L’improbable renaissance de Volkswagen
La voiture la plus vendue de l’Histoire, la VW Coccinelle, doit son succès à une renaissance maintenue envers et contre tous par un Anglais, le Major Ivan Hurst.
Contrairement à ce qu’on pense souvent, l’Allemagne est historiquement un pays producteur de petites voitures. L’offre est importante au début des années 1930. DKW, Adler, Hanomag en proposent, qui sont plus ou moins abouties. Même BMW a débuté dans l’automobile en produisant un petit engin, la Dixie, une Austin Seven sous licence. L’ingénieur Ferdinand Porsche s’y intéresse également, travaillant dès le début de la décennie sur une petite auto à l’aérodynamique soignée, histoire de réduire la taille du moteur, installé à l’arrière comme sur l’Hanomag Kommissbrot.
En 1933, Adolf Hitler arrive au pouvoir et en 1934, lance un appel d’offre. Son idée ? Permettre au peuple allemand de se motoriser en masse, donc à moindre coût. C’est Porsche qui est choisi pour concevoir une auto capable de transporter 4 passagers à 100 km/h sur les autobahns toutes neuves, tout en ne coûtant que 990 RM. Une voiture du peuple, une « Volkswagen » littéralement, même si au départ, ce ne sera pas sa dénomination officielle. Ce sera la KDF-Wagen, KDF signifiant « Kraft durch Freude », « la force par la joie ».
Elle apparaît en 1938, et sera produite par la Volkswagenwerk GmbH dans une immense usine dédiée, construite près de Fallersleben en Basse-Saxe. On édifie aussi une ville pour accueillir le personnel de l’usine, KdF-Stadt. Le prix de l’auto, incroyablement bas, est intenable pour l’industrie, aussi tout est subventionné par l’Etat. Les Allemands pourront s’offrir la KdF en achetant des timbres, jusqu’à atteindre le montant du prix de vente (qui représente environ 6 mois de salaire moyen).
Seulement… Hitler, comme tous les dictateurs, est un escroc et un menteur (bien plus que n’importe quel dirigeant de pays démocratique, n’en déplaise aux admirateurs de leaders à poigne). Aussi, aucun des 340 000 souscripteurs ayant payé suffisamment pour s’offrir la Kdf-Wagen ne recevra sa voiture. L’argent sera détourné pour l’effort de guerre, et bien vite, l’usine produira notamment des Kübelwagen, sortes de Jeep avant l’heure dérivant de la KdF.
Un peu avant la fin des hostilités, le 11 avril 1945, dans une Allemagne détruite, les Américains prennent le contrôle les restes de l’usine KdF et rebaptisent KdF Stadt Wolfsburg, du nom du château médiéval de Fallersleben. Ils installent un système démocratique, puis les installations tombent dans l’escarcelle de l’occupant anglais. Qui s’aperçoit que les voitures militaires (quelque 66 285 unités) ont largement été fabriqués par des travailleurs forcés mais aussi des esclaves juifs, réunis dans un camp de concentration installé à proximité. On imagine raser ce qui reste des installations, mais le pragmatisme prend le dessus : elles seront plus utiles en tant que réparations de guerre.
Et celui qui en a l’idée, c’est le major Ivan Hirst, âgé de 28 ans seulement. Débarquant dans l’usine en août 1945, il retrouve une KdF sous une bâche, la fait redémarrer, comprend son énorme potentiel et la présente à un Etat Major Britannique à court de véhicules de liaison. Hirst, appuyé par son chef, le colonel Michael McEvoy, suggère d’en commander 20 000 pour l’usage de l’armée. L’outil industriel, très endommagé mais pas irréparable, ne permet pas de produire un aussi grand nombre.
Néanmoins, la fabrication de la KdF démarre pour de bon fin 1945. La voiture est alors officiellement rebaptisée Volkswagen. Malgré des conditions sociales et matérielles extrêmement difficiles, on passe les 1 000 voitures mensuelles en mars 1946, et en octobre suivant, 10 000 ont été fabriquées. Oui, mais voilà, une fois l’armée de sa Majesté approvisionnée, que faire de cette usine et de cette voiture ?
On propose à de nombreux constructeurs du côté allié de reprendre le tout. Henry Ford II s’entend dire par Ernest Breech, président du directoire de Ford : « monsieur, la voiture qu’on nous présente ici ne vaut pas tripette. » Même réaction négative de la part de William Rootes, patron du groupe anglais portant son nom : « la voiture est trop laide et bruyante pour les acheteurs. Et si vous pensez pouvoir la produire ici, vous êtes un pauvre idiot, jeune homme », lance-t-il à Hirst. Des constructeurs français refusent également de reprendre la marque.
Etaient-ils stupides ? En réalité, l’usine restait à reconstruire, et les Volkswagen assemblées, loin d’être au point, pâtissaient en outre d’une qualité générale réellement lamentable. Il faudra encore énormément d’efforts à Hirst pour réorganiser la production, obtenir des conditions de travail acceptables pour les ouvriers et faire de la Coccinelle une auto viable. Heureusement, la commande de l’armée britannique constitue un tremplin fantastique pour la petite voiture qui, mine de rien, dépasse déjà en nombres produits, toutes les autres allemandes.
En 1947, la Volkswagen parade sur son premier salon automobile, à Hanovre. Les choses ont déjà bien changé. Chaque exemplaire effectue en effet 1 000 km de tests avant livraison, histoire de prouver qu’il est fiable. Le client doit profiter d’une auto robuste et durable : ainsi se fonde l’image de qualité des VW. Hirst exige aussi que l’apparence de l’auto soit un minimum soignée. L’export commence vers les Pays-Bas, puis la Suisse et les USA.
Au 1 janvier 1948, Hirst est secondé par Heinrich Nordhoff qui prend en charge la direction de la production et parvient à la doubler. En 1949, après que le Deutsche Mark a été instauré, la tutelle de l’usine est transférée au Gouvernement allemand, puis en partie à celui de Basse-Saxe. Volkswagen peut alors débuter son extraordinaire ascension, sous la férule de Nordhoff, qui a remplacé Hirst. Il s’en est fallu d’un cheveu pour que celle qui deviendra la voiture la plus produite au monde ne reste qu’un vague prototype croupissant dans une usine en ruines !
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