DESIGN BY BELLU - Eloge de la pureté : le design épuré serait-il donc l’affaire de l’esprit, et la tentation baroque, une dérive dégoulinante de la sensualité la plus démonstrative ?
Le design automobile, comme la mode et beaucoup d’actes créatifs, vit au rythme d’une sinusoïde qui oscille entre des extrêmes. Après avoir connu un style alambiqué à l’excès, de nombreux signes annoncent une recherche de pureté.
Depuis plusieurs années, le design Mazda donne le ton. En 2015, la RX Vision H avait frappé les regards en affichant un dépouillement inédit dans un environnement se complaisant dans l’orgie décorative. Deux ans plus tard, le concept-car Vision Coupé (que l’on a pu voir à Paris en janvier dernier aux Invalides) a confirmé la tendance.
Les deux projets illustrent les partis pris du style « kodo » qui a été initié par un designer aussi brillant que discret, Ikuo Maeda qui a succédé chez Mazda à Laurens van den Acker quand celui-ci est passé chez Renault.
Lorsque Ikuo Maeda parle du « kodo » - littéralement âme du mouvement - on discerne une concentration profonde, semblable à celle du calligraphe sur le point d’asséner le geste d’où jaillira un kanji…
Le design épuré serait-il donc l’affaire de l’esprit alors que la tentation baroque apparaîtrait comme une dérive dégoulinante de la sensualité la plus démonstrative ?
Sans aller jusqu’à imaginer que certains designers sont attirés par un ascétisme cistercien tandis que les autres se vautreraient dans le luxe et la luxuriance, la question mérite d’être posée…
Toujours est-il qu’aujourd’hui, plusieurs projets suivent la voie ouverte par Mazda. Par exemple la Genesis Essentia (photo ci-dessous) dévoilée en avril dernier à New York. Son style s’écrit autour de lignes tendues avec précision et de volumes modelés avec justesse.
Même les designers de Daimler - qui n’ont pourtant pas été avares en débordements au cours des derniers mois - savent parfois se retenir comme en témoigne la nouvelle Classe A qui s’est débarrassée de ses balafres sur les flancs.
Plus remarquable encore la Mercedes-AMG GT à quatre portes (photo ci-dessous), aux formes lissées… Avec toutefois un bémol : son traitement a du mal à trouver sa personnalité et rappelle un peu trop le langage formel de Porsche.
Même remarque chez Infiniti dont le concept-car Q-Inspiration (ci-contre) renonce aux complications chères à la marque pour adopter des formes voluptueuses. Au risque ici aussi de s’approcher des canons de Porsche.
Car en matière de courbes et de rondeurs, le design Porsche domine son sujet depuis longtemps avec une rare maestria. La nouvelle Taykan (ex-Mission-e) le confirme. Porsche est un modèle pour les start-up qui veulent se placer sur le créneau des grandes routières électriques : LeEco LeSee, Lvchi Venere, Lucid Air cultivent le même sillon…
Chez BMW, la M8 Gran Coupé laisse entrevoir des lendemains meilleurs au-delà des craintes qu’inspire le renouvellement de la X5. Outre les flancs épurés et les proportions affinées, cette berline corrige les fautes du nouveau coupé de la Série 8 dont elle dérive : elle évite la grille de calandre aux fanons arrogants et l’habitacle trop compacté.
Plus convaincante, la Lagonda Vision (photo ci-contre) confirme l’aptitude de l’équipe de Marek Reichman de manier aussi bien l’agressivité (sur la Vantage) que la sobriété, avec ici une sculpture polie comme une œuvre de Moore. L’Instinct de Peugeot ou la Trezor de Renault vont dans le même sens.
Le renversement de tendance auquel on renvoie a de pareils mouvements dans le passé. Dans les années 1980, le bio-design s’est épanoui en prenant le contrepied du style aiguisé qui avait fleuri au cours de la décennie précédente. En inventant le bio-design, Luigi Colani devint le chantre d’une approche faisant l’apologie des formes organiques. Son discours exaltait la subversion, mais sa démarche était romantique. « La nature crée des formes parfaites », répétait-il pour expliquer la volupté de ses avions, de ses motos, de ses stylos, de ses lavabos, de ses caméras… Son influence fut considérable bien que souvent anonyme. Aux arêtes tranchantes de la Countach ont succédé les courbes sensuelles de la Buick Wildcat.
Si l’on remonte plus loin dans le XXe siècle, on retrouve cette éternelle opposition entre les anciens et les modernes, entre les partisans du décor et les apôtres du purisme. Déjà l’exposition des Arts décoratifs, en 1925, célébrait l’opposition entre deux mentalités contradictoires, entre un maniérisme ancré dans l’Art nouveau et un modernisme inspiré par l’Esprit nouveau de Le Corbusier. Antagonisme qui aboutit au début des années 1930 à l’opposition entre la Société des artistes décorateurs (SAD) et l’Union des artistes modernes (UAM).
Nous sommes peut-être aujourd’hui à un point de bascule entre deux époques, comparable à ce qu’a vécu l’Amérique dans les années 1930 avec l’avènement du streamline. Après le traumatisme de la crise économique, le pays avait besoin a besoin de sang neuf. L’Amérique comptait douze millions de chômeurs et se trouvait confrontée à la misère. Pour relancer la machine industrielle, il fallait donner des signes d’optimisme. Les designers s’y sont employés en exerçant leur influence sur le cadre de vie des Américains. Tout au long de la « streamline decade », ils ont instillé une esthétique épurée et purificatrice, emballant les désillusions de l’Amérique dans des formes enveloppantes et fuselées.
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