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Trop de cyclistes passent au verre

Si la conscience générale s’accorde sur le fait que rouler ivre en voiture est dramatique, ce n’est visiblement pas le cas pour le vélo. Mais y a-t-il réellement un problème à faire du vélo en étant ivre ?

Trop de cyclistes passent au verre

Le vélo est un outil magique pour les citadins. Pour le comprendre, il faut se mettre dans le contexte de vie des 51,6 millions de Français en milieu urbain. Il permet de s’affranchir des contraintes des transports en commun (horaires, affluence). Les vélos en libre-service, qui foisonnent dans toutes les villes, permettent de ne pas s’encombrer de son propre destrier et, accessoirement, de ne pas en prendre soin. C’est aussi moins cher qu’un Uber ou un taxi.

Ces vélos sont alors une sorte de Graal en sortie de soirées. Des soirées qui servent souvent d’exutoire face à une vie dans des villes surpeuplées, où les logements abordables offrent bien souvent peu d’espace. C’est un tout.

Les cyclistes ivres sont surtout dangereux pour eux-mêmes

Pourtant, l’alcool et la route ne font pas bon ménage. Si les campagnes de sensibilisation visent principalement les automobilistes, les cyclistes ne sont pas épargnés par ce fléau. Selon une étude récente de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), 17 % des cyclistes impliqués dans des accidents graves étaient en état d’ébriété. Ces chiffres, probablement sous-estimés, révèlent une tendance alarmante : le deux-roues à propulsion humaine n’est pas un rempart contre les comportements dangereux.

Les études sur l’accidentologie des cyclistes se blessant seuls sont rares. Mais certaines existent.

Une étude réalisée en Allemagne en 2015, avant le boom du vélo post-COVID, portant sur des cyclistes accidentés ayant subi un test d’alcoolémie, montre que les cyclistes consommateurs d’alcool portent moins souvent un casque et sont plus souvent responsables d’un accident que ceux ne consommant pas d’alcool. L’étude révèle également qu’ils sont moins souvent impliqués dans une collision, suggérant une proportion importante de chutes sans antagoniste. Bref, les cyclistes ivres se blessent souvent seuls.

Une législation peu appliquée

La législation, pourtant, est claire. Les cyclistes ivres encourent une amende pouvant aller jusqu’à 135 euros, et leur alcoolémie peut entraîner des poursuites pénales en cas d’accident. Mais dans les faits, les contrôles sont rares, et les cyclistes eux-mêmes considèrent souvent leur véhicule comme un refuge sans conséquences. « On ne tue personne en roulant à 15 km/h », se disent-ils. Une perception à déconstruire.

Nos confrères du Parisien ont interrogé des cyclistes en sortie de soirée, et leurs réponses sont éloquentes : ils pensent qu’il est moins dangereux de rouler ivre à vélo qu’en voiture.

C’est faux, car les automobiles sont bardées de systèmes électroniques visant à limiter les risques (ADAS, freinage automatique, alertes, contrôle de trajectoire). Mais la différence est de taille : les cyclistes ivres sont surtout dangereux pour eux-mêmes, tandis que les automobilistes ivres mettent en danger les autres. D’où la priorité donnée à la prévention automobile.

L’ivresse, facteur de vulnérabilité

Rouler à vélo sous l’emprise de l’alcool multiplie les risques de blessures graves. La perte d’équilibre, la diminution des réflexes et une capacité réduite à évaluer les distances transforment les rues en parcours du combattant. Sans parler de la tendance, en état d’ivresse, à ignorer les règles de priorité ou à s’aventurer sur des voies inadaptées. Pour un cycliste, la moindre chute peut entraîner des blessures sévères, surtout sans équipement de protection adapté.

D’après les statistiques hospitalières, un cycliste blessé sur trois présentant des fractures crâniennes ou des traumatismes lourds avait un taux d’alcoolémie supérieur à 0,5 g/l. Si l’on ajoute à cela l’augmentation des comportements agressifs envers les autres usagers de la route, le cocktail devient explosif.

Les centres d’urgence hospitaliers des grandes villes témoignent souvent de la même réalité : les réflexes sont altérés et, bien souvent, les victimes ne réalisent même pas la gravité de leurs blessures sur le moment. Les séquelles sont souvent durables.

Le mythe de l’innocence cycliste

Le problème, c’est que beaucoup de cyclistes ont un rapport ambigu au danger. Protégés par une image de victimes face à des automobilistes souvent critiqués, ils peinent parfois à reconnaître leur propre responsabilité. Une habitude qui s’accentue lorsqu’ils sont sous l’emprise de l’alcool. La lenteur relative du vélo nourrit l’idée qu’il est sans conséquences : pas de carrosserie abîmée, pas d’excès de vitesse spectaculaires. Et pourtant, un cycliste ivre peut causer des dommages, surtout sur un vélo de 30 kg lancé à 20 ou 25 km/h.

Cette responsabilité partagée reste difficile à entendre dans un contexte où la mobilité douce est érigée en modèle vertueux. Mais le risque est bien réel. Prendre le guidon après quelques verres, c’est risquer des blessures graves, avec des conséquences à vie, non seulement pour soi, mais aussi pour les autres.

Sur le plan juridique, c’est encore plus délicat. En cas d’accident impliquant un cycliste ivre en tort à 100 % et une automobile, l’automobiliste se voit presque systématiquement attribuer une part de responsabilité. Il faudra alors démontrer que la faute du cycliste (un usager vulnérable, rappelons-le) est inexcusable et que l’automobiliste est totalement non fautif. Bonne chance.

Vers une prise de conscience collective

Si la voiture est l’ennemi public numéro un des militants de la sécurité routière, le vélo ne devrait pas être exonéré d’un minimum de rigueur. Sensibiliser les cyclistes aux dangers de l’alcool reste un défi, mais certaines initiatives commencent à émerger. Aux Pays-Bas, des campagnes ciblant les jeunes usagers rappellent que l’alcool altère autant un cycliste qu’un conducteur de voiture.

En France, un effort similaire pourrait passer par des contrôles plus fréquents et des campagnes chocs. Il est temps de briser l’illusion d’innocence et de rappeler que, même à vélo, la route est un espace commun où chaque utilisateur doit faire preuve de responsabilité. Car si être ivre au volant est criminel, être ivre au guidon n’est certainement pas anodin.

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