La R40, le haut de gamme tué dans l’œuf par Renault
Au milieu des années 70, Renault a failli commercialiser en Europe un modèle plus huppé encore que sa R30, avant de judicieusement se raviser. Cette auto mort-née, c’est l’improbable R40…
Sous les feux de l’actualité depuis l’élection de son nouveau président, l’Argentine possède une industrie automobile depuis plus de cent ans. Elle a même eu un nombre de voitures par habitant supérieur au nôtre dans les années 30. Les constructeurs américains sont les premiers à investir le pays, Chrysler et Ford en tête. Une autre marque US débarque en 1955 : Kaiser, alors associé à Jeep.
Le groupe crée la filiale Industrias Kaiser Argentina, ou IKA qui produit rapidement des Jeep Willys, puis des berlines. Parmi celles-ci, on comptera dès 1959 une certaine Dauphine, grâce à un accord avec Renault qui prend une participation dans IKA. Mais, celui-ci, vu la concurrence féroce dans le haut de gamme, s’associe avec un autre américain, AMC, pour produire un modèle jugé compétitif : la Rambler. Oui, la grande berline que Renault essaiera, sans grand succès, d’écouler en Europe.
En Argentine, la partie est rude également, aussi en 1962, on décide de créer un modèle plus adapté aux goûts locaux. On prend la Rambler comme base et on demande à Pininfarina de redessiner la carrosserie dans un style européen, alors que les trains roulants sont repensés. Cela donne fin 1966 la Torino, dotée d’un intéressant 6-en-ligne à arbre à cames en tête d’origine Kaiser et monté notamment dans la Jeep Wagoneer. En 1967, Renault devient actionnaire majoritaire d’IKA, qui est rebaptisé IKA-Renault. Après des débuts laborieux, la Torino connaît son petit succès et voit sa gamme se développer nettement.
L’auto, rentable, est même première de son segment en 1970 en Argentine, Fangio s'offrira même une Torino. Ces bonnes ventes incitent Yvon Lavaud, patron d'Ika-Renault à envisager une descendance. Il parvient à convaincre la maison-mère de débuter les études d'un nouveau modèle, donc le design est effectué en France, notamment par Jean Thoprieux et surtout Robert Broyer. Celui-ci, sous l'égide de Gaston Juchet, un des pères de la R16, exécute une carrosserie aux antipodes de celles de la Torino. Ultramoderne, elle se concrétise en 1972 et se signale par un style fluide, comportant bien des éléments déjà vus ou repris plus tard sur d’autres Renault.
Ainsi, on retrouve sur cette 3-volumes une lunette arrière courbée façon R12, une calandre noire où s’incrustent 4 projecteurs ronds, ce qui évoque la R30, et des passages de roue renflés qui seront repris sur la R14. Une deuxième maquette, asymétrique celle-ci, est aussi proposée. D’un côté, elle compte 2 portes, contre 1 de l’autre (pour simuler ce que pourrait donner un coupé), et surtout arbore une calandre à projecteurs verticaux. Voilà qui préfigure presque la Vel Satis !
Cette seconde proposition s’adresse au marché sud-américain, mais la première ? A l’Europe, dont la France, où elle doit devenir la Renault 40 ! Pour elle, le losange modernise le 6-cylindres Kaiser, qui se pare d’une injection, mais, malheureusement, les dessous demeurent ceux de la Torino : propulsion, bon vieil essieu rigide…
Ce n’est pas à la page pour une grande routière en Europe, à moins de s’appeler Volvo. Pire, plusieurs événements vont jouer contre la R40. La crise du pétrole qui s'aggrave fin 1973, l’ouverture de l’Argentine aux importations, synonymes de concurrence accrue et de parts de marché en baisse, et la mort de Lavaud dans le crash du vol Varig 820 le 11 juillet 1973. Cela scelle le sort de la grande Renault qui est abandonnée en 1974, même si des prototypes ont dûment été testés en Argentine.
Pour sa part, la Torino verra sa commercialisaton se poursuivre avec un certain succès jusqu’en 1982 : la R40 n’était vraiment pas nécessaire, ni pour l’Argentine, ni pour la France où la R30 suffisait amplement. D’autant plus que la grande Renault argentine ne pourrait bénéficier des développement nécessaires pour être compétitive à son niveau de gamme en Europe, faute de budget. Cela rappelle d'autres projets luxueux abandonnés par la Régie : la 114 et la H, dont le V8 étudié par Peugeot allait déboucher sur le PRV.
Fait assez intéressant, Alfa Romeo allait suivre une démarche assez similaire à celle d'IKA-Renault, avec sa 2300 de 1974, une FNM 2150 brésilienne, issue de l'Alfa 2000 européenne de 1958, dont les dessous rustiques se cachent sous une carrosserie moderne, évoquant nettement celle de l'Alfetta. Mais jamais il n'a été question de l'importer en Europe : concevoir un haut de gamme adapté au vieux continent et à l'Amérique latine n'était pas pertinent.
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