DESIGNERbyBELLU: Alex Tremulis, California Dream
Notre métier nous permet de faire des rencontres formidables et inattendues. À l’occasion d’un reportage sur un entrepreneur français venu faire fortune en Californie, j’ai vu apparaître au fond d’un hangar la silhouette d’une vieille connaissance…
Si vous aimez le cinéma, si vous avez un soupçon d’intérêt pour les grandes aventures de l’automobile, vous connaissez forcément Tucker, the man and his dream, le film réalisé par Francis Ford Coppola en 1988.
C’est l’histoire d’un orgueilleux qui voulait faire trembler les trois grands de Detroit, GM, Ford et Chrysler. Le 19 juin 1947, Tucker convoque cinq mille personnes à Chicago pour découvrir son prototype. Surprenant sous toutes les coutures avec ses portes autoclaves et son œil de cyclope. S’ensuit une tournée à travers l’Amérique, joyeuse, bruyante, avec du strass et des cuivres, avec des majorettes qui jettent aux foules médusées des pièces en carton qui simulent les 800 composants dont se passe la Tucker. Les premiers clients signent les yeux fermés, les distributeurs acquièrent des franchises par centaines. Mais la situation financière est alarmante. Quand la première voiture est prête pour la production, en mars 1948, la comptabilité est exsangue. Cinq mois plus tard, il faut tout arrêter. Cinquante et une voitures seulement sont sorties d’usine. L’affaire est mise en liquidation judiciaire, les salariés sont licenciés, les actionnaires et les concessionnaires attaquent Preston Tucker qui sera acquitté…
Difficile de faire la part des choses entre l’esbroufe et la bonne foi d’un créateur qui a voulu briser la routine. Dans cette folie, Tucker avait entraîné un designer. Le film y fait allusion : on y devine la personnalité d’Alex Tremulis, un bouillonnant designer américain. Ce petit bonhomme était une figure emblématique du design indépendant californien. Il traînait dans tous les projets, donnait son avis, conseillait, surprenait toujours par ses visions décalées, ses opinions tranchées. Forcément, il était devenu copain avec Alain Clénet, un Français venu faire fortune en Californie. Son histoire à lui aussi n’est pas banale.
Fils d’un concessionnaire Ford à Angers, Alain Clénet aurait pu se contenter de vendre toute sa vie des Taunus et des Cortina à des clercs de notaire et des vignerons angevins. Mais il avait envie d’autre chose. Diplômé des beaux-arts d’Angers et de l’école des arts-décoratifs de Paris (ENSAD), il envisagea d’abord le séminaire. Puis renonça. Une épreuve le célibat quand on a un physique de beau gosse.
En 1965, Alain Clénet a vingt-et-un ans. Pas grand chose à faire le dimanche à Angers ; pour tuer le temps, il bricole un petit coupé à partir d’une mécanique de Fiat 600. Le résultat est maladroit, mais prometteur. Finalement, Alain Clénet plaque tout : ses espoirs de soutane, ses prototypes approximatifs et les charcutiers qui viennent acheter des Transit dans la concession paternelle. À nous deux l’Amérique. Après avoir travaillé pendant deux ans chez American Motors, il fait des stages chez Ford et GM, puis part en Californie où il est consultant pour Yamaha et Toyota. Mais le Français a envie d’indépendance.
À cette époque, en Californie, la mode est aux « replicars », des voitures qui évoquent des modèles historiques. Excalibur a lancé l’idée avec un roadster qui rappelle les Mercedes-Benz SSK des années 1920. En 1976, Alain Clénat saute le pas : il fonde son entreprise, Clénet Coachworks, pour fabriquer une impressionnante machine élaborée à partir d’une cellule centrale de MG Midget à laquelle est greffé un capot long comme un confinement, assez long pour y loger un gros V8 américain.
Un petit Français qui ose entreprendre sur la côte Pacifique est un sujet en or pour un jeune journaliste qui rêve de découvrir l’Amérique. Accompagné de Jean-Loup Nory, brillantissime rédacteur qui a bousculé les convenances de l’écriture dans la presse automobile, et d’Alberto Martinez, excellent photographe et lui-même gravure de mode, nous atterrissons à L.A. un soir d’avril 1977. Rendez-vous le lendemain matin sur l’aéroport de Santa Barbara, dans le hangar où Clénet Coachworks a planté sa tente.
On voit surtout des Cessna et des Beechcraft sur le parking. Et soudain la Clénet Series 1 Continental et Alain Clénet au volant. Le beau gosse (décidément pas crédible en curé) est accompagné d’Alex Tremulis qui lui a donné un coup de main pour faire de sa Series 1 Continental une voiture superbe, équilibrée, impressionnante, avec des accents anciens mais pas trop et des traits qui ne singent aucun modèle en particulier.
Alex Satantos Tremulis a soixante-trois ans. Casquette, barbiche taillée en pointe, les yeux pleins de malice et le verbe plein de souvenirs. En 1977, il est consultant pour Subaru. Il raconte ses débuts chez Duesenberg en 1933, son passage chez Briggs - un carrossier industriel associé à Ford - en 1937, la création de la Chrysler Thunderbolt qui aura les honneurs de la Foire internationale de New York en 1939.
Avec des sanglots dans la voix, il évoque l’épisode avec Preston Tucker après lequel il trouve un emploi chez Ford. Il y reste de 1952 à 1963 pour réaliser de nouveaux délires. Il range définitivement ses crayons en 1991. Paix à ses gouaches.
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