Autoroutes : entre statu quo et renationalisation, le Sénat en quête de solution
Tandis que les tarifs aux péages sont réévalués ce samedi, comme chaque année au 1er février, le Parlement s'apprête une énième fois à étudier la question de la gestion des autoroutes françaises par de grands groupes privés. C'est le Sénat qui s'y colle cette fois avec une commission d'enquête dont les 21 membres ont été désignés mercredi. Leurs travaux devraient démarrer d'ici une à deux semaines.
À la demande du groupe centriste, une commission d'enquête vient d'être créée sur "le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières" au Sénat, avec comme objectif "de faire le bilan du mode de gestion du réseau autoroutier", autrement dit avec l'idée d'évaluer la privatisation des concessions autoroutières. Le Parlement n'en est pas à ses premiers travaux sur le sujet… À se demander ce qu'il pourrait trouver à dire de nouveau sur le dossier !
Avec cette commission d'enquête, c'est la promesse de faire "un point complet de la situation des autoroutes en France", nous annonce-t-on dans les documents y afférant. Avec trois axes d'étude :
- les conditions d’attribution et de renégociation des concessions autoroutières ;
- l’équilibre économique des concessions ainsi que son impact sur la durée des contrats et le tarif des péages ;
- les travaux réalisés sur les voies concédées et leur contrôle par l’État, notamment au regard du droit communautaire.
Et pour finir, cette commission d’enquête étudierait la "possibilité de dégager une voie alternative entre celle des défenseurs du statu quo et celle des partisans d’une renationalisation de l’exploitation des autoroutes"… Ce serait donc ça la nouveauté ! Une alternative à ce que l'on connaît déjà...
Les autoroutes en France : plus de 90 % aux mains de grands groupes privés
Le réseau français est à plus 90 % exploité par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) dites historiques - ASF, Escota et Cofiroute du groupe Vinci, APRR et AREA d'Eiffage et du fonds australien Macquarie, puis Sanef et SAPN de l'Espagnol Abertis -, celles-là mêmes qui ont été complètement privatisées en 2006.
En 2018 (la publication des chiffres 2019 étant encore attendue), ce sont plus de 10,2 milliards d'euros qui ont été encaissés aux barrières, et donc largement par ces SCA dites historiques, dont le résultat net équivaut, selon nos calculs, à 31 % de ces recettes. Et pour les actionnaires de ces grands groupes, c'est le jackpot ! Toujours selon nos calculs, en 2018, ce sont 2,8 milliards d'euros qu'ils se sont partagés à partir de cette manne, soit plus du double des investissements effectués (1,3 Md'€) cette même année.
L'État n'est certes pas en reste : la part fiscale correspond en effet à 30 % des recettes. Une certitude : le business des autoroutes est particulièrement rentable, comme maintes rapports – de la Cour des Comptes à l'Autorité de la Concurrence en passant par le Parlement - l'ont déjà pointé.
Les 21 membres de la commission d'enquête ont été désignés mercredi soir. "La date de leur première réunion au cours de laquelle sera nommé leur bureau, avec l'élection de leur président et de leur(s) rapporteur(s), n'est pas encore fixée, mais elle devrait intervenir la semaine prochaine ou au plus tard la semaine suivante", nous indique un porte-parole de la Haute assemblée.
Lors de cette première réunion, un programme de travail sera également établi, ainsi qu'une liste de personnes à auditionner. Des auditions que la commission peut alors rendre publiques - ou pas -, à sa convenance. À partir de sa création, elle a théoriquement six mois pour aboutir à un rapport et formuler des propositions.
La privatisation de 2006 au cœur de la polémique
Pourquoi le Parlement s'empare-t-il si régulièrement du sujet ? Le niveau de la rente autoroutière, très élevé, qui bénéficie pour une très large part à de grands groupes privés depuis la privatisation des concessions en 2006, a tout simplement bien du mal à passer auprès de la population. L'Autorité de la concurrence en 2014 l'avait d'ailleurs souligné : "la rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires d’autoroutes 'historiques' est assimilable à une rente, qui doit être davantage régulée en faveur de l’État et des usagers." Sauf que depuis ce constat, la situation n'a pas vraiment évolué. Alors forcément le ou les politiques qui trouveraient la solution pour y remédier auraient de grandes chances d'être plébiscités !
L'ancien député PS de l'Indre, Jean-Paul Chanteguet, lui-même rapporteur d'une mission d'information en 2014 à l'Assemblée nationale, qui préconisait alors la renationalisation des concessions, nous rappelle les éléments de base : "Au moment de leur privatisation en 2006, il était question que, sur la durée restante des concessions, celles-ci dégagent 40 milliards d'euros de dividendes. Or, ce sont 20 milliards de plus qui seront empochés, en réactualisant les projections, c'est énorme ! Surtout comparé au niveau des investissements de départ".
De combien étaient-ils ? En 2006, la privatisation a rapporté 15 milliards d'euros à l'État. En tout, on peut évaluer que la mise de départ s'est élevée à 19 milliards d'euros, en rajoutant ce qui a aussi été versé lors des précédentes ouvertures de capital en 2002, 2004, puis 2005… De fait, il est vite apparu que les sociétés d'autoroutes avaient été sous-évaluées. Dès 2006, une étude cosignée par Noël Amenc et Philippe Foulquier, professeurs à l'Edhec, montre que les Autoroutes du Sud de la France (ASF) auraient dû être vendues 30 % plus cher à Vinci. Partant de là, les auteurs évaluent "un manque à gagner de 10 milliards d'euros" pour l'État sur l'ensemble des cessions.
La fin des concessions à La Saint-Glinglin ?
Mais au-delà du prix de ces sociétés d'autoroutes, c'est surtout cette décision de les privatiser qui reste au cœur des critiques, à un moment où il ne restait presque plus qu'à profiter de la rente issue des investissements effectués jusque-là. À l’époque, en 2006, sous la présidence de Jacques Chirac, le Premier ministre Dominique de Villepin et le ministre des Finances Thierry Breton avaient justifié cette privatisation par l'impératif de financer le désendettement de la France… Mais "que représentent les 15 ou même 19 milliards d'euros récupérés par rapport à la dette [déjà plus de 1 000 milliards d'euros à ce moment-là] de la France ?", fustige Jean-Paul Chanteguet.
La durée des concessions : des contrats jusqu'à quand ?
Fin de la concession | Aujourd'hui | À l’origine | Durée initiale (actuelle) |
Cofiroute | 2034 | 2009 | 39 ans (64 ans) |
ASF | 2036 | 2012 | 20 ans (44 ans) |
Escota | 2032 | 2005 | 23 ans (50 ans) |
APRR | 2035 | 2010 | 24 ans (49 ans) |
Area | 2036 | 2015 | 27 ans (48 ans) |
Sanef | 2031 | 2011 | 21 ans (41 ans) |
SAPN | 2033 | 2015 | 20 ans (38 ans) |
La perspective d'une renationalisation semble aujourd'hui complètement écartée. À l’inverse, c'est un nouveau rallongement de la durée des concessions qui reste toujours à prévoir. Or, pour la Compte des Comptes qui s'en est expliquée il y a un an dans un référé, ce rallongement "comporte l’inconvénient de repousser sans cesse (…) la remise en concurrence des concessions." Et de fait, on n'en voit jamais le bout (voir notre tableau ci-dessus). Si l'on s'en était tenu à la durée prévue initialement, tous les contrats de concession seraient aujourd'hui achevés. Or, au mieux maintenant, la Sanef remettra les clefs de sa concession en 2031… sauf donc en cas de nouvel allongement.
En attendant les conclusions de cette commission d'enquête au Sénat, les tarifs aux péages seront de nouveau réévalués ce samedi 1er février, comme chaque année. Cette hausse, moins forte qu'annoncée en raison de la baisse continue de l'inflation, doit tourner en moyenne à 0,85 %… Ce qui reste comme toujours supérieur à la dite inflation donnée à 0,6 %.
Pour aller plus loin :
Autoroutes : pourquoi l’État tient-il à garder secret un accord qui ne l'est déjà presque plus ?
Péages - Autoroutes : pourquoi un nouveau gel des tarifs serait une très mauvaise idée ?
Autoroutes : de futures hausses de péages injustifiées pour les usagers !
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