Essai - Ducati StreetFighter V4 S : l'artiste
La Panigale V4 avait déjà largement de quoi impressionner par son moteur et par son look, mais là, accroché à un guidon plat, voyant défiler des couleurs, nous voici dans un autre monde. Vivant, Vibrant. Impressionnant. Impressionniste. Au guidon de la StreetFighter V4 S, chaque sortie devient une œuvre d'art. Un son et lumière. Le paysage, une toile de maître. À l'image de la moto que l'on chevauche. Bestiale, pure et tellement douée… Génératrice d'émotions, la StreetFighter V4 S ne se dépeint pas, elle se vit…
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Note
de la rédaction
16/20
Ducati StreetFighter V4 S
Puissance : 218 CV
Couple : 123 Nm
Poids TPF : 199 kg
Prix : 22 990 €
Disponibilité : immédiate
Et elle vit. Elle bouge, elle semble même ne jamais avoir la roue avant réellement posée au sol, et la roue arrière comme suspendue au-dessus du bitume, malgré les 28 kg de pression revendiqués par les ailerons superposés. Certes, c'est à 270 km/h, soit la vitesse maximale revendiquée par l'engin à la démultiplication finale raccourcie par rapport à la sportive dont il dérive, que cette valeur est atteinte. Et j'en suis loin. Très loin, très loin même. Malgré les apparences, malgré les sensations qui affolent la perception, malgré tout. Malgré les bras qui s'agrippent et qui s'allongent (un peu) sur les poignées et malgré les sens qui s'affolent de manière positive. C'est sûr : il se passe quelque chose. Quelque chose de pur, de sensationnel et quelque chose qui touche à l'extra ordinaire, en deux mots.
Dans la tête, de petites leds s'allument et clignotent plus encore que le témoin de déclenchement du contrôle de traction pourtant réglé au minimum (position 1 sur 3). Pas des alarmes de danger, loin s'en faut : tout est maîtrisable et maîtrisé (du moins le crois-je pour l'instant), même une fois le mode Race activé (Street et Sport étant les autres options). Les mouvements de direction intempestifs sont rares, mais elle reste légère et contenue par l'amortisseur Öhlins dédié et fièrement affiché.
Un amortisseur de direction que l'on pense immédiatement indispensable dans les conditions actuelles. Même avec une géométrie favorisant la stabilité autant que l'agilité (empattement long et angle de chasse assez fermé). Les suspensions électroniques, Suédoises elles aussi pour cette version S, s'adaptent automatiquement (réglage 100 % manuel sur chaque paramètre avancé possible), tandis que la motricité se veut optimale pour les Pirelli Diablo Rosso Corsa II. Une traction, enfin propulsion, maintenue au prix de quelques concessions, nous allons le voir lors de l'essai "poussé" en page suivante.
La centrale inertielle 3 axes/6 dimensions de dernière génération scrute, interprète et agit elle aussi en conséquence pour maintenir tout ce petit monde sur la route, aussi bien sur l'angle qu'en ligne droite, à l'accélération ou au freinage. Résultat ? Ça tient le pavé qu'on se le dise, et si erreur commise il y a, elle sera notre et non sienne. Elle sera de jugement. Ou elle ne sera pas, tout simplement : cette moto est certes puissante, très puissante, trop puissante, mais elle reste exploitable. Du moins le fait-elle croire avec brio.
Non, décidément, ces petites lumières en tête, ce sont autant des repères rationnels qui se retrouvent bousculés, repoussés aussi loin que les repères de freinage. Les étriers Brembo Stylema et leur maître-cylindre offrent un contrôle et une puissance dédiés à la piste. Autant dire que sur route, on les exploite avec deux doigts de fée.
Ces étincelles dans le regard, dans la tête, symbolisent autant un plaisir qui monte proportionnellement aux révolutions moteur (exponentielles), que des chandelles dans le vent, comme dirait Elton John. En mon for intérieur, une pensée insistante, persistante. Une pensée pour Christophe Bonnet, notre essayeur intermittent tragiquement disparu à moto quelques jours auparavant.
Alors cet événement, cet essai, cette moto, c'est aussi pour lui. Sensible, ému à plus d'un titre, je fais d'autant plus attention à tout ce que je ressens, passant la moto au crible de son analyse toujours très personnelle. Le roulage prend forme d'hommage pour celui que l'on appelait aussi Fouf, non sans raison. Aurait-il eu cette moto-là que peut-être… J'accélère, je cabre, je souris. Celui-là, il est pour toi.
Me voici dans un autre monde, à plus d'un titre, avec d'autres références. Rares. Et en bonne compagnie, qui plus est. Dans la tête, j'écris déjà cet essai que tu attendais tant, Tophe, et je te le dédie. Tout comme je le dédie à tous les amoureux de moto, tous les sans dieu ni maître, sans loi mais pas sans foi. Tu aurais aimé, je le sais, cette moto de fou, cet engin de malade que j'emmène en balade. Cette StreetFighter V4 que tu espérais tant essayer, ne garde la roue avant au sol que si on ne la chatouille pas au-delà de 6 000 tr/min, que si on le lui impose au moyen de son électronique.
Une "béquille" que tu prenais malin plaisir à désactiver derechef. C'est ici impossible : la moto reste obligatoirement sous contrôle, aussi limité soit-il. On ne peut pas tout avoir apparemment. Contrôle de Wheely Ducati et Contrôle de Traction Ducati, pour être précis. Même la glisse du pneu arrière peut être permise et régulée, paramétrée. Un héritage de la piste qu'un pilote de supermotard comme toi aurait sûrement apprécié. Pour autant, cela lève déjà bien, haut et fort : le moteur y veille. J'y veille, sur les portions de route fermées que je parcours. La poignée des gaz y veille. Précise. Calibrée à la perfection, réactive. Un délice.
Tu serais même sûrement tombé, outre sous le charme de la mécanique endiablée, comme on dit en pareille circonstance, en panne d'essence bien avant les 120 à 140 km revendiqués avant le passage théorique en réserve. Une réserve de 4 litres, soit 25 km environ au rythme auquel tu aimais exploiter les "pompes à feu". 50 km pour le commun des pilotes. Cette fois je n'aurais pas à te pousser jusqu'à la prochaine pompe. Notre tradition lors des comparatifs...
Les bords de route défilent aussi rapidement que les souvenirs de roulage. Je plonge dans le flou, dans l'inconnu, mets bien des choses et des lettres entre parenthèses. Une sensation que je n'avais pas ressentie depuis longtemps. Enfin peut-être pas si longtemps que ça. Rapidement, me voici en train de voyager dans le temps. Au sens propre et au sens figuré. Je suis sur un ovale de Nascar, non loin de Las Vegas. Il y a peu. Début février, pour être précis. Je me trouve au guidon de la Kawasaki Z H2, moto compressée et pressée tout court, mais tellement forte elle aussi. Une moto conçue pour déborder quiconque oserait tourner la poignée des gaz sans réfléchir, sans savoir.
Mais voilà, cette fois-ci, au lieu d'une masse impressionnante de 239 kg, j'en ai moins de 199 à emmener. Et ça change tout. Au lieu d'un 4 cylindres compressé, j'ai un V4 énervé. Et ça révolutionne tout. Au lieu de sentir que ça déborde de partout les suspensions, j'ai un sentiment prononcé de confiance. De maîtrise, même dans les excès du moteur. Un bloc qui ne tarde pas à faire comprendre qu'il aura toujours le dessus tandis que l'on n'en voit pas le bout. Bon sang, il y a de l'allonge ! 130 environ en 1ère, plus de 180 en 2… On achete les autres aussi, mais pas sûr que l'on puisse les exploiter !
Ensuite ? On ne saurait dire. Déjà, le regard se porte au loin. Un loin se rapprochant en un clignement d'œil, des yeux que l'on ne porte plus sur l'instrumentation TFT couleur de 5 pouces, tandis que l'on s'accroche au guidon. Tandis que l'on passe en mode impressionniste. Pointilliste, bref, alors que l'environnement défile dans un tunnel de couleurs, défie la perception. Mais il n'est pas de peur. Il n'est pas de doute. Juste un apprentissage de ce qu'il se passe au moment où tout part. où tout bascule.
Un sentiment fortement conditionné par l'efficacité redoutable des assistances et des réglages. Me voilà maintenant deux heures plus tôt, dans la salle de conférence de Ducati West Europe. Fabien Rezé, attachant attaché de presse, fait son speech. Les pensées en mode synthétique et efficace, je crois n'avoir retenu que l'essentiel :
208 chevaux. Rapport poids puissance de 1,17. Designer français (Jérémy Faraud). Électronique dernier cri de la Panigale V4 2020 et moteur plus robuste que celui de la sportive. Surtout, 70 % de couple à 4 000 tr/min et 90 % à 9 000, alors qu'il en reste encore 6 000 avant la fin de la zone rouge et du compte-tours. Sur le terrain, le constat est impressionnant : le V4 rupte entre 14 000 et 15 000 tr/min. 15 000 tr/min sur le dernier rapport, pour être précis, aux alentours de 14 000 sur les 5 autres. Maintenant, je le ressens. Je le vois. Je le vis, et cela donne de toutes autres impressions. Comme l'on dit, je concrétise. Et je vous livre le tout en page suivante.
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