C'est bizarre, on ne les entend pas beaucoup ceux qui affirmaient que la chute spectaculaire du nombre de tués à partir de 2002 ne devait pas grand-chose aux radars automatiques et à la tolérance zéro. Et presque tout au progrès technique de nos voitures, aux airbags, ESP et autres améliorations techniques.
Ben alors, si la courbe des morts remonte depuis un peu plus d'un an, ça serait-y que tout cet attirail, pourtant en expansion constante, ne fait rien à l'affaire ? Ou bien alors, que tout comme les systèmes de dépollution des diesels VW, ils marcheraient mieux en laboratoire que dans la vraie vie ?
Je plaisante (à moitié) mais j'aimerais quand même bien comprendre ce qui se passe depuis un peu plus de 18 mois.
Les petites causes font-elles les grands effets ?
D'abord, il n'y a pas d'hécatombe : le bilan 2014 est moins bon que celui de 2013 mais tout de même meilleur que celui de 2012. Et il faut noter que la forte augmentation de 19 % des tués en juillet dernier, celle qui a tant fait causer dans le poste, doit beaucoup à un bond de 57 % du nombre de motards "victimes du beau temps".
Néanmoins, c'est incontestable, la sinistre courbe est repartie à la hausse et pas seulement pour les deux roues. Là dessus, les explications ne manquent pas.
Certains affirment que la baisse du prix des carburants met plus de monde sur la route, d'autres que la météo de l'été 2014 et celle de l'hiver 2013 expliquent bien des choses, d'autres encore qu'après les massacres de Charlie Hebdo et de l’hyper Cacher, en janvier 2015, les forces de l'ordre ont été moins présentes sur le bas-côté. J'entends aussi dire que la nombrilisation, la smartphonisation - et maintenant la selfisation - de la société ne vont pas dans le sens du souci d'autrui. On me susurre enfin que, confronté à l'impuissance de l'Etat (chômage, budget, échec scolaire…), chacun s'édicte ses propres règles et s'édifie sa morale personnelle.
Admettons, il y a sans doute du vrai dans tout cela. Vrai aussi que les petites causes font les grands effets.
Un permis à points auto-cicatrisant
J'ai moi aussi ma petite explication, individuelle et portative comme on disait à l'armée : le permis à points ne fonctionne plus. Quelqu'un a marché dessus…
Ça ne date pas d'hier, mais de mars 2011, quand les règles de récupération de points ont été assouplies. Et pas qu'un peu : deux ans au lieu de trois sans infraction pour retrouver 12 points d'un coup, six mois au lieu d'un an pour récupérer un seul point perdu, six mois au lieu d'un an pour repasser un permis tombé à zéro et enfin un an au lieu de deux entre deux stages de récupération de quatre points. Ça s'est passé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, celui qui, ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac, avait inventé la tolérance zéro et s'était fait le grand promoteur du radar automatique. "La sécurité routière, ça commence à bien faire" a-t-il dû penser.
Personnellement, j'avais été ravi : à ce régime, mon permis était désormais à l'abri. J'avais calculé que je pouvais perdre six points en un peu plus d'un an (deux petits excès de vitesse espacés de 6 mois et un jour puis un feu grillé) et me retrouver, après deux jours de stage, avec un permis à 12 points. "Nicole crème !", comme dit ma fille. Depuis, je ne suis jamais descendu sous les dix points, sans même avoir eu besoin d'un stage alors que je n'ai pas les yeux sur le compteur ni un poussin sous le pied droit. D'ailleurs, quand ça flashe dans mon rétroviseur, je ne pense plus au point perdu, mais aux 45 € que ça va me coûter.
Professionnellement, j'ai immédiatement pensé –et écrit - que cet assouplissement se paierait un jour car pour 99 % des conducteurs dont ma pomme, ceux qui perdent au grand maximum deux ou trois points par an, il revenait à supprimer le principe même du permis à points. Ce système, sorte de nœud coulant qui serre quand on tire dessus, n'est pas destiné aux rares fous du volant, aux "grands infractionnistes" comme on dit au ministère, mais au conducteur lambda, qui peuple le cimetière des statistiques annuelles. Depuis 2011, on lui a desserré la cravate.
A force de recevoir ces petits courriers à en-tête de Marianne lui annonçant qu'il avait recouvré ses 12 points, il a peut-être fini par comprendre que le risque de se retrouver à pied était, tout compte fait, très virtuel.
Deux signes qui ne trompent pas :
Tapez "nombre de conducteurs ayant perdu leur permis" sur un moteur de recherche : la quasi-totalité des articles remonte à 2011 ou avant. Le sujet n'intéresse plus personne.
Et j'ai récemment appris que les avocats spécialisés dans le droit routier, ces cadors du barreau qui vous permettent de continuer à conduire avec un permis à zéro, sont dans la panade par manque de clients. Il y en a même un qui serait en cessation de paiement.
Si c'était pour leur redonner du boulot, on pouvait s'y prendre autrement qu'en lançant des drones et des chasseurs de primes sur la route.
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