La dernière Jaguar qui m'a fait rêver
Alors que Jaguar rentre dans une phase de quasi-hibernation en attendant l’arrivée de gros modèles électriques familiaux, je me rappelle ce moment où la marque de Coventry est brusquement redevenue une vraie marque de voitures de rêve. C’était Il y a plus de dix ans avec le lancement de la très belle F-Type.
La version V8 se reconnaissait à ses deux doubles sorties d'échappement.
Nous sommes au printemps de l’année 2013. Quelque part dans le Nord de l’Espagne, je passe devant Olivier Pagès qui se trouve sur le bord de la route dans une position peu enviable, celle d’un homme à l’estomac sensible en passager qui vient d’endurer une montée de col à la droite d’un collègue trop heureux de conduire une machine passionnante. Moi, je me situe dans un autre exemplaire de cette machine passionnante, à côté de Stéphane Schlesinger qui gesticule en écoutant sa playlist de vieux tubes ringards. On roule doucement car la réserve de carburant vient de s’allumer au tableau de bord, et on va d’ailleurs bientôt se faire gronder par les gens organisant l’évènement où nous nous trouvons. « Comment ça, vous avez encore vidé le réservoir ? Ce n’est pas possible ! »
Avec Stéphane et Olivier, nous sommes au lancement international de la Jaguar F-Type. Fraîchement racheté par le groupe indien Tata, le constructeur anglais n’appartient plus à Ford et se rêve (encore) en alternative crédible aux marques premium allemandes. Avant la berline XE et le SUV F-Pace, la marque de Coventry présente d’abord ce roadster plus exclusif histoire de poser d’office son image face aux références de l’automobile de prestige : la F-type (qui sera déclinée en coupé un an plus tard) s’attaque carrément à la Porsche 911 avec un design extrêmement fort et des mécaniques sensationnelles. Jaguar s’est offert les services de Lana Del Rey pour faire sa promo et même un clip hollywoodien avec l’acteur Damian Lewis, taillé pour mettre en avant la plastique et la fougue de cette flamboyante voiture de sport.
Pendant les deux jours de l’essai, c’est quasiment l’extase : déjà, on se régale à regarder la F-Type sous tous les angles avec ses formes trapues. Aussi courte qu’elle n’est large, l’Anglaise possède de quoi foudroyer ceux qui trouvent la 911 trop banale. Pour sûr, elle reste en retrait de cette dernière sur le plan de la pure efficacité dynamique à cause de sa relative lourdeur et d’un amortissement perfectible. On se moque aussi de l’archaïsme de son V6 équipé d’un bloc à huit cylindres. Mais la musique altière de ce V6, de même que le caractère de la version V8 qui gronde aussi fort qu’elle ne cogne, nous fait chavirer. Ca pousse, ça glisse, ça laisse cirer les pneus sur 20 mètres juste pour le plaisir et en plus, c’est super cool à piloter ! Et voilà, Jaguar vient de pondre une vraie voiture de rêve capable de détourner des clients de l’Aston Martin V8 Vantage ou de sa principale cible allemande. Bravo Jaguar !
Hélas, rien ne s’est passé comme prévu pour Jaguar lors des années qui ont suivi cet essai. Restée pendant longtemps une référence du rapport prix/plaisir chez les sportives de ce rang, la F-Type a vu son image un peu ternie par des problèmes de fiabilité ayant gâché la vie de certains clients. Les modèles plus grand public arrivés après elle, ceux qui devaient permettre à Jaguar de se rapprocher des volumes de BMW, Audi et Mercedes, ont échoué malgré de belles qualités objectives.
Une grosse décennie après cette présentation de la F-Type, Jaguar n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle n’a vendu que 64 241 autos dans le monde l’année dernière, contre 178 601 en 2017. Le constructeur anglais ne lancera aucun nouveau modèle sur le marché avant 2026 et parie désormais exclusivement sur les modèles électriques familiaux au positionnement haut de gamme. Et moi, je me demande si Jaguar parviendra de nouveau à faire rêver comme elle avait réussi à le faire avec la F-Type, qui a réellement marqué à sa façon l’histoire contemporaine des voitures d’exception. Elle vient de s’éteindre, après onze ans de carrière en ayant assez peu évolué sur le plan technique. Olivier, Stéphane et moi ne l'oublieront jamais. L'estomac d'Olivier non plus.
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