D’abord, une petite info : en octobre, le nombre de tués sur la route a augmenté de 13,6 %. Conséquence du magnifique été indien que nous avons connu ? Pas seulement car ce nombre a augmenté bien plus fortement que celui des blessés graves (4,4 %), lequel s’est accru plus que celui des accidents corporels (1,9 %). Une évolution identique, mais en pire, à celle des neuf premiers mois de l’année. Pour les spécialistes – et je ne prétends pas en être –cette aggravation des accidents traduit un accroissement des vitesses. L’incroyable ensoleillement de cet automne n’a donc pas seulement augmenté le trafic mais aussi les vitesses pratiquées. Un grand ciel bleu, ça met de la bonne humeur dans le compte-tours.

L’ennui, c’est qu’on ne peut pas modifier la météo – même s’il semble que nous nous y employions – ni multiplier le nombre de radars. Pour surveiller valablement les départementales, là où s’encarcassent l’essentiel des victimes, il en faudrait des centaines de milliers. Et pour quoi faire ? Sur le périphérique parisien, on en trouve un tous les trois ou quatre kilomètres et malgré la limitation à 70, on continue aux heures creuses d’y rouler à 90-100 entre deux cabines. Bref, le radar ça eut marché, mais ça ne marche plus. Il faut donc trouver autre chose. C’est là que je dégaine ma petite idée.

 

Le constat

Ce n’est pas toujours par goût de la transgression ou par passion de la vitesse que nous roulons trop vite, freinons trop tard, grillons des feux ou déboîtons à la prussienne. Ce n’est pas seulement la flemme ou l’indifférence à autrui qui nous empêche de prendre le temps de nous arrêter pour textoter ou téléphoner, de jeter un œil dans le rétro ou d’abaisser le clignotant. Ce n’est pas, ou pas uniquement, de l’inconscience ou des pulsions suicidaires qui nous font brûler un stop ou dépasser sans visibilité…

C'est très souvent le temps. Pas le temps qu’il fait, mais le temps qu’il faut.

Le temps perdu qu’il faut rattraper, le temps qu’il faut gagner, compresser ou rembobiner.

On peut se mettre en retard tout seul. Il y en a même qui fonctionnent ainsi, qui n’arrivent pas à partir quand il faudrait ou partent quand il faudrait arriver.

Mais le plus souvent, ce sont « les autres », comme dirait Jean-Paul Sartre, qui nous mettent en retard, sans penser à mal, juste parce qu’il faut bien que les choses se fassent et qu’on n'est pas à cinq minutes près.

« Chérie, avant de conduire les enfants à l'école tu serais gentil de me retrouver les quittances de loyer.»

« Jérôme, avant de partir au rendez-vous avec Duchmoll, vous pourriez appeler Dugenou ? »

« René, en allant chez le médecin, tu prendras la commande chez Sanzos, tu passes devant.»

Autant de phrases qui pourraient être inscrites en épitaphe sur certaines tombes. Autant de "ça te prendra trois minutes" transformés en éternité. Combien de défunts pressés ? Combien de gens partis en retard et morts en avance ?

Dans nos agendas sous pression, le temps de transport devient la variable d’ajustement, pour nous mais plus encore pour nos entourages. Il y a sans doute là une cause massive et ignorée d’accidents, l’angle mort de la politique de sécurité routière, la zone aveugle, le facteur X.

Traiter la cause - la pression de l’entourage - plutôt que la conséquence - rouler trop vite - c'est peut-être l’idée qui changerait tout. Je serais à la place du boss de la sécurité routière, je ferais une campagne de com' là dessus.

Avant que l’on m’envoie les palmes académiques, la Grand-croix de la Sécurité routière et autoroutière, un gros chèque, les félicitations du ministre et une invitation à déjeuner avec l’attaché de presse, il faut que je fasse un aveu : cette idée de communiquer sur la responsabilité collective des accidents de la route, ils l’ont déjà eue, mais ils ne le savent pas.

La dernière campagne de publicité sur l’alcool au volant mettait déjà en lumière la responsabilité des « autres » avec des spots mettant en scène de bons copains empêchant un ami éméché de reprendre la route, avec pour slogan « Quand on tient à quelqu’un, on le retient. »

Pour la vitesse, ça serait « Quand on tient à quelqu’un, on ne le retient pas ».


Je récapitule

- Quelqu’un a picolé, on le retient.

- Il est à jeun, on ne le retient pas.

La sécurité routière, ce n’est pas si compliqué.