2. L'épreuve étape par étape pendant qu'à Paris, on polémique...
Cette fois, ça y est. Les inscriptions sont closes, les machines sont à peu près préparées, et les pilotes n'attendent plus que le feu vert pour se lancer dans cette nouvelle grande aventure. Mais les polémiques vont déjà bon train alors l'épreuve n'a pas encore débuté. Le fait que l'assistance par avion soit autorisée n'est pas du goût de tout le monde. Honda a affrété un DC3 pour transporter le gros du matériel de ses clients tandis que Sonauto pourra compter sur un petit Piper Aztec pour jouer les anges gardiens. Moto Journal, sous la plume d'Alain Gillot, n'hésite pas à écrire que ce qui, au départ, devait être une aventure humaine, s'est transformé en une course où l'argent et la frime sont en évidence. Pour couronner le tout, des évènements extérieurs à l'organisation viennent apporter de l'eau au moulin.
Pour commencer, la FFM suspend Serge Bacou trois jours avant le départ pour une histoire de « double engagement en cours de saison ». Le pilote, engagé par Sonauto, sera remplacé à la dernière minute par Rudy Potisek, le père du regretté Timoteï. Ensuite, Jean-François Piot, qui doit coordonner toute la logistique des pilotes Honda (une bonne trentaine), s'accroche avec les agents chargés de garder le parc fermé et fini derrière les barreaux pour la journée. Certains de ses « clients », qui pensaient que tout leurs serait servi sur un plateau, commencent à se poser des questions. Il remet les pendules à l'heure en précisant bien qu'il n'est pas là pour faire la nounou, et que les pilotes doivent se prendre en charge un minimum et ménager leur monture s'ils veulent voir Dakar.
Voila qui est dit. Tout ce petit monde se retrouve donc le samedi 23 décembre 1978 place du Trocadéro pour les vérifications techniques.
Le lendemain, une première spéciale, organisée sur le terrain militaire de Montlhéry, offre une mise en jambe pour les concurrents qui s'élancent dans l'ordre d'inscription. Trois petits kilomètres, mais un bourbier de quelques centaines de mètres qui va permettre de fixer la hiérarchie pour le départ de la première vraie spéciale dans quelques jours. Les motos relèguent la première voiture à la 18ème position… Retour au parc fermé pour tout le monde.
Lundi 25 décembre : dernière journée en famille.
Mardi 26 décembre : c'est à partir de 8 heures que les concurrents quitteront enfin Paris pour une étape de liaison qui les conduira jusqu'à Marseille. Le temps d'embarquer tout le monde et la bateau mettra le cap sur Alger ; durée de la traversée : 24 heures.
C'est donc le jeudi 28 décembre que la caravane pose enfin ses roues sur le sol africain. Débarquement, formalités, puis ce sont 1 500 kilomètres de liaisons pour rejoindre Reggane qui attendent les aventuriers pour les deux jours suivants. Ensuite, les choses sérieuses pourront commencer…
Dimanche 31 décembre : 1ère spéciale de 300 km entre Reggane et In Salah.
Sur cette portion très roulante, on s'attend à une nette domination des voitures. Mais les Yamaha 500 XT font parler la poudre et si deux Range Rover sont devant, quatre gros monocylindres sont à l'aspi (Christian Rayer, Patrick Schall, Rudy Potisek et Jean-Claude Olivier). Du coté des Moto Guzzi, si la consommation sur route s'établi autour de 6 litres/ 100km, il faut compter le double dans le sable. Du coup, les cinq machines tombent en panne sèche.
Lundi 1er Janvier : liaison de 650 kilomètres entre In Salah et Tamanrasset.
Cette étape va permettre aux concurrents de souffler un peu, surtout pour les pilotes Honda qui n'ont pas pu bénéficier de leur assistance puisque le DC3 n'a pas été au rendez-vous prévu à Addrar…
Mardi 2 janvier : 2ème spéciale de 450 km entre Tamanrasset et In Guezzam.
Une première partie de parcours difficile, avec des lits d'oued à traverser, avantage les motos quand les voitures feront leur retour en fin d'étape sur une piste plus roulante. Du coup, quatre motos et autant de voitures arrivent à terminer dans le temps prévu par l'organisation. Il faut savoir qu' à cette époque, un temps été donné pour parcourir la spéciale (souvent difficile à réaliser) et chaque minute de retard équivaut à un point de pénalité. A la fin, on fait les comptes et c'est celui qui a le moins de points qui a gagné.
Parmi les anecdotes de cette étape, René Medge, qui a quitté son co-pilote pour cause de mésentente, continu l'aventure au volant d'une 504 assurant l'assistance médicale. Il parait qu'il couvrait certaines étapes plus vite avec la « pigeot » qu'aux commandes de son Range Rover (terminant même une spéciale avec un temps qui l'aurait classé en quatrième position!!!...), au grand désespoir (pour ne pas dire plus…) des médecins qui l'accompagnaient .
Dans cette étape, Grégoire Verhaeghe, engagé avec une Honda 125 SL plus très fraiche, arrive de nuit, sans lumière, assis sur son réservoir. L'arrière de son cadre s'est coupé à quatre endroits, et il tient grâce à des clés à rayon enfilées dans les tubes !!!..
Mercredi 3 janvier : 3ème spécial de 260 km entre In Guezzam et Arlit.
Les 30 premiers kilomètres conduisent à la frontière entre l'Algérie et le Niger. Cette partie est neutralisée, la spéciale commençant après. A la sortie de la ville d'Asamaka, il y a deux pistes : une (la bonne) tout droit direction Arlit et une à droite qui rejoint Agades. Plusieurs favoris font le mauvais choix et ouvrent en grand pendant près de 250 kilomètres. Lorsqu'ils se rendront compte de leur erreur, ils seront encore à 200 kilomètres de l'arrivée de l'étape. Dans le groupe, on trouve Rudy Potisek, Jean-Claude Olivier, et Christian Rayer qui prennent sept heures de pénalité. Patrick Schaal, sur sa 500 XT, prend alors la tête du rallye.
Jeudi 4 janvier : 4ème spéciale de 250 kilomètres entre Arlit et Agades.
Cette quatrième spéciale va s'avérer encore plus difficile, avec du fesh-fesh, du sable mou, des ornières, des rochers. Les voitures vont y laisser des plumes puisque la première ne pointera qu'à la 14ème position. Mais les motos ne seront pas à la fête pour autant. Rudy Potisek se fracture la jambe en chutant dans une zone rocailleuse. Dominique Martin se démet l'épaule pour la seconde fois depuis le début du rallye. Il abandonne à son tour. C'est Jean-Claude Olivier qui remporte cette étape.
Au classement général, Cyril Neveu prend la tête devant Patrick Schaal et Fenouil.
Vendredi 5 janvier : 5ème spéciale de 430 kilomètres entre Agades et Tahoua.
La difficulté monte encore d'un cran, d'abord parce que la piste, déjà empruntée deux ans auparavant lors du rallye Côte-Côte, s'est considérablement dégradée, mais aussi parce qu'une tempête de sable réduit la visibilité. Dans cette étape technique, Alain Schaecht tire son épingle du jeu au guidon de sa Honda 250 XLS en terminant troisième derrière Neveu et Schaal. Viennent ensuite Hubert Auriol et Jean-Claude Olivier.
Christian Lacombe, qui suit le rallye avec le photographe Jean-Pierre Boulmé, conclu son article par cette phrase qui en dit long (il reste encore une semaine de course) : « vous allez récupérer des RUINES ».
Samedi 6 janvier : 6ème spéciale de 470 kilomètres entre Tahoua et Niamey.
Dernière spéciale avant une étape de liaison qui conduira tous les concurrents vers une journée de repos bien méritée. Les voitures sont une fois de plus à l'agonie dans des ornières profondes ; la végétation abondante en bord de piste rend les dépassements très délicats. C'est d'ailleurs en effectuant une de ces manœuvres que Jean-Claude Olivier part à la faute et se fracture le radius. Il remonte sur sa moto, termine à 60 à l'heure, gagne la spéciale et abandonne le rallye.
Patrick Schaal reprend la tête devant Cyril Neveu et Fenouil.
Dimanche 7 janvier : liaison de 450 kilomètres entre Niamey et Gao.
Etape de liaison, donc, pour passer la frontière entre le Niger et le Mali.
Lundi 8 janvier : Gao.
Une journée de repos bien méritée ; il reste encore près de 3 000 kilomètres avant Dakar…
Mardi 9 janvier : 7ème spéciale de 600 kilomètres entre Gao et Mopti.
Thierry Sabine avait prévenu : « ça va écrémer… ». La plus longue spéciale du rallye marquera les concurrents encore en piste, principalement par la beauté des paysages qui gommera un peu la fatigue. Cette dernière sera à l'origine de l'abandon du leader provisoire du classement général ; après le ravitaillement, Patrick Schaal chute en remettant ses lunettes et s'ouvre le petit doigt jusqu'à l'os. La douleur est telle qu'il préfère jeter l'éponge.
Mercredi 10 janvier: liaison de 670 kilomètres entre Mopti et Bamako.
A première vue, un parcours de santé, mais il faut quand même avaler les presque 700 kilomètres de liaison...
Jeudi 11 janvier: 8ème spéciale de 410 kilomètres entre Bamako et Nioro.
Encore une étape difficile avec des trous gros comme des baignoires!!!... Ensuite, c'est le sable mou puis le fesh fesh qui prennent le relais. Les 4X4 ont beaucoup de mal. Quant aux deux roues motrices, ce n'est qu'en se faisant tirer qu'elles peuvent passer. Du coté des motos, c'est également l'hécatombe. Tous les concurrents qui réussiront à rallier l'arivée prendront 7 heures de pénalité, excepté Philippe Vassard qui, du coup, remonte à la 4ème place du classement général.
Vendredi 12 janvier: 9ème spéciale de 250 kilomètres puis 100 kilomètres de liaison entre Nioro, Kayes et Kidira.
Si la spéciale est plus courte, le terrain est toujours aussi difficile. Du coup, les rescapés ménagent leur monture car la plage de Dakar n'est plus très loin.
Samedi 13 janvier: 10ème spéciale de 590 kilomètres entre Kidira et St Louis.
A quelques longueurs de l'arrivée à Dakar, Alain Quies, le plus jeune engagé sur ce rallye (18 ans), casse le moteur de sa petite Honda 125 XLS. Idem pour Fenouil qui casse une bielle de sa BMW. Son mécanicien tentera bien de la démonter pour qu'il puisse finir sur un cylindre, mais en vain. Hubert Auriol, alors troisième du classement général, casse également le celui de sa XT. Grâce à un moteur de rechange de Cyril Neveu récupéré dans la nuit, il peut continuer l'aventure, mais dégringole au classement.
Dimanche 14 janvier: 11ème spéciale de 80 kilomètres entre St Louis et Dakar.
Simple formalité qui a failli tourner court pour Laurent Gomis. Pour ce pilote, plus habitué aux circuits de vitesse, c'est la bobine d'allumage de sa Suzuki 370 SP qui a rendu l'âme à quelques kilomètres de l'arrivée.
Cyril Neveu monte sur la plus haute marche du podium, devant Gilles Comte et Philippe Vassard.
Alors que la première édition du rallye Paris-Dakar s'achève, beaucoup de monde, resté sagement au chaud à Paris, profite de l'absence du principal intéressé, à savoir Thierry Sabine, pour "descendre" par tous les moyens cette nouvelle épreuve. Il y a notamment la Fédération Française de Sport Automobile (présidée par Jean-Marie Balestre), qui ne semble pas voir d'un très bon œil cette nouvelle compétition où elle n'a pas son mot à dire. Ensuite, il y a la presse "bien-pensante" qui fait ses choux gras en se basant uniquement sur les propos de quelques frustrés qui ont abandonné le rallye avant même d'avoir mis un pied (ou une roue) dans le sable. C'était tellement plus facile que d'aller chercher de vraies informations... Il faut dire qu'à cette époque, pour avoir des nouvelles fraîches, il fallait se contenter d'une émission diffusée sur RTL tous les soirs à partir du "bivouac" avec les moyens du bord par Max Meynier.
Un grand merci aux bénévoles de www.dakardantan.com qui nous ont autorisé à utiliser leurs photos. N'hésitez pas à aller visiter cet excellent site; le forum regorge de nombreuses anecdotes croustillantes que l'on doit la plupart du temps à ceux qui ont vécu la première édition de ce rallye mythique. A consulter sans modération.
Ironie du sort, si les recherches pour rédiger ce reportage ont été un réel plaisir, c'est pendant sa rédaction que nous avons appris la disparition tragique de Jean-Claude Olivier. Nous lui dédions modestement cet article, et ne manquerons pas de lui rendre hommage très prochainement sur Caradisiac Moto.
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