Ces voitures dont les vendeurs ne veulent pas
Trop chères, trop complexes, ou trop différentes, ces autos auraient pu avoir une destinée différente si elles avaient remporté l’adhésion des commerciaux chargés de les vendre. Mais ceux-ci ont été tributaires de constructeurs parfois méprisants…
Les rapports entre les constructeurs et leurs réseaux de distribution sont souvent compliqués, surtout à l’heure actuelle. Si le pouvoir de ces derniers s’est considérablement réduit durant la dernière décennie, fut un temps où ils pouvaient fortement influer sur la carrière d’une auto. Au point, parfois, de la compromettre en dissuadant les clients de signer un bon de commande, comme le montre la liste qui suit, absolument pas exhaustive.
Je pense d’abord à un modèle injustement méconnu : la Volkswagen K70. Très élégamment dessinée par les équipes de Claus Luthe, auteur de la Ro80, cette berline moyenne doit, en 1969, prendre place dans la gamme NSU sous sa grande sœur à moteur rotatif. Le lancement est prévu pour mars , et le matériel promotionnel fabriqué. Hélas, la marque de Neckarsulm, en très mauvaise santé, va passer, selon les rumeurs, dans giron de Volkswagen. Aussi retarde-t-on la révélation de la K70.
Finalement, VW rachète NSU en avril 1969 et considère que la K70 constituerait un remplacement très valable à ses archaïques 411/412. Au tout dernier moment, l’ex-future NSU se voit donc rebadgée Volkswagen. Une bonne idée ? Peut-être, mais le réseau de la marque de Wolfsburg n’en veut pas. Pourquoi ? Parce que depuis le début, celui-ci est biberonné aux bienfaits du flat-four arrière. Or, la K70 est une odieuse traction, dont le 4-cylindre en ligne est refroidi par eau qui plus est ! Faute d’avoir su gérer cette révolution culturelle, VW rate initialement sa conversion aux roues avant motrices car le réseau, pas du tout préparé, méprise la K70.
De plus, celle-ci consomme un peu trop et pâtit de la réputation désastreuse (et justifiée) de la Ro80 en matière de fiabilité. Les vendeurs ne feront donc que peu d’efforts pour vendre la 1ère Volkswagen à roues avant motrices de l’Histoire. La K70 est retirée dès 1975 au profit de la Passat qui, elle, sera un succès.
A la même époque surgit un superbe vaisseau autoroutier : la SM. Beau à se damner, performant et très sophistiqué, le coupé Citroën est aussi très sophistiqué. Et hors de prix ! Ces deux derniers points vont jouer un rôle déterminant. Si le réseau Citroën a su s’habituer à la complexité du système hydraulique inauguré par la DS en 1955 (après un avant-goût donné par la 15-6H), il se retrouve confronté à de nouveaux challenges avec la SM: la Diravi (direction à rappel asservi), qui par bonheur fonctionne très bien, et surtout le V6 Maserati qui, lui, n’est pas au point.
Sa distribution par chaîne, notamment, pose problème, et le réseau, au contraire du constructeur, n’est pas au courant. De plus, la SM attire un nouvelle clientèle haut de gamme, habituée aux Porsche, Jaguar, Mercedes... Conséquence, les commerciaux du double chevron se retrouvent à devoir effectuer des reprises sur des 911, de Type E, des SL, des voitures infiniment plus chères que ce à quoi ils sont habitués. Premier problème. Deuxième problème, ils accueillent ces clients souvent comme ils le font pour ceux des 2CV, dans les mêmes bâtiments et les mêmes show-rooms. Ce qui passe mal. Comme de surcroît, des SM au moteur cassé vont rapidement leur revenir, ils vont renâcler à les vendre. La crise du pétrole de 1973 achèvera de les dissuader à accepter de prendre des SM neuves en stock.
Le constructeur aurait dû anticiper tout ceci et bien préparer son réseau, en le formant comme il se doit, en l’aidant à se doter des infrastructures adaptées au niveau de gamme de son coupé, et en lui faisant procéder préventivement aux changements de chaîne de distribution. Mercedes le fera en douce sur celles de son V8 5,0 l et de son 4-cylindres M102, dans les années 70-80. Mais les finances de Citroën étaient déjà dans le rouge en 1970, Peugeot sauvant la marque en 1974.
A cette époque, Renault décide d’investir le segment des compactes, après avoir co-construit avec Peugeot la Française de Mécanique et son usine de moteurs à Douvrin. La Régie obtient le droit d’utiliser le moteur X, très moderne avec son arbre à cames en tête et sa fabrication tout alliage, apparu dans la 104. Le losange l’implante dans son nouveau modèle, lancé en 1976 : la R14. D’un dessin très avancé (mais un peu trahi lors de son industrialisation), elle est la première Renault dotée d’un moteur transversal.
Hélas, ce dernier, conçu par Peugeot, défrise totalement les vendeurs. Quoi ? Après des années à dénigrer les productions de l’ennemi de Sochaux, il va falloir non seulement les vanter mais aussi les vendre et les entretenir ? Jamais ! Billancourt n’a pas su anticiper cette incompatibilité culturelle et se reproduit en France ce qui a nui à la carrière de la K70. Résultat, la R14 ne remplit pas ses objectifs, desservie par ailleurs par une publicité stupide (vous savez, la poire). Toutefois, malgré tous ces vents contraires, la Renault parviendra à s’écouler à près d’un million d’unités jusqu’en 1983, année où elle est remplacée par la R11… bien moins moderne par son moteur Cléon fonte culbuté.
« Madame, il n’y en a plus ». Ces paroles ahurissantes, je les ai encore en tête, près de 23 ans après les faits. Nous sommes fin 2001 et une personne de ma famille souhaite acheter, contre mes conseils, une Fiat Stilo Abarth. Nous nous rendons chez le concessionnaire le plus proche, auprès duquel cette personne a déjà acheté une voiture, pour qu’elle passe commande. Là, le vendeur et son chef l'éconduisent tout net. Incompréhensible. La Stilo vient d’être présentée, et on se heurte à un mur commercial. Le bon sera signé, mais dans une autre concession, à 30 km de là.
L’explication me sera donnée bien des années plus tard par un haut dirigeant de Fiat France. Avant d’être révélée au public, la Stilo l’a été aux concessionnaires, lors d’un grand barnum à Lyon, à la rentrée 2001. Ceux-ci n’ont pas exactement été enthousiasmés par la compacte turinoise. Ils l’ont jugée laide dans sa version 5-portes, puis ont été abasourdis par les prix, très supérieurs à ceux des Bravo-Brava qu’elle remplaçait. « Mais comment on va vendre ça ? », se sont-ils demandé. Surtout que les relations avec la maison-mère, très autoritaire, sont mauvaises. Pire, presque tous pâtiront de bugs électroniques en rentrant chez eux en Stilo. Là, ça a été clair : voiture moche, chère, peu fiable et des remboursements de prises en garantie par le siège qui n’auront lieu que très tard (voire pas du tout)…
Conséquence, ils ne fouleront pas pour vendre la Stilo, surtout l’Abarth, la version la plus inquiétante car gavée d’électronique avec sa boîte robotisée et son GPS. La personne de ma famille a bien reçu la sienne, avec des mois de retard et surtout pas la configuration demandée. De guerre lasse, elle l’a acceptée. Cette Abarth a-t-elle été fiable ? Mécaniquement, oui, l’embrayage ayant même passé les 200 000 km. Quant à l’électronique, elle n’a commencé à poser problème que bien après les 100 000 km. Comme quoi…
Des réseaux déconcertés par la stratégie des constructeurs, c'est monnaie courante. On aura une pensée émue pour les commerciaux de la funeste British Leyland, dans les années 70, devant se battre pour vendre des voitures laides, peu fiables et inadaptées à la demande. Ou ceux de Peugeot qui, du jour au lendemain, ont dû investir pour commercialiser des Talbot vieillissantes dans leurs locaux. Sans oublier les vendeurs Alfa Romeo aux prises avec une 155 à la technologie Fiat, l'ennemi de Turin, au début des années 90. Quant aux à leurs confères de Lancia, à qui on a imposé des Chrysler rebadgées dans les années 2000-2010, ils ont dû verser quelques larmes de désespoir...
D’une manière générale, les concessionnaires sont un peu les oubliés de l’Histoire automobile. Pourtant, sans eux, point du succès possible pour les constructeurs. Parmi ces derniers, certains soignent leurs réseaux, d’autres les méprisent, ce qui se reflète dans la note attribuée annuellement par les vendeurs à la qualité des autos qu’ils distribuent. En fait, ils jugent d'abord leur maison-mère, et leur évaluation peut refléter le traitement qu’ils réserveront ensuite à la clientèle.
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