DESIGNERbyBELLU - Georges Paulin, l’homme de l’ombre
Derrière les grands noms de la carrosserie, se cachent souvent des créateurs plus secrets. Avec le recul du temps, la notoriété des uns et des autres devient indissociable. C’est le cas du carrossier français Pourtout dont la réputation est intimement liée à l’œuvre de Georges Paulin.
Designer la plus belle voiture de l’année, du monde, de ma rue, la plus merveilleuse du garage d’un ami qui s’attendrit devant l’indépassable beauté d’une Talbot Tagora… la réponse sera toujours sujette à caution, discutée, contredite. La désignation péremptoire est toujours présomptueuse et discriminante. Quant on parle de style, d’esthétique, de beauté, il n’y a pas de vérité. Seulement des croyances, des attirances, des préférences. Tout le monde a un avis, tous les goûts sont permis. Même le mauvais.
Oublions ces paroles de sagesse et laissez-moi affirmer haut et fort que la Delage D8-120 Sport réalisée par Pourtout en 1937 est la plus sublime voiture de toute l’histoire. C’est dit. Et que cela plaise ou non aux adorateurs de la Ferrai 250 GTO, de l’Aston Martin DB 7 ou de la Lada 1200. Ça vous étonne, lecteurs nubiles qui pensaient que la locomotion avait démarré dans les années 1980 avec la sortie de la Fuego.
La Delage pour laquelle je m’emballe et palpite est une création unique qui a été réalisée sur le châssis D8-120 Sport portant le numéro de série 51620. Cette berlinette a été spécialement confectionnée pour l’usage personnel de Louis Delâge.
Livrée au carrossier, à Rueil-Malmaison, dans la région parisienne, en juillet 1937, elle fut terminée le 15 octobre, juste à temps pour figurer au Grand Palais, au Salon de l’automobile de Paris. On l’a compris, l’intérêt de la Delage se circonscrit autour de sa formidable carrosserie, emblématique du style que Georges Paulin a imprimé à plusieurs dessins pour le carrossier Pourtout.
Sa ligne est élancée, dynamique, harmonieuse, dépouillée. C’est un coupé (officiellement baptisé « conduite intérieure sport ») très moderne dont la surface vitrée est optimisée grâce aux montants de pare-brise fins, à l’absence de pilier central et à la suppression des gouttières. Le dessin est dynamisé par le mouvement en courbe de la vitre latérale incurvée vers l’arrière.
La période la plus flamboyante dans l’œuvre de Pourtout est celle pendant laquelle Georges Paulin dessinait les carrosseries. Cet homme naquit le 20 mai 1902. Il travailla dès l’âge de quatorze ans comme prothésiste dentaire, par nécessité. À la fin de la Première Guerre mondiale, sa mère avait été tuée par les Allemands. Cynisme de l’histoire qui bégaie ; lecteur impatient vous comprendrez plus loin pourquoi.
À partir de 1931, Georges Paulin se consacra à l’automobile, sa véritable passion : la carrosserie automobile. Il inventa un système de toit rétractable, un pavillon mobile articulé et rétractable automatiquement dans le coffre arrière. Ce dispositif breveté en juillet 1932, baptisé « Éclipse », préfigurait ni plus ni moins les coupés-cabriolets d’aujourd’hui.
La collaboration entre Georges Paulin, Marcel Pourtout et le concessionnaire Émile Darl’Mat se concrétisa avec la sortie de la Peugeot 402 DS, une version sportive de la 402 qui apparut au début de l’année 1937 et s’illustra aux 24 Heures du Mans 1938. Dans le même esprit, Pourtout fabriqua une petite série de Primaquatre Sport dont on vit le seul exemplaire survivant en février dernier à Rétromobile.
Les Peugeot comme les Renault arboraient des lignes superbes, pures, très bien proportionnées, qui compensaient des mécaniques modestes. Georges Paulin alliait en effet un sens inné de l’élégance avec une intuition certaine pour l’efficacité. Les voitures de Georges Paulin avaient des qualités aérodynamiques qui faisaient de certaines d’entre elles de brillantes machines de compétition. C’est ainsi que l’importateur en France de Bentley, Walter Sleator, commissionna Georges Paulin pour la réalisation d’une berlinette 4¼-litre magnifiquement profilée. Puis Bentley commanda un nouveau projet à Georges Paulin : l’étude d’une berline sportive à quatre portes baptisée Corniche et préfigurant la Mark V d’après-guerre. Ce prototype fut confectionné chez le carrossier Vanvooren et livré à Bentley en février 1939.
Georges Paulin signa ainsi de nombreux dessins remarquables. Il réalisait lui-même de belles gouaches réalistes et subtiles. En septembre 1940, Georges Paulin entra dans la Résistance. Il fit partie du réseau « Alibi » dans les rangs du Secret Intelligence Service. Il fut arrêté le 31 octobre 1941 en même temps que d’autres membres du groupe Alibi, notamment Georges Kellner, le célèbre carrossier. Il fut emprisonné à Fresnes puis fusillé par les Allemands le 21 mars 1942 au Mont Valérien.
Ainsi s’achevait dans la tragédie, à quarante ans, la vie de ce formidable créateur de formes. Son neveu Pierre Paulin, célèbre créateur de mobilier, en fut l’héritier valeureux. Et c’est lui que la postérité a décidé de mettre en avant alors qu’elle a oublié Georges.
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