2. Essai - Indian Sport Chief : la Chief sort de sa réserve
Quelque chose se dégage instinctivement de cette moto et de cette mécanique. Une forme de puissance lourde et d'harmonie brutale, un côté posé et un charme certain. Malgré un habillage minimaliste du fait du réservoir de "petite" contenance, et en dépit d'une colonne de direction très visible (sur laquelle se trouve d'ailleurs le verrouillage de direction), la présence de ce chef indien est immense : sa coiffe n'y est pas étrangère. Même si elle se montre étroite et compacte, on se sent bien derrière cet élément d'une simplicité agréable. L'ensemble "protège" même correctement du flot d'air que l'on peut générer à la moindre rotation de poignet. La buée dans le casque en témoigne.
Seule "ombre" au tableau : les commodos, résolument énormes, jouent visuellement la carte du "mastoc" sur le guidon par ailleurs dénué de câble. Ah, et un autre point : les rétroviseurs, qui semblent peu exploitables du fait de leur forme, réglage et vibrations. Pour le reste, on est sur une moto simple, sorte de roadster customisant et inversement. Les bras se retrouvent curieusement haut placés, presque parallèles aux jambes, elles-mêmes parallèles au sol, les pieds à l'équerre, chevilles pliées pour accéder aux commandes, tandis que les fesses se reculent naturellement contre le dosseret de l'assise monoplace. Ça va tendre les bras, cet engin ! (surtout dans les demi-tours…)
Déjà, le moteur ronronne et vibre au travers de son échappement. Les vibrations sont présentes, qui sont totalement différentes en fréquence et en intensité par rapport à ce que l'on connaît sur une Harley Davidson. Ici, c'est un peu moins ostentatoire, plus rapproché, et même si l'on sent les coups de piston, ils sont vifs et rapides, donnant immédiatement une impression de sportivité, de réactivité et d'une franche réponse à l'accélérateur.
Au point que l'on se demande s'il s'agit bien d'un presque 1900 et plus et non d'un 1200, comme sur la très vaillante FTR. Le régime maximal se trouvant aux alentours de 5 000 tr/min, sans oublier le peu d'inertie mécanique, permettent aussi bien des envolées moteur agréables et un regain de puissance à mi-régime. Sans oublier une forte poussée dans la première moitié du compte-tours, prompte à solliciter le pneu arrière non assisté par un anti patinage. La possibilité d'évoluer sur le gros et le gras du couple donne autant confiance qu'elle met sur ses gardes lorsque l'adhérence se réduit. Pour autant, les Pirelli ne s'en sortent pas si mal, tout comme ils apportent un toucher de route agréable, y comrpis sur les pavés. Les suspensions officient là aussi avec brio, ce que nous ne manquons pas d'apprécier.
D'autre part, l'allonge largement suffisante pour se faire grand plaisir est aussi plaisante que le frein moteur est des plus limité. Heureusement, le couple est amorti lors des rétrogradages même de plus d'un rapport. Une sacrée réussite d'un point de vue technique et mécanique. Certes, un moteur à refroidissement par air/huile, ça chauffe (il n'y a qu'à voir la tubulure d'échappement et sa section…), mais cela demeure supportable en dehors des agglomérations. Les évolutions en ville, par contre, permettent de constater la toute relative efficacité d'un dispositif sensé éviter de se friser le poil de mollet. Comme sur d'autres bicylindres en V, le cylindre arrière peut être arrêté en cycle urbain afin de ne pas amplifier le phénomène. Comme sur ceux-là, la solution est un pis-aller… À droite, on va sentir le chaud…
En ville, donc, l'empattement long est compensé par une taille de pneumatiques bien choisie. À ne pas jouer la surenchère, on gagne une moto exploitable malgré un rayon de braquage assez important. Au moins, elle tourne, et les plus de 300 kg savent idéalement se faire oublier même lorsqu'il est question de bouger la Chief à la seule force des bras et des jambes. Il faut pour cela être assis en selle. Appréciable, donc. Et ce ne sont que les prémices d'une moto fort agréable.
Une fois sur les routes de toute taille, mais de préférence bien revêtues, par contre, le visage de la Sport Chief change totalement. Elle peut plus librement laisser son moteur montrer ce dont il est capable. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a un potentiel pas toujours évident à exploiter si l'on ne dispose pas de l'espace ou des conditions nécessaires.
Déjà, lors des jonctions sur longue ligne droite, un régulateur de vitesse aisé d'utilisation (Set et +/-) et suffisamment performant, permet de reposer le bras droit tout en profitant d'un régime moteur bas. Pour autant, il convient de garder la vigilance nécessaire à la conduite de la Sport Chief… Si la partie cycle semble en mesure d'encaisser les poussées du moteur, il ne faut pas oublier que l'on évolue dans un milieu des plus sauvage et dépourvu de barrières électroniques. Sauf celles encadrant le moteur.
Les différents modes de réaction sont assez intéressants, mais le Sport remporte nos faveurs, ne serait-ce que pour faire honneur au nom de cette version de la Chief. Objectivement, le standard serait plus indiqué au quotidien ou en agglomération. Plus progressif, il permet de conserver une certaine quiétude sans rien perdre en force. Celle-ci sera toujours supérieure à la relative "douceur" du mode touring. Un mode à la bienveillance renforcée, privilégiant la motricité et une distribution moins vive de la puissance.
À la fois très répondant et impétueux, le mode Sport force donc à doser les gaz de manière subtile et permanente. Au moindre écart de degré, il fait gronder le moteur, vrombir l'échappement, tandis qu'il pousse jusqu'à provoquer une petite tempête sur route comme sous le casque. Compteur et cœur s'emballent volontiers devant ces sensations inattendues sur ce type de moto, tandis que le regard doit être vif et les pieds prêts à agir. De fait, le paysage défile fort. Surtout, l'improvisation n'est plus une option lorsque l'on hausse le rythme.
Le facteur limitant ? La garde au sol, tant la masse de la moto se fait discrète lorsque tout va bien. Au moindre rond-point, virage, changement de cap plus vif ou trajectoire moins arrondie, moins adaptée, le repose-pied concerné vient saluer le bitume. Et pour cause : il faut à peine 30° pour atteindre les limites officielles d'angle. Certes il reste encore un peu de marge, mais point trop n'en faut et surtout, le poids est encore une fois bien physiquement présent, qui impose le respect, même si l'on oublie systématiquement évoluer sur plus de 300 kg de muscles bien lancés.
Heureusement, le freinage est à la hauteur de la prestation. On n'en attendait pas moins de la part de Brembo et d'une fourche plus que largement dimensionnée, mais rien ne garantissait que le maître cylindre offre un feeling suffisant et une puissance digne. C'eut été mal connaître Indian, qui joue la carte de la modernité et de la performance. Fort heureusement, la forme du levier comme le toucher de la pédale offrent une puissance immédiate, force et précision, tout en écartant le doute concernant tout blocage : l'ABS est efficace et son intervention bien proportionnée : on ne rechigne pas trop à attraper les freins par réflexe, tout en appréciant de pouvoir freiner sur l'angle pour mieux ralentir et inscrire la moto.
Alors on profite de la rigueur de la trajectoire imprimée, d'une stabilité autant due à un empattement long qu'à cette masse sérieusement posée au sol par un amortissement serein mais toujour limité en course à l'arrière et naturellement assez ferme, le tout pour power cruiser et pour surprendre tout ce qui roule. Il y a de la ressource et l'identité Indian s'affirme comme naturellement véloce, avec répondant et volonté d'en découdre, même si l'on ne dispose pas des mêmes moyens qu'en face. Le côté indien qui ressort, donc. Il y a des gènes purs là-dedans, et voici assurément une moto plaisir qui s'oppose parfaitement aux motos de cow-boy tout en se montrant plus séduisante encore. Fat Bob n'a qu'à bien se tenir !
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