De drôles de françaises à l’étranger
Stéphane Schlesinger , mis à jour
Jusque récemment, quand on partait en vacances en Europe, on tombait parfois sur des voitures de marque française… inconnues en France. Les marchés nationaux ont longtemps conservé des spécificités telles qu’il était rentable de les doter de modèles adaptés.
Le choc. Ce devait être en 1980, j’étais tout gamin, et avec mes parents, nous traversions l’Espagne en voiture. J’aperçois une drôle berline à trois volumes et dotées de pare-chocs métalliques. Je regarde à l’arrière l’appellation de cette auto inconnue : Renault Siete. Mon père m’explique alors que Siete signifie sept en espagnol, et que cette voiture n’est pas vendue en France. En effet, je l’apprendrai plus tard, le marché ibérique aime les voitures à coffre séparé, même petites, mais ses spécificités ne s’arrêtent pas là, même chez Renault.
Après cette « Siete », j’ai été surpris du nombre de R12 en circulation, certaines s’équipant d’une calandre à 4 projecteurs, tout à fait inconnue en France, voire de R8 équipées de clignotants situés sous le parechoc avant.
En réalité, ce n’était pas tout à fait des Renault mais des Fasa-Renault, du nom de l’ancienne filiale de l’ex-Régie, détenue à 85 % par l’Etat espagnol. Les modèles subissaient des adaptations au marché local, ce qui passait aussi par des moteurs spécifiques, la R4, par exemple, recevant un 850 cm3 de 32 ch jamais vu chez nous.
Tout comme Renault, Simca avait également adapté sa production pour l’Espagne. La 1100 s’appelait 1200 et la Simca 1307-1308 simplement 150. Ces modèles étaient fabriqués par Chrysler España S.A, filiale du groupe Chrysler-Europe racheté en 1978 par Peugeot. Cela a donné lieu à quelques bizarreries. En vacances en Espagne en 1997, j’ai vu passer une 205 défraichie dont le moteur faisait un bruit de castagnettes. Normal, me direz-vous, pour ce pays.
Enfin, pas tant que ça : les 205 espagnoles se sont équipées de blocs Simca à arbre à cames latéral, à l’instar de certaines 309 chez nous. Par exemple, il y avait une 205 GTX mue par le 1,6 l 92 ch de la Talbot 1510/Solara, une sorte de chainon manquant entre la GT et la GTI. Localement, PSA a aussi produit une Solara diesel équipée de l’excellent XUD9 étrenné en France par l’Horizon. Une telle variante aurait du succès chez nous, tout comme, peut-être, la Chrysler 180 dotée d’un diesel Barreiros (marque appartenant à Chrysler España S.A).
Quittons l’Espagne pour les terres pluvieuses et exotiques de la Grande-Bretagne. Là-bas aussi, les marques françaises ont proposé des autos spécifiques, dont certaines auraient connu leur petit succès chez nous. Je pense par exemple à la Peugeot 309 SRi, apparue en 1986 et dotée du bloc de la 205 GTI 1,6 l 115 ch ainsi que de son train avant triangulé. Exactement ce qui manquait à notre 309 GT ! Le badge GTI a d'ailleurs beacoup plus servi à Peugeot outre-Manche qu'en France car il a orné les 106, 306 et 207...
Pour leur part, les Citroën bénéficiaient de quelques changements d’appellation. Ainsi, la CX break se renommait Safari, le badge Evasion qu’elle arborait chez nous étant très connoté fiscalement outre-Manche… La BX diesel ne s’appelait pas TRD comme chez nous, mais DTR, apparemment parce que TRD faisait penser à « turd », qui signifie « étron »… Quelques années auparavant, les Simca 1307/1308 ont aussi été produites en Angleterre, où elles se nommaient Chrysler Alpine, une appellation du groupe Rootes appartenant, lui aussi, à Chrysler Europe.
Cela dit, les adaptations françaises les plus intéressantes sont plus anciennes. En effet, entre 1926 et 1966, Citroën a produit localement des autos, à Slough, en recourant, bien sûr, aux équipementiers britanniques, comme Lucas. La Traction s’y est renommée Twelve, Fifteen ou Big Fifteen, bénéficiant d’un nuancier plus riche que chez nous, ou encore parfois d’une sellerie cuir. La 2CV est également sortie avec quelques différences, de Slough, et s’est vue déclinée en pickup pour l’armée de Sa Majesté. N’oublions pas non plus le charmant coupé Bijou qui n’a eu aucun succès.
Des DS/ID « made in Slough » ont également été fabriquées, elles aussi modifiées (plaque minéralogique verticale, sièges en cuir, tableau en bois…). Malheureusement, de nombreux composants venant de France, ils subissaient de lourdes taxes d’import, donc grevaient le prix des voitures, qui ne se sont donc jamais bien vendues. Slough a fermé en 1966.
Une histoire similaire s’est déroulée en Belgique, où les Citroën 2CV différaient des nôtres. Les amateurs de Tintin auront noté la drôle d’allure de celle des Dupondt dans « Les Bijoux de la Castafiore ». Produite à Forest, elles arboraient dans certains cas des feux arrière situés non pas de part et d’autre de la plaque d’immatriculation mais bien sur les ailes. Les 2CV belges ont été exportées vers l’Allemagne (qui a bénéficié d’une série spéciale en 1964) ainsi que la Suisse.
A Forest, on a même produit une 2CV dite Azam6 qui reprenait le 602 cm3 de l’Ami6 dès 1965, quand les Français devaient se contenter du 425 cm3. L’usine belge, de laquelle sont également sorties des Panhard, des DS et même des LN, voire des Visa, a fermé ses portes en 1980.
Terminons notre tour d’Europe des françaises d’ailleurs par l’Italie. Fait assez surprenant, Alfa Romeo s’est lié avec Renault pour produire localement la Dauphine. Celle-ci doit subir pas mal de modifications (éclairage, passage de 6 volts à 12 volts) et se nomme non pas Renault mais… Alfa Romeo ! Elle connaît un certain succès alors que, bizarrement, la Régie continue d’écouler sa propre Dauphine dans la Botte, concurrençant ainsi celle d’Alfa.
Les ventes étant correctes, il est décidé de produire la R4 chez le constructeur italien, les premières autos sortant en 1962. Mais rien ne va plus entre les deux partenaires. Les Français accusent les Italiens de mal fabriquer les autos, les Italiens reprochent aux Français de ne pas fournir toutes les pièces, et par-dessus le marché, Fiat commence à faire pression sur le gouvernement italien pour que cesse ce partenariat qui de toute façon, bat de l’aile. Il prend fin en 1966.
Des françaises ont été produites en petites séries dans d’autres pays d’Europe, pour éviter des taxes douanières. Depuis que celles-ci n’existent plus, Brexit mis à part, l’intérêt de fabriquer localement des modèles spécifiques à tel ou tel marché a disparu, conduisant à une uniformisation de la production. Les voyages à l’étranger sont un peu moins savoureux…
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