Quand Gandini s’emmêlait les pinceaux
Auteurs de nombreux chefs-d’œuvre, Marcello Gandini est largement célébré à l'occasion de son décès. Mais, il a aussi commis des dessins peu ragoûtants, et pas forcément par manque d’inspiration…
Lamborghini Miura, Countach, Espada, Alfa Romeo Carabo, Lancia Stratos… Autant de voitures de rêve, autant de chef d’œuvres esthétiques dus à Marcello Gandini, à l’époque où il officiait chez le carrossier Bertone. Une liste non exhaustive ! Grâce à ces créations, le Piémontais est entré, à juste titre, dans la légende du design.
Toutefois, comme le souligne notre encyclopédie vivante Serge Bellu, Gandini était beaucoup plus un styliste qu’un designer. Et il est un sombre monstre, un individu malveillant et sans morale pour oser s'attaquer au mythe défunt avant que son cadavre ne soit totalement froid : votre serviteur. Non qu'il n'aime pas les créations de Gandini. Au contraire ! Mais il adore mettre son grain de sable dans les océans de louanges.
Reprenons. Le bon plaisir de Gandini, c’était l’inspiration pure et la beauté des lignes bien plus que la fonctionnalité et les processus d’industrialisation. Des contraintes que l’on peut soit transformer en avantage soit subir, et il semble que Gandini ait plus souvent versé dans le deuxième cas.
En effet, les supercars qu’il a dessinées, souvent éblouissantes, n’étaient pas très fonctionnelles. Les Miura et Countach, par exemple, pâtissent d’une piètre visibilité, d’une habitabilité problématique et d’une tendance à s’envoler à grande vitesse. Des défauts qu’évitent largement, par exemple, des créations rivales dues à Pininfarina, comme les Ferrari Daytona et BB. Et quand Gandini a été contraint de dessiner des autos fonctionnelles, ça ne s’est pas toujours bien passé. Il s’est très bien sorti de l’écueil Espada, une spectaculaire GT à quatre places, même si la garde au toit y demeure très comptée.
En revanche, on lui doit l’Iso Lele, plus pratique mais pataude, et sans une once d’élégance, une sorte de grosse compacte moins finement dessinée qu’une Simca 1100. Il en va de même pour la Lamborghini Jarama, issue du même projet stylistique et tombée, elle aussi, dans l’oubli.
La Lamborghini Urraco n’a pas non plus convaincu. On avait demandé à Gandini de dessiner une sportive 2+2 à moteur central, un exercice difficile. L’auto est séduisante visuellement, mais ses places arrière sont strictement inutilisables, presque comme celles de la Dino 308 GT4. Etablie sur le même concept, celle-ci est due aussi à Gandini qui, par la suite, va produire nettement moins d’autos marquantes. La décennie prolifique touche à sa fin !
Il entame même une descente irréversible, alors que son rival de toujours, Giorgetto Giugiaro suit la trajectoire inverse. L’époque, marquée par la crise économique, n’est alors plus au rêve mais au pragmatisme, et à ce jeu-là, Gandini n’est guère performant. De plus, il ne parvient pas à renouveler un style uniquement en angles qui commence à lasser. En témoigne le concept Ascot, pour Jaguar, pas inintéressant mais guère adapté au constructeur anglais.
De l'Ascot, on extraira deux autos, un concept, la Volvo Tundra, et un modèle de série, la Citroën BX. Celle-ci, si réussie soit-elle techniquement, n’est pas achetée pour son style, presque daté à sa sortie. Les Audi 100, Ford Sierra et Mercedes 190, présentées simultanément à la française, lui donnent une leçon de modernité ! Pire, la BX est moins aérodynamique que celle qu’elle remplace, la vieille GSA.
Par la suite, on devra à Gandini d’autres travaux encore plus contestables. Pas tellement la ligne de la Renault Supercinq, actualisation plutôt réussie de celle de la R5 de 1972 même si, face à des rivales telles que la Peugeot 205, elle se démodera vite. Plutôt son épouvantable planche de bord, véritable agression visuelle demeurant pourtant très conventionnelle par son architecture. On peut en dire de même pour le tableau de la R25, au style « Beaubourg » pas très seyant dans un haut de gamme. Des angles, des angles et encore des angles !
Quelques années plus tard, Gandini est embauché par Lamborghini pour travailler sur la future Diablo. Il produit des dessins bien dans son style anguleux, déplaisant aux gens de Chrysler qui reprennent la marque italienne en 1987. Ils demandent à Gandini de les adoucir, ce qu’il fait, mais, furieux, s’en va proposer son idée initiale ailleurs. A qui ? A Claudio Zampolli qui s’en servira pour la Cizetta Moroder V16T, sortie fin 1988 avant la Lambo ! Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette dernière paraît autrement aboutie : Chrysler avait raison…
Gandini sera plus tard sélectionné par Romano Artioli pour dessiner la future Bugatti EB110, face à Bertone, Giugiaro et Paolo Martin (venu de chez Pininfarina). Excusez du peu ! Malheureusement, Gandini ne développe pas son projet de façon convaincante. En effet, ses travaux rappellent toujours trop ceux qu’il a produits pour la Diablo, et il se voit remplacé par le cousin d’Artioli, Giampaolo Benedini. Celui-ci n’est autre que l’architecte auteur de la nouvelle usine Bugatti, et il bien voulu retravailler le dessin initial pour une meilleure aérodynamique.
Gandini n’a manifestement pas su, ou voulu, s’adapter à l’évolution de l’automobile, orientée vers plus de technicité et de fonctionnalité. Il a également renâclé à renouveler son style, ne parvenant pas à se débarrasser des lignes droites et des angles. C’est l’inverse de la plasticité d’un Giugiaro qui, lui, a magnifiquement su s’harmoniser avec les diverses époques, comprendre les besoins des constructeurs, voire réfléchir à des concepts nouveaux. Marcello Gandini, de par sa fabuleuse décennie créative à cheval sur les années 60 - 70 n'en demeure pas moins un monument de l'Histoire automobile.
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