Répression des infractions routières : le gouvernement réussira-t-il son tour de force ?
Le gouvernement promet un nouveau tour de vis concernant la répression des infractions routières : obligation de dénoncer quand un véhicule de société est "radarisé", vidéoverbalisation renforcée, comme tous les contrôles effectués à distance, sans arrestation… Reste au Conseil Constitutionnel à donner son feu vert. Qu'est-ce que cela veut-il dire ? À quoi faut-il s'attendre ?
Vous avez une question concernant vos droits par rapport à un PV, votre assurance ou tout autre sujet lié à votre véhicule, demandez notre avis, Caradisiac vous répond dans sa rubrique "Vos questions – Nos réponses".Avec la collaboration de Maître Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs.
La question de l'internaute
"Plusieurs mesures visant à renforcer la répression des infractions routières ont été annoncées. Je sais qu’elles font notamment partie d’une loi soumise en ce moment à l’approbation, si je puis dire, du Conseil Constitutionnel. En pratique, cela veut dire quoi ? Quand ces nouvelles mesures entreront vraiment en application ?"
Sylvie (Montpellier)
La réponse de Caradisiac en bref
Tout dépend de la décision du Conseil Constitutionnel, qui, en théorie, peut très bien censurer l’ensemble de cette loi relative à la modernisation de la Justice du XXIe siècle ! Il est certes rare que les Sages déclarent une "non-conformité totale" des textes qui leur sont soumis, mais cela arrive malgré tout. Caradisiac en a recensé 19 depuis la création du Conseil Constitutionnel en 1958. Et la dernière loi ayant été ainsi entièrement censurée date du 24 octobre 2012.
Or, dans un tel cas de figure, cela signifie bien que "la loi ne peut pas être promulguée, autrement dit qu'elle ne pourra pas rentrer en application", commente Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs. En pratique, cela revient à dire que c'est comme si la loi n'existait pas ! Exit toutes les mesures annoncées ! Et pas seulement celles relatives à la Sécurité routière.
Sinon, tous les autres cas de figure sont également possibles : le Conseil Constitutionnel peut très bien tout valider comme rendre une "décision de conformité (DC)" uniquement partielle, soit en retoquant seulement certaines mesures. "Je serais très surprise que le Conseil constitutionnel n'en censure pas plusieurs, comme l’obligation d’indiquer un tiers ayant un permis correspondant à la catégorie du véhicule concerné sur le certificat d’immatriculation, sans qu’il en soit forcément le propriétaire. Maintenant, rien n'est assuré", reconnaît Me Tichit.
Ceci dit, on sera vite fixé. Le Conseil Constitutionnel doit rendre sa décision ce jeudi tout au plus !
Les 6 grandes mesures à retenir dans cette loi
- 1. La dénonciation obligatoire par les patrons quand les véhicules de société sont flashés par un radar automatique.
L’avis de Me Tichit : "Une mesure qui sera de toute façon bien délicate à appliquer et qui devrait être facilement contournable pour les personnes correctement informées, à n'en pas douter !"
- 2. Une amende quintuplée et donc pouvant grimper jusqu’à 1 875 euros pour les patrons contestataires qui refuseraient cette dénonciation obligatoire.
L’avis de Me Tichit : "Une mesure qui d’un point de vue strictement juridique sera très contestable dans le cas où elle serait – mais ce serait très étonnant – validée par le Conseil constitutionnel. À mon sens, la justice devrait donner raison aux patrons qui s’en défendraient, comme cela a déjà été le cas par le passé."
L’avis de Me Tichit : "Comme je l’ai déjà évoqué, cette mesure est très troublante. Elle laisse à penser que ces délits ne sont donc pas si graves… Passer son permis coûterait ainsi plus cher que l’amende prévue en pareil cas, c’est quand même un comble !"
Pour rappel : les deux infractions concernées restent bien des délits. Mais pour les majeurs non récidivistes, il suffira de payer une amende pour échapper à toute poursuite judiciaire. Une amende de 800 euros (minorée à 640 euros durant les quinze premiers jours) pour le défaut de permis, et de 500 euros (minorée à 400) pour le défaut d’assurance.
- 4. Le nombre d’infractions pour lesquelles les propriétaires pourront rester "redevables pécuniaires" multiplié.
L’avis de Me Tichit : "la répression routière rapporte gros à l’État, et peut même rapporter encore plus. Pourquoi se priver ?" Aujourd’hui, il y a cinq infractions pour lesquelles un propriétaire reste "redevable pécuniaire" : les excès de vitesse, les feux rouges, le non-respect des stops, des couloirs de bus et des distances de sécurité.
Cela veut dire que quand un propriétaire est verbalisé, sans avoir été au préalable interpellé (il s’agit donc de PV-radars automatiques, de PV à la volée ou de PV dressés dans le cadre de la vidéoverbalisation), et qu’il décide de contester cette contravention qu’il a reçue par La Poste, il ne peut pas échapper au paiement d’une amende quand il nie simplement les faits. Au tribunal, dans une telle situation, il ne peut en effet qu’être relaxé sur le plan pénal, soit évité le retrait de point(s) de son permis (quand cette sanction est prévue). Mais, sans preuve de son innocence, il reste "redevable pécuniaire". Il garde donc une amende à régler – une amende souvent élevée au tribunal…
Avec cette nouvelle loi, le nombre d’infractions concernées ne sera plus forcément au nombre de cinq seulement, puisque cela dépendra d’une "liste (...) fixée par décret en Conseil d’État", dixit la nouvelle loi. Pour l’heure, le gouvernement a seulement évoqué la possibilité de sanctionner "le défaut de port de casque ou de ceinture de sécurité", en plus de celles prévues aujourd’hui.
À noter par ailleurs que le texte prévoit également le renforcement de la vidéoverbalisation, qui pourra également être utilisée pour sanctionner la conduite de véhicules non assurés.
- 5. Le principe de la consignation étendu à toutes ces infractions pour lesquelles le propriétaire reste "redevable pécuniaire".
L’avis de Me Tichit : "C’est loin d’être une bonne nouvelle pour la garantie des droits de la défense ! L’idée est tout simplement de dissuader le plus grand nombre de saisir la justice pour contester un PV".
Pour qu’une contestation soit recevable en justice, cela veut dire en effet qu'il faudra au préalable consigner l’équivalent du montant de l’amende forfaitaire due pour l’infraction concernée. C’est le principe qui a été adopté dans le cadre du système des radars automatiques, et force est de reconnaître, qu’il y a très peu de contestataires vu le nombre de PV émis chaque année.
- 6. Le certificat d’immatriculation établi au nom d’une personne titulaire du permis de conduire.
L’avis de Me Tichit : "Cette mesure me paraît tout simplement contraire à la constitution. Car ce serait porté atteinte au droit quasi absolu de la propriété".
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