DESIGN BY BELLU - Rêve de domination : "Depuis que le Sultan de Brunei s’est fait confectionner quelques Range Rover déguisées en Bentley, on sait qu’il existe des baroudeurs en Louboutin"
Les SUV dominent le marché comme leurs conducteurs, haut perchés, dominent leurs contemporains. Maintenant que les budgets les plus modestes ont été servis, les constructeurs visent les gros (très gros) salaires. Regards sur cette singulière vision du luxe.
En quelques années, les SUV sont devenus les véhicules préférés des Terriens. Sans explication rationnelle, mais avec des motivations identifiables et pas toujours avouables.
Pour tout constructeur normalement constitué, il est hors de question de se passer de SUV. Et ce, à tous les niveaux de gamme. Certains constructeurs ont tardé, comme Alfa Romeo, Seat ou Skoda qui ont longtemps repoussé l’échéance.
Les labels respectables, comme Bentley (cf. photos Bentayga ci-dessous), Jaguar et Maserati, ont attendu 2015 (pour les deux premiers) et 2016 pour se jeter à l’eau.
Au cours des derniers mois, Lamborghini et Rolls-Royce ont donné une autre dimension au phénomène en intervenant sur le créneau du très haut luxe : l’Urus, né concept-car en 2012, s’est concrétisé en décembre 2017, tandis que le Cullinan a été dévoilé en mai dernier.
Dans le même temps, Mercedes-Maybach a osé une proposition pour le moins contestable et Aston Martin a précisé ses intentions à travers le label Lagonda. Rien d’étonnant à voir des institutions qui se sont construites sur le luxe et la sportivité prendre une telle déviation.
Il y a des lustres, Porsche a donné le ton. Grand bien lui fit d’être l’initiateur de la tendance. La firme de Stuttgart aurait sans doute disparu corps et biens si elle n’avait pas lancé le Cayenne en 2002. On doit ce pari audacieux à Wendelin Wiedeking qui avait pris les rênes de l’entreprise en octobre 1993 au lendemain de la Guerre du Golfe, quand la situation était désespérée, le marché américain s’était effondré et que la seule chance de survie consistait pour Porsche à diversifier sa gamme. En remerciement, Wiedeking fut… remercié.
Quel que soit le sentiment qu’inspirent les quatre-quatre routiers, qu’on les juge incongrus, provocateurs ou indésirables, force est de constater que le concept de « tout-terrain de grand tourisme » a généré une nouvelle clientèle. Chez Porsche, le Cayenne et le Macan venu l’épauler en 2014 représentent à peu près 70 % des ventes alors que la 911 ne pèse plus que 15 %…
Les deux labels symbolisant le luxe à l’Américaine, traditionnellement éleveurs de pur-sang – Cadillac et Lincoln – se félicitent aussi d’avoir dérivé vers le cheval de trait : l’Escalade et le Navigator ont sérieusement revigoré leurs ventes au tournant du XXIe siècle.
Les purs et durs 4x4 se sont mis au diapason et sont sortis de leurs chemins de terre pour se livrer à la surenchère de la performance. L’incorruptible Land Rover a mis le feu aux poudres en lançant son premier Range Rover Sport en 2005.
Pour les marques qui veulent figurer sur la play-liste des SUV musclés, la question du design est primordiale. Avec deux voies possibles : soit s’inscrire dans le mouvement, sans faire de vagues, soit défendre bec et ongles une identité forte.
Avec le nouveau X5 et la Q8, BMW et Audi ont ouvertement opté pour un style extraverti, des volumes grossiers et des traits appuyés. Tout cela est sans grâce et sans intérêt.
Alfa Romeo et Maserati ont choisi la neutralité avec des styles anonymes. Jaguar joue sur les deux tableaux : la F-Pace et la F-Pace se sont banalisées , mais la I-Pace (photo) se distingue en retrouvant un style racé que n’auraient jamais dû abandonner les Jaguar. Sans doute est-ce sa motorisation 100 % électrique qui lui autorise cette audace.
La Lamborghini Urus s’inscrit sans faillir dans le vocabulaire esthétique de la maison. Qu’on l’aime ou pas, le style tranchant de la marque a le mérite d’être singulier et d’être décliné avec cohérence sur toute la gamme. Bien que l’Urus doive beaucoup à Porsche sur le plan mécanique, l’emballage est suffisamment typé pour faire oublier la fatalité des plates-formes. Le design a été développé sous la direction de Filippo Perini qui a régné sur les studios de Lamborghini de juillet 2004 à février 2016 et qui aujourd’hui s’en donne à cœur joie chez Italdesign pour poursuivre son œuvre acérée.
Même logique pour la Cullinan de Rolls-Royce, certes massive, forcément guindée pour cultiver l’esprit maison, mais elle a le mérite de ressembler sous tous les angles à une Rolls-Royce.
Ce produit était attendu par les clients habituels de Rolls-Royce qui ont d’autres menus plaisirs que de croiser dans la marina de Palm Jumeirah et sur Rodeo Drive. Depuis qu’en 1994 le Sultan de Brunei s’était fait confectionner quelques Range Rover déguisées en Bentley, on savait qu’il existait sous toutes les latitudes des baroudeurs chaussés en Louboutin. Pour clore la carrière de son ancien Classe G, Mercedes avait proposé l’an dernier le landaulet Maybach G 650 réservé à 99 amateurs prêts à débourser 760 000 € pour se prélasser dans des sièges inclinables, chauffants, massants, relaxants…
En mars dernier, Land Rover a lancé une série limitée à 999 exemplaires de la Range Rover SV Coupé facturées 293 000 €.
L’exclusivité est une des clés du succès pour les objets de prestige. Les préparateurs, professionnels du mauvais goût et des factures astronomiques, sont dans les starting-blocks pour s’emparer des nouveaux modèles à l’instar de l’Allemand Mansory, maître du genre.
À propos de vulgarité, on ne peut pas oublier le projet que Daimler a réservé aux visiteurs du salon Auto China à Pékin, en mai dernier. Disgracieuse, disproportionnée, écarlate, sans inspiration, la Mercedes-Maybach Ultimate Luxury (sic) renvoie l’image la plus vulgaire du luxe et de l'ostentation. Les studios de Daimler dirigés par Gorden Wagener, éparpillés tout autour de la planète, sont parfois capables de réussites, mais aussi des pires déviances.
Finissons sur une note d’espoir. Preuve que l’on peut concevoir un SUV sportif, luxueux, élégant et racé, le projet Lagonda dont Aston Martin a dévoilé les premiers croquis.
Mais en matière de SUV, n’oublions pas le regard pertinent du regretté Sénèque (65-4 avant J.C.). Il nous parle d’un « char de triomphe surélevé par des roues anormalement grandes afin que le public puisse mieux apercevoir le chef vainqueur ». On discerne dans ces propos, avec 2000 ans d’avance, la fatuité de l’homo sapiens du XXI siècle au volant d’un crossover.
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