« J’aime la bagnole partagée »
À un mois des élections européennes, Karima Delli, présidente de la commission des transports du Parlement européen, fait le point sur la place de l’automobile et le redéploiement industriel en Europe. Interview exclusive de Caradisiac.
Dans un récent document, publié par Euractiv, le PPE (Parti Populaire Européen) entend remettre en cause la fin des moteurs thermiques en 2035. Certains constructeurs européens disent également vouloir repousser cette date butoir. Ne craignez-vous pas que les prochaines élections européennes ne viennent chambouler le Green deal mis en place durant cette mandature ?
" Ce que je sais, c’est qu’il y a déjà des constructeurs automobiles qui sont déjà prêts avant 2035. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent avoir le lead sur le marché. J'entends aussi dans ce discours les risques sur l'emploi. Je veux dire aux salariés de l'automobile, que ce texte relève d’un espoir social. En fait, on a 13 ans pour éviter la casse sociale. Depuis dix ans dans le secteur automobile on assiste au plus grand plan social d'Europe. Rien qu'en France, c'est 100 000 emplois qui ont été perdus en une décennie. Cela n'est pas du fait de l'arrivée de la voiture électrique, mais des délocalisations. L’électrique, apparaît comme une bouffée d'air avec la réindustrialisation et la relocalisation de la production. Et c’est tout un écosystème qui se met en place avec les filières des batteries et l’implantation en France et en Europe de gigafactories, je pense aussi au recyclage… Si nous voulons être à l'avant-garde de la technologie, c'est maintenant qu'il faut s'y mettre, parce qu’en fait nous n’avons pas le choix. Si on laisse notre industrie telle quelle, demain, il n'y aura absolument plus d'entreprises françaises. "
Mais ne faut-il pas laisser plus de temps aux industriels pour s’organiser ?
" Entre l’adoption de la loi et la fin effective des ventes des voitures thermiques neuves, il se sera écoulé plus d’une quinzaine d’années. Nous devons protéger notre industrie. Ce qui est très nouveau, c'est qu'il y a des volontés projets d'alliances stratégiques qui interviennent dans un contexte où les constructeurs automobiles cherchent à faire baisser le prix de vente de leur véhicule. Nous devons refaire une notamment avec des constructeurs français, des constructeurs allemands, pour revenir notamment aux fondamentaux et proposer des modèles plus petits, plus accessibles qui permettent de rivaliser avec les voitures chinoises qui frappent à nos portes. "
Après une forte hausse des ventes de véhicules électrique sur l'ensemble de l'année 2023, la dynamique s’essouffle en France et en Europe. Est-ce pour vous un signe structurel ou conjoncturel ?
" Les modèles électriques continuent de gagner du terrain en France et en Europe. La demande pour l’électrique reste forte, mais les aides ne sont pas en adéquation. Prenons l’exemple du leasing électrique en France. Sur les 90 000 demandes et il y a eu que 50 000 dossiers acceptés. Par rapport aux ambitions initiales (25 000 dossiers NDLR) on voit bien que le dispositif est victime de son succès. Le gouvernement n’a pas assez anticipé la demande. Dans le même temps, la baisse ou l’arrêt des aides publiques pour l’achat d’un véhicule électrique neuf s’est généralisé un peu partout en Europe. L'Allemagne et la Norvège ont totalement arrêté toute subvention, la France a baissé de 1 000 € la prime écologique. Ce qui a entraîné une diminution drastique des ventes électriques. Là-dessus, il faut continuer les incitations. "
Les clients mettent en avant le prix élevé des modèles électriques comme un frein à l’achat. Partagez-vous ce point de vue ?
" Il va falloir commencer à se dire qu'il faut que les voitures électriques puissent vraiment devenir financièrement accessibles. Il n’y a certes pas que la question de l’achat, mais aussi le coût de l’utilisation. Et pour être rentable, il faut qu'elle roule, qu’elle fasse des kilomètres. Et qui fait des kilomètres ? Pas les gens qui habitent en centre-ville. Ce sont les personnes qui sont dans le périurbain ou en milieu rural. Au-delà de la voiture en elle-même, c’est son usage et son intégration dans l’ensemble de la mobilité qu’il faut repenser. "
Comment ?
" Repenser l’usage de la voiture, c’est l’inclure dans un ensemble multimodal, avec des hubs de mobilités. Il faut par exemple conduire vers la fin de l’autosolisme et inciter les automobilistes à partager leur véhicule. La voiture doit être envisagée comme un nouveau maillon, un nouveau maillage, de la chaîne des transports publics sur le territoire. L’autopartage est un élément permettant de réduire drastiquement les émissions carbone. Le président Macron « adore la bagnole », moi, j’aime la bagnole partagée. "
Quels sont les projets pour la prochaine mandature européenne ?
" L'Union européenne est trop longtemps restée dans sa réflexion sur la ligne de traités d’économie d'énergie. Nous avons beaucoup tergiversé dessus. Nous avons passé trop de temps sur les discussions à l'horizon 2040. Il serait peut-être temps d’agir sur l’objectif 2030. Bougeons-nous maintenant ! "
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