Quand la voiture électrique chamboule l’économie
La voiture électrique a beau être incontournable, son avènement n’augure pas d’un monde où les oiseaux gazouilleront. Et la période de transition pourrait être bien plus rude qu’on nous le dit…
Pétrole, lithium, composants électroniques, main-d’œuvre qualifiée, vous avez remarqué le nombre de pénuries dont souffre l’économie en général et l’automobile en particulier ? Certes, ces pénuries doivent beaucoup à la reprise d’après pandémie. Mais également et sans doute plus encore à la prise en compte tardive mais brutale du réchauffement climatique qui dicte la conversion de nos économies à l’après carbone. Et, entre autres bouleversements, à l’avènement de la voiture électrique.
Si le cours de l’or noir retrouve ses sommets de 2012-2013 et n’est pas près d’en descendre, ce n’est pas tant en raison du retour de la demande que parce que le monde de la finance n’investit plus dans ce secteur sous la pression croissante qu’exercent les ONG écologistes, les actionnaires voire les gouvernements.
La liste des fonds de pension et des sociétés de gestion d’actif, dont récemment le géant Black Rock, qui s’interdisent tout investissement dans la prospection et l’extraction pétrolière s’allonge chaque jour. Résultat, faute de découverte, le niveau des réserves exploitables ne cesse de diminuer et pour les faire durer, les pays producteurs refusent désormais d’ouvrir grand les robinets comme d’ordinaire pour tempérer l’envolée du baril.
On peut certes se réjouir de voir l’humanité renoncer à cette nuisible énergie, mais pas de sa conséquence : l’industrie et surtout la production d’électricité, reportent leur besoin d’énergie sur le charbon, beaucoup plus émetteur de CO2, et dont les cours grimpent à leur tour. Ce qui rend, bel exemple de cercle vicieux, plus profitable son extraction.
Le bilan écologique de ce report est désastreux et on peut s’attendre à voir 2022 marquer de nouveaux records d’émissions de CO2.
Le lithium ce n’est pas propre…
Heureusement, la voiture électrique viendra, on nous le promet, inverser la tendance et nous sauver. Et, on l’espère, pas seulement de la pollution locale et globale de nos transports. Car ses batteries recyclées en unités de stockage permettront enfin de ne plus perdre, faute de consommation, le courant produit par les éoliennes et les panneaux solaires mais de le stocker. Rendre enfin les énergies renouvelables productives et « pilotables » sera une révolution. Tout comme la possibilité d’alimenter les réseaux en puisant dans les accus des voitures lors des pics de consommation, ce qui évitera de démarrer une centrale au gaz.
En attendant, rien ne sera simple : avec le décollage des ventes d’électriques - l'Allemagne vient de fêter sa millionième immatriculation de VE qui dépasse désormais le diesel – la demande de lithium, ce métal alcalin indispensable à la fabrication des batteries augmente elle aussi. Or, si cette ressource minérale abonde sur terre, même sous nos latitudes, les gisements exploités restent rares car l’extraire et surtout la raffiner, activité extrêmement polluante pour l’eau, est très coûteuse à exercer proprement. Question : d’où viendra le lithium (nickel, cobalt…) de nos futures batteries ? De pays aux normes environnementales strictes et aux salaires élevés comme l’Europe ? Ou bien d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique ? Poser la question, c’est y répondre…
Des compteurs à aiguille sur la 308
Autre pénurie qui ne sera pas temporaire, celle des semi-conducteurs dont la demande a explosé avec « l’électronication » galopante de la moindre de nos actions. L’industrie automobile n’étant pas une cliente prioritaire de ses fabricants – Apple, Samsung, Huawei, Sony ou Nintendo passent avant – et de surcroît pingre sur les tarifs, elle peine à se faire livrer. Conséquence, sauf à oser produire des voitures équipées à la mode des années 90, il faut de plus en plus souvent mettre à l’arrêt des chaînes de production. Si la 308 retrouve de bons vieux compteurs à aiguilles et non un écran TFT, ce n’est pas pour faire dans le style rétro mais par économie de microprocesseurs.
C’est qu’il n’y a que deux pays où l’on maîtrise à la fois l’extrême miniaturisation et la fabrication en très grande série des semi-conducteurs : Taiwan et la Corée du Sud. Je lis qu’il faudra des années, et sans doute au moins une décennie, pour que l’Europe puisse monter sa propre industrie et assurer ses besoins.
Pour le moment, les constructeurs s’en tirent bien ; ils reportent les fabrications sur les versions haut de gamme plus rentables, ne produisent plus que les véhicules commandés et conséquemment ont mis fin à la braderie permanente. Pour le moment, leurs bénéfices ne s’en portent pas si mal.
Le désamour pour le "vroum"
D’autant que cet étranglement de l’offre coïncide merveilleusement avec le rétrécissement de la demande. C’est que l’acheteur hésite à se convertir à la « watture ». Il attend que les autonomies progressent encore ou que les prix baissent, se demande si finalement une hybride – mais laquelle ? – ne ferait pas l’affaire et décide d’attendre encore un peu. Après tout il n’y a pas urgence. Et si c’est le cas, il achète une occasion. D’ailleurs, pourquoi investir 20 000 ou 30 000 euros dans une technologie vouée aux gémonies et promise à la casse ; pour une voiture dont la valeur dans quelques années dépendra du cours du pétrole ou de caprices politiques ?
Résultat, le marché de l’occasion est tendu, les modèles récents et aussi désormais les moins récents manquent et les prix sont orientés à la hausse, au point que les offres de reprise des concessionnaires rattrapent les tarifs des petites annonces des particuliers.
D’ailleurs, les constructeurs, à l’image de PSA avec son mandataire Aramis ou Renault dans la conversion de son usine de Flins, ne s’y trompent pas : tous ouvrent des centres de reconditionnement de VO, ne voulant plus renoncer à la deuxième et à la troisième part du gâteau, celles qui se tranchent quand l’auto change de main.
Mais pour ce faire, c’est à une autre pénurie qu’ils sont confrontés : celle de carrossiers, mécaniciens, électriciens auto… C’est un autre effet de la prise de conscience climatique et du désamour pour le vroum : qui a encore envie de passer un CAP ou un BEP mécanique ?
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