S’il n’y avait les autocollants Pirelli apposés sur les boucliers pour l’occasion, on pourrait voir dans cette Série 6 grise, un gentil coupé de retraité. Esthétiquement, la M6 se déguste de près et on se prend à laisser sa main vagabonder sur ses rondeurs volumineuses et à se demander si un tel gabarit (4.87m de long et 1.87m de large, 1.37m de haut et 1785 kg) est bien à sa place sur la pitlane d’un circuit automobile. On se met alors à redouter les effets généralement dévastateurs de l’association entre un moteur plein de santé et une corpulente carcasse qui mettent généralement les pneus et les freins en fumée après 3 tours.
Mais ces doutes sortent de votre tête dès votre entrée chez M6. Premièrement, l’accueil est agréable et luxueux puis en jetant un œil aux places arrière qui n’ont rien d’anecdotiques, on se surprend à imaginer être en présence d’une grosse Nissan GT-R, comme quoi la japonaise a vraiment réussi à marquer les esprits (le mien tout du moins). Pour confirmer cette impression, j’ouvre le coffre qui s’avère gigantesque (450l) et me dit que oui, ça pourrait être une GT-R de catégorie supérieure. Je reviens à la raison, stoppe la digression et me plonge totalement dans cette M6. Pour démarrer pas de problème, les soucis arrivent ensuite.
Le système iDrive étant destiné aux Bac+4, je m’abstiens d’en percer les secrets car notre session n’est que de 30 mn et les premières voitures s’élancent. Pour les conseils de prudence, je m’en remets à mon moniteur du jour, pilote émérite puisqu’il s’agit de Patrice Gay, champion de France F3 1997 et Formule Ford 1995 (il détient d’ailleurs le record de victoires sur une saison). Nous sommes les premiers de la journée, les pneus sont neufs, le moteur dont la sonorité au démarrage est oubliable arrive à température, je m’élance et … pas grand-chose !
Pour énerver une M6, tripotez-la
Piste humide, pneus froids, pilote inconnu, le moniteur n'est pas fou, nous sommes en mode « septua »
Piste humide et « neuve », pneus froids, pilote inconnu, le moniteur n’est pas fou, nous sommes vraisemblablement en mode « septua ». Comprenez que dans cette configuration, la M6 est un gentil animal dont la douceur n’a rien à envier aux berlines automatiques que l’on aimerait avoir comme taxi plus souvent. A l’écrasé de pédale de sortie des stands, mes abdos se sont contractés pour anticiper le déferlement de chevaux mais rien n’est venu, ou si peu. J’ai donc eu l’air tendu pour rien. Alors que la boîte SMG est souvent décrite comme ‘violente’, le premier changement de rapports s’effectue dans une onctuosité assortie d’un temps de passage exagérément long entre les 2 rapports. La situation ne pouvant durer trop longtemps, je proteste élégamment auprès de mon moniteur qui consent après quelques virages à tripoter 2 boutons pour m’offrir plus. On bascule en Mode Sport pour disposer enfin des 507 ch (nous n’en avions « que » 400 jusque là) et d’une boîte un peu plus rapide.
On commence alors à accrocher les F430 à l’accélération qui n’est finalement pas si terrorisante. Les moteurs atmosphériques de ce « volume » ont une allonge assez impressionnante et finalement, ils n’impressionnent réellement que lorsque vous dépassez les 6500-7000 tr/mn. C’est le cas avec ce bouilleur au souffle infini qui pousse jusqu’à plus de 8000tr/mn dans un registre vocal plaisant mais jamais intrusif. Conséquence jouissive de cette relative sociabilité du V10 et de ses 507 ch, les dosages sont faciles et très vite on se met à activer les béquilles électroniques qui se comportent alors comme un sadique qui vient vous enlever de la bouche la seule cuillère de Nutella consentie après un régime soupe de potiron de 4 mois.
Il est donc temps de s’arrêter et de potasser iDrive pour savoir comment débrancher tout ça. Le HTTT a beau être sécurisant, c'est extrêmement facile de propulser 1800 kg dans un rail sur une toute petite erreur d’appréciation, on comprend donc la réserve des moniteurs sur les premiers tours de roue. Patrice Gay étant OK pour tenter l’expérience full power, nous voilà tous les 2 penchés sur la molette pour gens pas bêtes. Je panique, me perds entre les boutons sur le volant, ceux de la console, les réglages de l’iDrive mais par bonheur pour notre temps de roulage, Patrice qui a étudié la chose la veille navigue (avec hésitation tout de même) dans les menus et parvient à concocter la M6 qui va bien pour ce qu’on veut en faire : des ronds sur un circuit. Après 10 mn d’errance informatique, je presse le M du volant et nous revoilà en prise avec le réel, nous (res)sortons des stands.
La M6 est transfigurée. La réponse à l’accélération est tout de suite plus rapide, idem pour la direction, l’amortissement à peine moins confortable contient encore mieux la surcharge pondérale de ce cétacé assez tassé et les aides étant débranchées, la vitesse qui s’affiche sur le pare-brise (via le HUD) est tout de suite plus impressionnante pour l’apprenti-pilote qui sait ne plus avoir le droit à l’erreur. Surtout que le HTTT n’est pas un circuit lent pour coulants.
La M6 se révèle alors. L’équilibre M se ressent tout de suite au premier coup de volant. Malgré son gabarit, le train avant bien chaussé en Pirelli engage sans attendre, l’auto se cale avec facilité et si elle n’est pas spécialement joueuse sur le placement, le petit bout d’alu sous votre pied droit va se charger de remettre de la joie de vivre dans cette voiture. La réaccélération en BMW M6 est un vrai grand moment de bonheur automobile.
La M6 est un T-Rex domestique , vous êtes son maître et vous jouissez dans un rire nerveux de cette situation totalement euphorisante.
Un bonheur qui se traduit moins sur le chronomètre (5s au 0/100 km/h) que sur le paquet de dopamine envoyé directement au cerveau du capitaine de bord. La progressivité du moteur et l’équilibre parfait de l’auto font qu’à la remise des gaz, vous gérez comme vous le souhaitez votre train arrière. Le déhanchement fumeux est maîtrisé à l’instinct, et plus vous tournez, plus vous réaccélérez tôt sans jamais déséquilibrer totalement cet engin attractif. Les sorties de courbes en crabe sont enfantines, les freinages « trop tard » se gèrent au volant sans trop de difficultés, bref, en un mot, vous faites ce que vous voulez et vous prenez confiance. La M6 est un T-Rex domestique , vous êtes son maître et vous jouissez dans un rire nerveux de cette situation totalement euphorisante.
Mieux, après une séquence soutenue de 7 tours du grand HTTT (plus de 40 km), les freins ne s’évanouiront jamais totalement, le comportement non plus, on constatera une légère surchauffe des pneus qui commencent à glisser un peu plus, signe que les pressions ne sont plus adéquates et qu’il est temps de tirer des trajectoires plus propres. Patrice Gay me confirmera que c’est une des rares M qui freine bien et assez longtemps, ce qui l’a surpris lorsqu’il l’a prise en mains la veille. La tenue des pneus Pirelli est également assez surprenante. A l’œil, ils avaient la tête salement fripée mais à l’usage, cela restait homogène et efficace. Reste qu’ils étaient tout de même bon à jeter en fin de journée, vous savez donc ce qu’il en coûte de rouler en BMW M6 de 1800 kg sur circuit (et j’imagine que c’était la même chose pour les plaquettes, voire les disques).
Agressive mais non ostentatoire, sobre, distinguée jusque dans sa façon de labourer le bitume, la BMW M6 E63 qui va disparaitre avec son V10 5.0l de 507 ch et 520 Nm de couple est un des derniers spécimens d’une race de bouilleur qui ne conçois de procurer le plaisir et la performance que par l’admission naturelle, un ratio au-delà du 100 ch/l, une zone rouge ne débutant pas sous les 7500 tr/mn et un équilibre parfait, le tout dans un confort de roulage ne collant pas avec les caractéristiques techniques affichées. Rien ne dit que ce qui viendra ensuite sera moins intéressant, bien au contraire, mais la BMW M6 et son V10 auront marqué leur époque.
On parle bien du T-Rex encore aujourd’hui …
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