2. Essai - BMW R18 - Somptueuse berline(r)
Transpondeur du démarrage sans clef dans la poche, la sensualité fait son apparition. On caresse le bouton de mise sous tension, on attrape délicatement le large levier d’embrayage tandis que l’on pousse le bouton rouge d’un pouce expert. Et l’on part à la renverse. Enfin, plutôt, le guidon s’anime de gauche à droite, vibre et vit sous l’effet du couple de renversement du moteur culbuté. C’est voulu, et c’est bien le seul moment où il se manifeste de la sorte.
Un ronronnement grave et profond, digne d’un fauve, s’échappe d’un échappement type queue de poisson (fishtail, pour les puristes), tandis que l’on savoure les pulsations antagonistes des deux pistons de taille plus que respectable.
Le respect, une notion qui semble vouloir s’imposer devant un tel gabarit, une telle proposition, un tel engin. Mais à quoi bon ? Que va-t-on bien pouvoir faire avec elle ? La beauté est une chose, mais si son caractère ne suit pas ? Si elle se montre inexploitable, trop lourde, bref, juste un concept pour esthètes et non pour motards ?
BMW apprend de ses erreurs, et la ligne Heritage a déjà connu par le passé un flat typé custom : la R1200 C. Un bide(t) que seul James Bond est parvenu à immortaliser. Pas une mauvaise moto, non, mais une moto incomprise et surtout lourde. Belle, mais pas exploitable par tous. Aussi peut-on légitimement s’attendre à une copie entièrement révisée. Si elle refuse de danser avec vous, à quoi bon inviter la R18 dans son garage pour une boum improvisée ? Il a beau pleuvoir, je passe le mode pluie, puis le mode Roll sans m’y attarder. C’est dans le Rock que l’on sait si tout suit, alors c’est parti. Qui mène ?
Dans un premier, temps, c’est elle ! On se laisse guider par la R18, rétive de direction, donnant un guidage un peu lourd à basse vitesse eu égard à la largeur excessive du guidon, mais pas intimidant pour autant. Son cintre impose de contre-braquer fort, tandis que l’on essaye de se caler, de se calquer sur son rythme, sur ses pas, sur ses vibrations.
Avec des bottes de moto, le sélecteur passe mal, les rapports ne se trouvent pas aisément et le sélecteur tombe sur un os. Littéralement. Elle marche sur le pied gauche, au sens propre, faisant regretter un marchepied, tandis que l’on peine à trouver ses marques. Serait-elle empotée ? Serait-on gauche à son bras ? En attendant, les mollets doivent s'écarter des protections de la tubulure d’échappement pour ne pas être incommodés. Au moins, rien ne chauffe.
Dans l’impossibilité d’ajuster rapidement le réglage de la hauteur du sélecteur, nous optons pour une bonne nuit de sommeil en rentrant presque sereinement sur une route détrempée. Après tout, il y a des jours sans. Pourtant, la R18 n’a rien d’impressionnant. Bien au contraire.
Elle surprend par son équilibre, sa stabilité et surtout l’impression de guider une compagne que l’on découvre, mais avec laquelle on sait qu’il va sûrement se passer quelque chose de fort, de bon, de bien. Malgré les conditions plus que précaires, la confiance arrive et s’installe dans le premier bout de droit où la R18 se montre impériale. La classe à l’américaine, un je-ne-sais-quoi en plus.
Enfin si, je sais : la subtilité, l’élégance et des allures de princesse. Une moto qui plaît aux hommes comme aux femmes, cela dit. Ne serait-elle bonne qu’à enquiller les bornes sur du droit, fier de mener une telle beauté ?
Changement de chaussures. Après tout, il faut être à l’aise pour mener la danse. Quant à la faire virevolter, attendons un peu encore, que notre couple ait fusionné. À propose de couple, justement, on note immédiatement l’agrément du bicylindre horizontal. Chaque rapport de boîte est une poussée constante dans le monde de la grosse cylindrée.
Une force immédiate, mais pas immédiatement disponible, eu égard à une bonne inertie moteur lorsque l’on souhaite partir prestement d’un feu ou d’un stop. Un phénomène propre aux gros pistons, que l’on prend délectation à anticiper pour partir fort et sans excès. Sans la brusquer, on sent déjà l’efficacité réelle des assistances, aussi discrètes que bien dosées.
Alors on lance, on relance et on relâche, sans craindre de dérobade : la R18 part toujours en ligne, tel un dragster… de 92 CV. Quitte à sentir le pneu arrière glisser un peu sur revêtement glissant, la 1ère pousse efficacement jusqu’aux 80 km/h réglementaire sur départementale, tandis que le second rapport est efficace jusque sur les autoroutes à 110, offrant même une toute petite marge du haut des 120 atteints.
Cela dit, le compteur est assez généreux au regard de notre étalonnage : de l’ordre de 8 %, ce qui laisse une bonne marge. En 3, on sera par contre tout à fait répréhensible sur les autoroutes et à près de 160 cette fois au rupteur, soit à 6 000 tr/min environ. Alors on pousse, on passe les rapports d’une boîte douce et précise, onctueuse, à l’image de la moto en règle générale et l’on accélère.
La 5 ème constitue déjà un palier dans la démultiplication et offrant un palier dans les montées en régime, tandis que la 6 ème franchit le cap de l'overdrive, cette surmultipliée destinée à moins consommer. Fait remarquable, le moteur se montre d'une souplesse exemplaire, refusant même de hoqueter lorsque l'on tente de descendre au régime de ralenti (environ 1 000 tr/min)… Comment ont-ils donc fait, chez BMW ? Un équilibrage parfait, peu de frictions et un contrôle électronique des plus précis. Chapeau bas.
Loin de regarder le compte-tours, les vibrations renseignent sur l’allure et sur le régime de la cathédrale mécanique qui jamais ne quitte le champ de vision. Dans le guidon à l’arrêt, elles disparaissent puis se déplacent, reculent et se renforcent à mesure que l’on monte dans les tours avant de s’estomper. À 2 000 révolutions minute, les bras vibrent, à 4 000, on se masse le fessier, au-delà, tout passe à l’arrière. Comme un curseur à sensations.
À vitesse stabilisée, on évolue pourtant dans une volupté surprenante. Ça glisse, ça coule tout seul, sans bruit parasite, juste la sonorité étouffée des échappements, qui se mettent à peine à pétarader lorsqu’on la brusque un peu. Somptueux. Mieux encore ça plane en douceur. Comme un avion sans ailes, avec ce moteur omniprésent et volontaire, prévenant et fort, avec cette capacité surprenante qu’affiche la R18 à mettre à l’aise. Dès que l’on se relâche physiquement, elle donne le maximum. La preuve sur les petites routes que nous empruntons à présent. Feutrée dans ses réactions, prévenante, la R ne fait plus jouer son couple de renversement et coule des heures tranquilles.
On ne ressent aucune inertie mécanique, juste électronique au niveau de l'accélérateur, toujours doux, et aucun excès. Surtout, les rétrogradages sont d’une douceur impressionnante compte tenu du couple à amortir, y compris lorsque l’on descend 2 ou 3 rapports… Redoutable. De quoi favoriser la maniabilité. Certes, la moto pèse un peu moins de 350 kg, mais quel que soit votre gabarit, votre expérience, elle vous emmène… sur la route.
Dans les demi-tours, il faudra de longs bras pour être à l’aise et se méfier de l’avant pour le moins embarquant. Surtout, l’amortisseur arrière se montre ferme à basse vitesse et donc en agglomération. En contrepartie, il ménage un comportement très agréable à bonne allure et soutient efficacement la masse de la R18.
Alors on penche, on essaye de ne pas trop élargir la trajectoire, même si c’est peine perdue lorsque le rythme augmente. Aussi bien la géométrie de la moto, sa longueur ou encore sa roue avant de 19 pouces, sans oublier un guidon toujours trop large, embarquent naturellement vers l’extérieur. Pour autant, on trace son chemin, sa route, et on laisse les limiteurs d’angle venir donner le sourire.
Non qu’ils soient rapidement au contact, mais plutôt que l’on n’hésite pas à arrondir la trajectoire, à engager la moto en toute simplicité sur un rond-point. La suite une fois encore, vous appartient : faire des étincelles ou redresser. Cela dit, les tétons ont tôt fait de tout arrêter : à force, ils « freinent » et font sentir leurs limites. Qu’à cela ne tienne… la route bien entendu.
À propos de freinage, justement. La conjonction d’un levier droit très/trop large, à l’américaine, et d’une certaine mollesse du levier droit, réglable en écartement/attaque cela dit, tout comme le levier d’embrayage, sont compensés par une force que l’on trouve en toute fin de levier. Mieux encore, le frein arrière, offre des réactions très agréables de par son dosage, mais là encore assez douces.
À noter une information amusante : l’ABS partiellement intégral. Une dénomination curieuse (soit on est intégral, soit on ne l’est pas), qui reflète l’activation de l’ABS/freinage couplé avant/arrière uniquement depuis le levier de frein gauche, tandis que le frein arrière, piloté depuis la pédale de frein, ne couvre que l’anti blocage arrière. Les choses sont dites.
Alors on roule. On roule, on roule, on roule et les kilomètres s’enchaînent, tandis que l’on apprécie l’assise toujours confortable, même après une centaine de kilomètres. Les virages s’enchaînent, tandis que l’on ose de plus en plus mettre vivement la moto sur l’angle. La garde au sol n’a rien d’extraordinaire, il ne faut pas se faire surprendre, mais tout passe sans mauvaise surprise.
On sait à présent quelles sont ses réactions, ses tendances et l’on profite là encore d’une route feutrée, bercé par une sonorité plaisante et des sensations mécaniques sans commune mesure dans le monde du twin. Même gros. Surtout gros. Plus généralement, cette moto a un son propre, qui enrobe son poste de conduite, et des fréquences vibratoires tout simplement subtiles. Un délice sans excès.
Alors on va au bout de la journée et l’on rentre de nuit. L’éclairage adaptatif, optionnel, est d’une puissance toute relative. Pour tout dire, moindre. Le faisceau est blanc et clair, mais ils n’éclairent pas toujours suffisamment. Sauf en feu de route. Dans les virages, les leds de l’optique s’allument pour éclairer l’intérieur de la courbe. Une option intéressante, mais pas indispensable, tant les pleins phares amenuisent l’effet. Qu’à cela ne tienne. La R18 nous emmène au bout de la nuit.
Crédit photos. Actions : Bertrand Dussart. Statiques au sec : BMW. Statiques humides : Benoît Lafontaine
Photos (66)
Sommaire
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération