2. Essai - Ducati StreetFighter V4 S : no limit
Déjà, ça chauffe. Au sens propre pour commencer. Une StreetFighter, c'est comme une Panigale, avec un peu moins de carénage et plus d'appuis aérodynamiques. Donc une Superlegera, en quelque sorte. Et, ça chauffe, mais moins. Enfin tout est relatif. Le moteur est mieux ventilé et la dispersion de chaleur plus importante. Cela dit, en roulant en ville on a rapidement l'une ou l'autre des cuisses qui chauffe. Le cuir de ma combinaison ne parvient pas à contenir les vagues calorifères. Dès que la vitesse augmente, sur route, ça va mieux. sous le 80 km/h, j'écarte pourtant encore un peu les jambes, desserrant temporairement l'étreinte de mes genoux sur la partie cycle.
Et à l'arrêt ? Je souris. Ducati a pris exemple sur Harley Davidson et désactive les 2 cylindres arrière sur les 4 normalement en fonction. Histoire de ne pas user le moteur de manière curieuse, la séquence varie. C'est sensé moins chauffer et cela ne se déclenche que lorsque le moteur a dépassé les 75°. Dans les faits, c'est peut-être efficace, mais ce ne semble pas sans désagrément pour les manœuvres à basse vitesse ou les relances après arrêt. Je m'explique.
Lors des demi-tours, déjà "tendus" à cause d'un angle de braquage insuffisant pour effectuer la manœuvre sur une départementale, le moteur semblait faire ce qu'il pouvait pour se relancer, hoquetant parfois et proposant une réponse aléatoire. Idem aux stops. Rarement je suis parvenu à conserver le filet de gaz, à prévoir les réponses précises, me retrouvant même à caler en tentant de relancer modérément un moteur ne prenant pas ses tours. Curieux, et surtout à confirmer par un essai plus intense et plus long de la moto.
Cela étant, la StreetFighter V4 donne rapidement le la et le là. En véritable musicienne, l'artiste multicarte (après la peinture, la symphonie), qui emmène dans son univers. Elle fait résonner son échappement et déraisonner le sonomètre. La ligne d'origine 4-2-1-2 propose une sonorité sourde et (très/trop) puissante, qui encourage au port de protection auditive sur long trajet. OK, une Ducati, c'est sonore, et on aime ça. Mais en l'occurrence, on ne comprend toujours pas comment cela passe une homologation. Et le souci est d'autant plus important si l'on souhaite un jour pouvoir aller tourner sur circuit avec cette Panigale déshabillée : comme son modèle, elle aura fort à faire avec les commissaires de piste.
Pourtant, la mélopée est agréable et régulière, faite de ligne de basse aux relents métalliques parfois. D'une subtilité aussi : la valve à l'échappement s'ouvrant au-dessus de 3 100 tr/min, libère au passage le souffle réel de la moto, fait d'envolées somptueuses et du son enveloppant sortant par les deux "mégaphones" latéraux. Et dire qu'il existe en option un double silencieux Akrapovic, un échappement racing Akrapovic et surtout un échappement et une ligne racing Akrapovic. Une ligne complète ? Libre ? De quoi faire trembler les murs, alors, et exploser les contrôles sonores. Mais où s'en servir ? Où ? Le pourquoi, lui est évident : on pousse alors la puissance à 220 CV et le couple à 130 Nm… Sérieusement ?
Le circuit, justement, peut être le lieu de prédilection de cette moto, avec les routes à revêtement parfait et des courbes, virages, épingles à n'en plus finir. On s'y projette aisément, dans cet environnement à même d'exploiter pleinement ce que l'on a entre les jambes (la moto, hein). Déjà, le mode Street et ses 155 chevaux donnent le ton. Particulièrement "adouci" et proposant une réactivité moteur médiane, il laisse à penser que l'architecture V4 est une merveille en soi.
Du velouté de 4 cylindres, avec une accélération dantesque à partir de 8 000 tr/min, à même de lever la roue avant à la seule puissance, pourtant "raisonnable", mais distribuée de manière telle qu'on encaisse avec béatitude, tandis que l'allonge suivant le décollage n'a de cesse de renforcer la sensation première, primale, presque primitive. Rien de moins et déjà largement de quoi se faire plaisir. Aussi lorsque l'on rajoute près de 53 chevaux et un peu de nervosité supplémentaire, au travers du mode Sport, peut-on se demander ce que l'on va obtenir. Ou plutôt, on le sait : une moto extrême au possible. Une moto capable de distancer tout ce qui roule à ce jour ou presque (Z H2, gare à toi !). On vérifie ?
Sélection du mode, coupure des gaz pour l'activer, relance. Dans la continuité de ce qu'elle offrait déjà en mode "dégradé", la StreetFighter V4 conserve deux plages d'utilisation. Couple, force et relative douceur, du moins exploitabilité dans la première partie du compte-tours et les premiers millimètres de rotation de poignet droit. Ensuite ? Ensuite, tout dépend de l'état de la route, mais une chose est sûre : on n'use ni le pneu avant, qui semble frôler la surface du bitume, ni l'embrayage : on exploite éhontément le Shifter Up&Down. Lui aussi une réussite sur ce moteur. Pas besoin de se trouver dans les tours pour l'exploiter, il revêt un visage très urbain, au sens civil et au sens poli, entièrement exploitable au quotidien et sans forcer. V4 et DQS, le couple gagnant. La puissance aussi.
Ça bouge modérément, ça vit, mais ça suit le cap fixé et c'est sans autre surprise que celle perpétuelle de se retrouver catapulté par un moteur enthousiasmant et hyperénergique (il dépense ses calories !). Rapidement, c'est le cas de le dire, en ce mode Sport laissant intervenir encore les assistances de manière raisonnable, on trouve les limites d'une électronique encore prévenante. Sur l'angle, la puissance est bridée, optimisée pour ne pas laisser partir le pneu arrière, tandis que la StreetFighter attend que son adversaire (donc vous ?) soit relevé pour en remettre une couche, une louche, une touche. Quel punch. StreetFighter, la bien nommée ! Quoi que, RoadFighter et TrackFighter auraient été bienvenus eux aussi. Parce qu'en matière de route, pour l'instant, on ne peut laisser la moto s'exprimer pleinement sans qu'elle ne "coupe". À propose de couper… Et le mode Race, alors ?
De mon point de vue, le plus abouti, le plus sensationnel, tout en restant parfaitement exploitable dans les conditions de l'essai. Une sorte de mode expert. On choisit le niveau de brutalité de la main droite, on contrôle les moindres pulsions, tandis que l'électronique devient perceptiblement bridante sur route. Elle retient la cavalerie, anticipe les risques, calcule les probabilités, adapte l'amortissement, devenant paradoxalement aussi frustrante que rassurante. D'un côté on sait qu'elle agit bien et pour son bien, et on regrette presque la réaction que l'on attendait de la part de la moto. De l'autre, on lui sait gré de prendre soin de ne pas nous laisser nous envoler inutilement, tout en conservant ce qu'il faut de sérénité pour pouvoir agir, réagir en conséquence du tracé que l'on rencontre, que l'on découvre.
Les suspensions haut de gamme Öhlins n'ont de cesse de raccrocher les gommes au bitume, affichant un comportement similaire à celui du moteur, avec de l'onctuosité et de la fermeté, façon main de fer dans un gant de velours. Il y a là de la subtilité, mais on sait aussi que jamais on ne parviendra à mettre la Street à sa main, jamais on n'en verra le bout. Du moins, pas sans jouer longuement dans les menus, notamment ceux des suspensions. Paradoxalement, on constate que le seul moyen que l'on aura de pouvoir pleinement les exploiter, ce moteur, cette partie cycle, c'est de laisser faire et surtout de trouver le là, le fameux endroit où l'on pourra sans commune mesure laisser s'exprimer un plaisir intense. Ailleurs, comme l'on dit, point de salut !
Tout d'abord surprenant, de par sa position plate et avancée ouvrant les poignets, sans oublier sa courbure demandant à revenir un peu plus vers le pilote, on s'habitue d'autant plus vite au guidon que le maniement de la StreetFighter (SF pour les intimes), ne pose aucun problème. Régulièrement, on se penche sur le pneu arrière de 200 pour vérifier que l'on ne nous a pas menti sur ses dimensions. Il paraît faire moins de 180 de large, et son profil incisif sert les changements d'angle aussi bien que la stabilité.
La correction de trajectoire réclame un effort physique minime, mais il convient d'anticiper le virage au mieux pour inscrire naturellement la moto dans la trajectoire idéale. Surtout lorsque l'on a dépassé les 7 000 tr/min et que le guidon n'est pas encore en mains. La Street tire vers l'extérieur, tandis qu'on la ramène sans peine dans le (non) droit chemin. Il y a de l'évidence dans cette moto-là, pour peu que l'on dispose du bagage nécessaire. De l'évidence et de la Panigale. Car encore faut-il avoir le temps de réagir…
Un temps que l'électronique donne sommairement en ménageant les gaz ou en laissant intervenir le freinage. Les gènes de sportive ressortent avec la vitesse : le genou sort, l'angle se prend sans y penser et sans redouter que les repose-pieds (pourtant rabaissés) ne viennent limiter l'action, le tout avec un naturel et une stabilité déconcertants. C'est noté.
Quitte à parler du freinage, autant évoquer l'ensemble Brembo haut de gamme et l'ABS Bosch 9.1 ME. Un élément essentiel pour maîtriser le SFV4. Les pinces avant, couplées à un amortissement réactif, plantent des freinages puissants tout en offrant un réel contrôle et un excellent retour d'informations. L'ABS est réglable sur 3 niveaux, permettant de limiter l'intervention au maximum. De quoi lever la roue arrière en fin de freinage ou lors de freinage à basse vitesse. Surtout, il est prompt à éviter tout blocage involontaire sur l'arrière, y compris en courbe et sur l'angle. L'arrière apporte pour sa part une stabilisation optimale.
Jamais au cours de cet essai nous ne sommes parvenus à exploiter pleinement le potentiel de la StreetFighter V4, autrement que sur les 3 premiers rapports. Ensuite ? Il faudra trouver l'espace nécessaire et l'environnement adéquat. En attendant, la grande souplesse du moteur Desmocedici Stradale Ducati lui permet d'évoluer à 60 km/h en 6, tout en conservant un niveau de reprise correct. Le 50 voir le 30 usuellement requis en agglomération seront obtenus jusqu''en 4ème, en tout début de compte-tours et sans rechigner. Assurément, voici l'un des meilleurs moteurs de la production actuelle, et une sacrée surprise. Une bonne, une belle surprise. Les 3 cylindres de tous poils ont trouvé là un sacré challenger…
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