La beauté des laides - Hyundai Matrix, le dérapage de Pininfarina
Michel Holtz , mis à jour
Le projet Matrix tenait parfaitement la route. Son nom était à la mode et son designer, Pininfarina, la star du genre. Hélas, le premier monospace coréen a souffert d'un dessin curieux. Un handicap qui ne l'a pas empêché de se vendre correctement, grâce à ses bons tarifs, sa fiabilité et son habitabilité.
Comment faire ? Comment, lorsqu'on est un constructeur à la notoriété riquiqui connu en Europe des seuls adeptes du 4x4, à l'aube des années 2000, sortir de cette ornière et élargir son public ? C'est la question que le Coréen Hyundai s'est posée en ces années-là. Car si la marque était déjà importée en France, elle ne devait son succès qu'à son seul tout-terrain Santa Fe. Mais en ce temps-là, tout le monde ne voulait pas conduire une auto haute sur pattes. Et malgré son meilleur confort que les baroudeurs concurrents (prémices des SUV), et malgré son prix contenu par rapport à ses rivaux, il ne pouvait séduire les familles moyennement aisées. En plus, elles n'avaient d'yeux que pour les monospaces, et notamment le Renault Scénic.
Un design différent et un nom qui claque
Partant de ce postulat, la filiale européenne chargée du projet a redoublé de bonnes idées en souhaitant que son nouveau bébé soit plus court que le Scénic pour être plus urbain, moins cher aussi, mais très polyvalent et habitable. Pour le démarquer, elle a tenu à un design différent. Et qui est le mieux à même de donner à une marque sans notoriété en Europe une caution stylistique ? L'Italien Pininfarina, évidemment. Pour marquer le coup, Hyundai va même lui demander d'apposer sa signature sur la voiture, bien en évidence, avec un logo presque aussi gros que celui de la marque elle-même.
Mais comment l'appeler ? Là encore, les hommes de Hyundai ont eu le nez creux. Un an plus tôt, un film américain des frères Wachowski a fait un carton absolu dans les salles obscures. Matrix et son héros Keanu Reeves sont encore dans toutes les têtes. Va donc pour Matrix. En plus, le nom est disponible : beaucoup d'entreprises l'ont adopté, bien avant que les réalisateurs ne se l'approprient. Voilà donc l'engin né sous de bonnes étoiles, tant italiennes que hollywoodiennes.
Hélas, on peut avoir dessiné les plus belles Ferrari, on n'en est pas moins à l'abri d'un raté. Et c'est le cas de ce petit monospace asiatique dessiné par la star du genre. La ligne globale n'est pas plus jolie ou plus moche que celle d'un Renault Scénic ou d'un Citroën Xsara Picasso, l'autre ennemi du moment.
Comme à l'accoutumée, la carrosserie monocorps est plutôt rondouillarde et bien proportionnée. Et comme d'habitude, les surfaces vitrées descendent assez bas, pour donner un sentiment d'espace et de lumière à bord. Mais c'est là où les designers de Pininfarina ont voulu donner une touche personnelle à l'ensemble. L'idée ? Marquer une rupture entre la carrosserie et les vitres. Elles doivent être plus grandes que sur une berline ? OK. Mais les ailes avant, et les custodes arrière seront rehaussées. L'effet manque pour le moins de grâce, les portières semblent de mauvaises dimensions, posées comme par erreur. Et lors du lancement de l'auto, en 2001, elle est moquée d'emblée.
Un choix par défaut
Pour autant, les esthètes qui espéraient, après une catastrophe stylistique, une catastrophe industrielle, en seront pour leurs frais. Le Matrix se vend très correctement, à quelques milliers d'exemplaires par an en France seulement, certes, et il reste très loin de ses rivaux, mais son importateur est plutôt satisfait. Car le petit monospace de 4,05 mètres est une bonne auto. Ses mécaniques sont éprouvées, ses deux moteurs (un essence de 103 ch et un diesel de 110 ch) ne sont pas des bêtes de course, mais ils se révèlent aussi sobres que solides. Bien sûr, ils sont bruyants, mais à 16 000 euros l'unité, on pardonne le surplus de décibels. En plus, l'auto est bourrée d'astuces de rangements, et sa banquette arrière fractionnable est aussi coulissante sur 8 cm.
Alors, l'engin mène sa vie tranquillement, tout comme les clients qui l'ont choisi. Évidemment, chez Hyundai, on n'est pas dupe, et on sait parfaitement que ceux qui signent les bons de commande ne sont pas à la recherche d'une œuvre d'art.
Alors, quand vient l'heure du restylage, en 2005, le Coréen tente d'améliorer les choses et de cacher cette rehausse que l'on ne saurait voir. Mais le petit morceau de plastique noir censé aligner les vitres avec la carrosserie ne trompe pas grand-monde. Les ventes ne s'emballent pas et le Matrix continue son bonhomme de chemin jusqu'en 2010. Neuf ans de carrière pour une auto mal née, on a connu pire comme raté.
À quoi sert le design ?
En fait cette carrière somme toute correcte d'une auto au design malencontreux permet de relativiser l'intérêt de la discipline. La plupart des professionnels de l'automobile affirment que le dessin est primordial et de valeur égale au prix de la voiture dans le choix d'une voiture. C'est oublier un peu vite les critères de fiabilité, de confort et d'habitabilité.
Quand l'ensemble des cases sont cochées, une auto a toutes les chances de rencontrer le succès. Mais le Matrix a démontré que si un seul de ces critères vient à manquer, le sort de la voiture n'en est pas forcément jeté.
À l’inverse, une auto joliment dessinée, mais qui serait peu fiable, mécaniquement peu douée et inconfortable, a beaucoup moins de chances de devenir un best-seller. Ce type de modèle n'a d'ailleurs pas manqué dans l'histoire de l'automobile.
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