La sécurité routière est-elle encore une priorité des pouvoirs publics ? Alors que la mortalité avait baissé de 51% entre 2000 et 2010, elle n’aura décru que de 15% entre 2010 et 2014. Pire : les statistiques annuelles sont reparties à la hausse en 2014 (+3,5% de morts par rapport à 2013) et continuent leur ascension en 2015 (+3,8% de janvier à juillet par rapport à la même période en 2014). Pourtant, jamais les radars n’ont été si nombreux - on compte à ce jour 2181 radars fixes , 569 embarqués, 237 « discriminants »... - et les pouvoirs publics multiplient les mesures contraignantes, les dernières en date étant l’interdiction de l’oreillette et l’instauration du « zéro alcool » pour les jeunes conducteurs. Sans effet, manifestement. Dans ces conditions, et même s’il convient de saluer celle-ci, la présence désormais obligatoire (depuis le 1er septembre) dans les autocars et bus de dispositifs antidémarrage en cas d’alcoolémie trop élevée risque de se montrer bien insuffisantes. Précisons au passage que les bus urbains ne sont pas concernés, tout comme les poids lourds...
Couacs en série
Il faut dire que depuis le début de l’année, les couacs se multiplient. En mars, Claude Got, professeur de médecine spécialiste de l’accidentologie et Claudine Perez-Diaz, sociologue et chargée de recherche au CNRS, démissionnaient d’un Conseil national de sécurité routière qu’ils jugeaient « en perdition ». Dans une tribune publiée par Le Monde, ils sonnaient la charge contre un organisme dont ils jugeaient l’échec « insupportable, car il exprime la passivité et l’incompétence des gestionnaires », ajoutant que « la perte du caractère interministériel de la gestion de l’insécurité routière a joué un rôle important. Pendant la construction du succès de 2003-2006, au moins deux comités interministériels se tenaient chaque année. Il n’y en a pas eu un seul depuis mai 2011. C’est le signe évident que la lutte contre l’insécurité routière n’est plus une priorité politique gérée au niveau gouvernemental » Comme pour leur donner raison, fin juillet, la garde des sceaux Christiane Taubira semait la confusion avec un volet de son projet de loi sur "la justice au XXIe siècle" évoquant une « déjudiciarisation » de la conduite sans permis. Une disposition prévoyait ainsi que le défaut de permis de conduire, délit passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende, ne devienne plus qu’une contravention, passible simplement d’une amende forfaitaire de 500 €. Une perspective qui a déclenché un tollé général. Sur France Info, Chantal Perrichon, Présidente de la Ligue contre la violence routière, qualifiait ce projet d’inacceptable : "Cela confirme que les ministres appartiennent à un gouvernement qui ne s'intéresse pas à la sécurité routière.[...] Une ministre s'entête à vouloir résoudre un problème technique qu'est le problème d'engorgement des tribunaux" alors que "Nous, nous comptions sur cette première comparution au tribunal car c'est un acte symbolique. Mme Taubira va envoyer un mauvais signal ». Pour une fois, constat partagé du côté de l’association 40 millions d’automobilistes, habituellement en désaccord avec Chantal Perrichon, qui qualifiait ces mesures d’une « stupidité sans nom » Bel exploit de la part du gouvernement, qui confirmait ainsi la parfaite illisibilité de sa politique de sécurité routière. Précisons que l’application de cette disposition ne figure plus au programme.
Rapport à charge
Dans ces conditions, on voit mal comment sera atteint l’objectif de moins de 2000 morts par an sur les routes à l’horizon 2020 fixé par Manuel Valls fin 2012 quand il était ministre de l’intérieur. En janvier 2014, encore occupant de la place Beauvau, il avait mandaté l’Inspection générale de l’administration pour qu’elle réalise une évaluation de la politique publique en matière de sécurité routière. Ce rapport sera rendu en juillet 2014, mais restera enterré jusqu’en août 2015 tant ses conclusions, désormais consultables sur Internet, se montrent peu amènes pour les autorités. On y lit, entre autres, que « la lutte contre les addictions au volant piétine, de même que la poursuite d’une minorité de délinquants routiers multirécidivistes. [...] Les actions d’éducation et de prévention routière sont conséquentes mais insuffisantes pour les 16-24 ans et les personnes âgées. La prévention des risques routiers professionnels gagnerait à être développée dans les petites entreprises et dans la fonction publique, s’agissant de la première cause de mortalité au travail. »
En cause d’après les signataires de ce rapport, « la gouvernance de cette politique qui s’est affaiblie ces dernières années : éclatement des responsabilités relevant du véhicule, des infrastructures et du comportement auparavant réunies dans une même direction, éloignement du ministère de l’écologie du développement durable et de l’énergie, suivi insuffisant des politiques locales déconcentrées ou décentralisées. En l’absence de comité interministériel de la sécurité routière depuis trois ans, l’interministérialité semble reculer alors que la délégation de la sécurité et de la circulation routières (DSCR) doit renforcer un partenariat national avec les collectivités territoriales comme avec les réseaux d’assurances et de mutuelles. Le recueil des données de l’accidentologie est lourd et pourtant insuffisant pour rendre cette politique encore plus pertinente : l’observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) doit être renforcé et bénéficier du soutien de l’ensemble des ministères concernés par cette politique. »
Et ce n’est pas une question d’argent. Le rapport détaille ainsi que « Quel que soit le mode de calcul retenu, le coût de l’insécurité routière est au moins deux fois supérieur à celui de la politique de sécurité routière. Rapporté à la population, le coût de la politique de sécurité routière est de 127 euros par habitant, tandis que le coût de l’insécurité routière se situe entre 300 et 400 euros par habitant selon le mode de calcul. » On attend quoi ?
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