel de ces articles dans notre encadré ci-contre, NDLR].
Pour être très claire, à partir du moment où les patrons sont en mesure d'apporter les éléments leur permettant de prouver que ce ne sont pas des désignations à la légère, mais que grâce à un suivi sérieux des véhicules, ils sont capables de dénoncer les personnes qu'ils pensent légitimement responsables des infractions relevées par les radars, ils peuvent échapper à toutes les sanctions : bien sûr au retrait de point(s), mais aussi et surtout au paiement de l'amende.
Et si je me permets de leur recommander d'agir ainsi, c'est que même si cela n'est pas le cas de figure le plus courant, il existe bel et bien aujourd'hui des patrons qui se retrouvent sans permis, alors qu'ils n'ont commis aucune infraction, parce que soit eux soit leurs salariés en faute paient les amendes radars sans se soucier des conséquences, et à la suite de quoi des points sont bel et bien retirés de leurs permis...
Caradisiac : Vous voulez dire que pour les véhicules de sociétés, quand les PV radars sont payés, il arrive que des patrons aient à subir des retraits de point(s) ? Ce n'est pourtant pas ce dont on entend parler…
Me Tichit : Parce que ce n'est pas le plus courant, mais cela ne veut pas dire que cela n'existe pas ! Je défends et j'ai eu à défendre des gérants de société qui ont dû faire face à cela. Et c'est d'ailleurs bien normal et logique. C'est le contraire qui est une anomalie ! Quand un véhicule appartient à une personne morale, donc à une entreprise, c'est le représentant légal de cette personne morale et donc le patron qui, en vertu de la loi [cf. notre encadré ci-dessus, NDLR], devient responsable… Or, le paiement de l'amende en droit pénal vaut reconnaissance de l'infraction. Et cette reconnaissance entraine le retrait de point(s). Il s'ensuit normalement automatiquement.
Quand on est innocent, en tout cas lorsque l'on considère l'être, si l'on veut échapper au retrait de point(s), il faut contester en bonne et due forme et passer au tribunal pour s'en expliquer. Certes, ce qui arrive le plus souvent avec les véhicules de sociétés, c'est qu'il n'y a pas de point retiré après paiement de l'amende, mais c'est une étrangeté. C'est parce que l'administration n'arrive pas à associer automatiquement et systématiquement un permis de conduire au représentant légal de la société. Le plus souvent, comme elle n'y parvient pas, il n'y a pas de retrait de point(s), mais je le répète, c'est une faille du système. Une véritable anomalie ! Et c'est cela déjà que nos autorités devraient commencer par essayer de régler.
Caradisiac : Bon, partons du principe comme vous le dites que si les patrons mettent en place un suivi sérieux de leurs véhicules, ça leur permet de se mettre en règle et d'échapper à toutes les sanctions en cas de déisgnation, y compris donc au paiement de l'amende… Mais celles-ci retombent alors directement sur les salariés dénoncés ! En quoi le système péricliterait ? Ce sont les salariés qui ont alors à subir non seulement le retrait de point(s), mais aussi le paiement de l'amende, en cas de désignation !
Me Tichit : Absolument pas ! Pas dans le cas où ces salariés dénoncés contestent à leur tour être responsables de l'infraction ! Les salariés qui nient aujourd'hui les faits – car cela existe déjà que des salariés soient dénoncés, il ne faut pas exagérer ! – sont entièrement relaxés, et ce, sans avoir à fournir aucune preuve de leur innocence ! Il ne peut en être autrement selon la loi et les articles du code de la Route en vigueur [articles rappelés dans l'encadré ci-dessus, NDLR]. Il y a d'ailleurs maintes jurisprudences qui le prouvent… J'en ai de nombreuses à mon actif.
Caradisiac : Mais comment est-ce possible ?
Me Tichit : C'est à l'administration de rapporter la preuve de la culpabilité des conducteurs. Or, peut-être que l'opinion publique ne l'a pas encore compris, mais dans le système du contrôle automatisé, il n'y a – ou c'est vraiment exceptionnel qu'il y en ait – aucune preuve de la culpabilité des conducteurs quand des véhicules sont flashés ! Car la plupart du temps, il n'est pas possible d'identifier les véritables responsables. La majorité des photos prises par les radars le sont par l'arrière. C'est systématique avec les radars feux rouges, les radars passages à niveau, et c'est plus que fréquent avec les radars de vitesse. Ensuite, même pris de face, la très grande majorité des clichés ne permet pas d'identifier le conducteur. Très sincèrement, c'est du domaine de l'exceptionnel.
Exemple de photo radar prise par l'avant
Caradisiac : Les responsables du CNSR que nous avons contactés assurent le contraire. Ils disent que les photos de face permettent de reconnaitre les conducteurs…
Me Tichit : Croyez-moi. Soit ils vous mentent, soit ils ignorent comment fonctionne réellement le système, ce qui ne m'étonnerait pas compte tenu de leur recommandation…
Caradisiac : Bon, mais si le système des radars ne repose sur aucune preuve, comment continue-t-il à tenir alors, sans même parler de ce suivi systématique des salariés et de leur dénonciation ?
Me Tichit : Mais tout simplement par l'instauration de ce que l'on appelle « l'amende du propriétaire payeur ». Le système ne tient que parce qu'il n'est quasiment pas possible, en tout cas cela n'est pas si simple que cela quand on est titulaire de la carte grise du véhicule, d'échapper au paiement de l'amende. Ne pas subir le retrait de point(s), ça c'est relativement facile, mais ne pas payer d'amende, ça, c'est très compliqué. Seule solution pour se dégager de toute sanction : être en mesure de prouver son innocence. C'est loin d'être évident, surtout d'ailleurs avec des photos prises par l'arrière. Je peux vous dire que quand les clichés montrent clairement qui conduit, et bien cela donne la possibilité aux propriétaires innocents de prouver qu'ils n'y sont pour rien. Sans dénoncer qui que ce soit d'autre, la loi ne les y obligeant pas, ils sont entièrement relaxés… Ce qui est donc rarissime. Sans preuve, comme c'est le cas généralement, ils n'ont pas d'autre choix que de payer ! Mais ça, cela ne vaut que pour les propriétaires !
Quand il ne s'agit pas du propriétaire du véhicule flashé, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas du titulaire du certificat d'immatriculation, ni de son représentant légal (soit du patron quand il s'agit d'une société), et bien cette amende du propriétaire payeur ne tient plus. Impossible de sanctionner une personne qui n'est pas propriétaire – ou bien encore locataire – du véhicule flashé. Point final !
Donc imaginez un peu si pour tous ces PV des véhicules de sociétés, les salariés désignés disent que ce n'est pas eux, il n'y aurait plus aucune rentrée d'argent… C'est la fin du système des radars automatiques quasi garantie !
C'est même stupéfiant que ces représentants du CNSR, qui sont quand même considérés comme des spécialistes, puissent proposer une telle recommandation qui démontrent à quel point ils ne comprennent rien au système du contrôle automatisé, mis en place il y a tout de même plus de dix ans. Comme s'il s'agissait d'un système juste... A ce moment-là que dire des propriétaires qui ont les moyens d'envoyer leurs avocats à chaque PV radars pour faire valoir qu'aucune preuve de leur culpabilité n'est présente dans le dossier de procédure et qu'en conséquence ils ne peuvent pas être condamnés ? Ces conducteurs, très bien conseillés et informés, échappent eux aussi systématiquement au retrait de point(s) !
Caradisiac : On peut tout de même s'offusquer que des menteurs puissent s'en sortir aussi facilement…
Me Tichit : Quels menteurs ? Qui ment ? Qui ne ment pas ? Comment le savoir sans preuve de leur culpabilité ? Et faire payer systématiquement des innocents, ce serait plus juste ? En mettant en place cette présomption simple de culpabilité, le système des radars automatiques est déjà grandement dérogatoire aux principes du droit pénal. Alors encore heureux que les personnes qui clament leur innocence, alors même qu'il n'existe aucune preuve de leur culpabilité dans la procédure, ne puissent être reconnues coupables et condamnées ! Heureusement, qu'elles sont relaxées sur le plan pénal ! Et ça, dans un Etat de droit comme le nôtre, il ne peut en être autrement… A priori, ça, ce n'est pas près de changer.
Caradisiac : Reste que la loi peut évoluer... C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour les patrons qui pouvaient plus facilement échapper au paiement de l'amende par le passé…
Me Tichit : Oui, on peut tout imaginer. Mais faire en sorte que les salariés deviennent ce que l'on appelle des « redevables pécuniaires », au même titre que les propriétaires des véhicules ou les locataires, ce n'est pas si simple que cela et ça me paraît peu probable. Corser encore un peu plus la règle pour les patrons, qui ne pourraient plus payer (que ce soit eux ou leurs salariés d'ailleurs) sans avoir à subir de retraits de points afin de les contraindre à dénoncer, peut-être… Mais à ce moment-là, je le répète, les salariés désignés qui clameront leur innocence s'en sortiront facilement. Et c'est toute une manne financière qui échappera dès lors aux caisses de l'Etat. Il ne serait donc pas si étonnant qu'un certain immobilisme s'applique en la matière.
*Qu'est-ce que le Conseil national de la Sécurité routière (CNSR) ?
Le Conseil national de la Sécurité routière (CNSR) est une instance de concertation. Il réunit des représentants de tous les usagers de la route (associations d'automobilistes, de motocyclistes, de victimes…). Son rôle est « de préparer et d’évaluer la politique des pouvoirs publics en matière de sécurité routière », dixit la présentation officielle du CNSR. Pour ce qui est de l'évaluation, on attend toujours les études que le Conseil aurait menées pour confirmer qu'il s'en occupe… Pour le reste, le CNSR adresse en effet régulièrement au Gouvernement des propositions pour lutter contre la violence routière. Ce lundi 11 mai, parmi les dernières recommandations qu'il compte faire, il a ainsi d'ores et déjà officialisé qu'il entendait mettre à l'ordre du jour « l'impunité des salariés » au volant.
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