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Radar - Véhicules de société - Dénonciation obligatoire : où en sommes-nous en justice ?

Dans Pratique / Radars

Stéphanie Fontaine

Tout semble fait pour éviter que les contestataires de PV pour "non désignation de conducteur (NDC)" parviennent jusqu'au tribunal. Ils sont ainsi très nombreux à avoir bénéficié de classements sans suite. Mais attention, il arrive aussi fréquemment qu'ils soient vivement relancés pour payer ou dénoncer le conducteur qu'ils considèrent coupable… Pour l'avocate spécialisée Caroline Tichit, nul doute, il ne faut rien lâcher ! Surtout qu'au tribunal, les procédures pour NDC sont tellement bancales qu'il y a toutes les chances d'être relaxé du premier coup, ou, au pire, en appel ! Pour ce qui est en revanche de l'inconstitutionnalité présumée de la loi à l'origine de ces nouveaux PV, la question reste malheureusement posée. Pour l'heure, la Cour de Cassation fait systématiquement barrage, et le Conseil Constitutionnel reste inaccessible aux justiciables.

Radar - Véhicules de société - Dénonciation obligatoire : où en sommes-nous en justice ?

Soyons clairs : au ministère de l'Intérieur, la mise en œuvre de la loi sur la dénonciation obligatoire quand un véhicule de société se fait flasher par un radar automatique est considérée comme un véritable succès. Que celle-ci repose sur des écueils juridiques évidents ne fait pas un pli.

Petit rattrapage pour ceux qui ne sont pas au courant ou n'ont pas encore compris de quoi il s'agit : selon une nouvelle loi entrée en vigueur au 1er janvier 2017, lorsqu'une voiture de société est prise au radar, le patron de ladite société doit se transformer en policier et dénoncer le responsable de l'infraction. A réception de l'avis de contravention, il doit donc comprendre qu'il ne faut surtout pas payer l'amende qui lui est réclamée (le plus souvent, comme il s'agit d'excès de vitesse de moins de 20km/h, elle est de 45 euros au tarif minoré). S'il la règle sans procéder à la désignation du responsable, sa société ou lui-même se retrouve destinataire, peu de temps après, d'un second PV, cette fois pour "non désignation de conducteur (NDC)", au montant astronomique de 450 euros (ou 675 euros, s'il ne paie pas rapidement, voire 1875 euros, quand les délais lui échappent) !

Dans les entreprises, la dénonciation est désormais quasi systématique

Or, non seulement, les entreprises qui sont ainsi poursuivies sur la base de ce nouvel article L121-6 du code de la Route, règlent la plupart du temps sans sourciller ces secondes amendes salées, mais, en plus, elles se sont mises en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, compte tenu de ces mêmes poursuites et de ces niveaux d'amende, à la désignation systématique à réception des PV radars. Pour Beauvau, nul doute, c'est donc un succès.

Selon les maigres données transmises par la Sécurité routière sur le sujet, le taux de désignation est ainsi passé l'an dernier "à 78,2 % (contre 26 % en 2016)". Selon l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), dépendante également du ministère de l'Intérieur, et qui, pour faire court, gère toute la partie informatique du Centre de Rennes où transitent tous les PV de France, c'est encore mieux : pour elle, le taux de désignation a grimpé à 83 % l'an dernier ! Qui donne le bon chiffre ? Allez savoir… Le message officiel qu'on veut nous faire retenir est en tout cas le même : "ça marche !"

Pourtant, comme on l'a maintes fois rappelé Caradisiac, ces mêmes poursuites pour "NDC" ont tout l'air d'être complètement illégales. Alors, concrètement, comment ça se passe pour la minorité de concernés qui n'a pas accepté de payer ces PV pour NDC (et une minorité d'un groupe très important, cela pèse malgré tout plutôt lourd) ?

Pour les entreprises qui ont contesté les PV pour NDC, comment ça se passe ?

1 - On ne compte plus les classements sans suite dont on nous a parlé !

Tous les avocats spécialistes, qui ont été très sollicités sur le sujet, s'accordent pour le raconter : ils ne comptent plus les classements sans suite reçus par leurs clients après leurs contestations, ce qui signifie que les poursuites sont tout simplement abandonnées, que le PV qui en était à l'origine a été annulé. Caroline Tichit, l'avocate référente de Caradisiac, en a enregistré, à elle seule, des centaines.

2 - On ne compte plus les contestataires relancés ou même rejetés en toute illégalité !

Quelle que soit l'infraction routière reprochée, quand on souhaite contester un avis de contravention, cette réclamation est à adresser à l'Officier du ministère public (OMP). Et pour les suites de cette contestation, ce dernier a alors trois options :

  • L'OMP peut décider de classer sans suite le PV, ce qui veut dire qu'il abandonne les poursuites (voir notre point 1).
  • L'OMP peur rejeter la contestation. Attention, légalement, il ne peut le faire que pour des questions de pur formalisme, comme le non-respect des délais. À réception d'un avis de contravention, on a en effet 45 jours pour envoyer sa réclamation. Passé ce délai, celle-ci devient irrecevable. On peut alors, si on le souhaite, disposer d'une seconde chance pour contester, une fois l'amende majorée réceptionnée. Mais on court le risque d'avoir ses points de permis (s'il y en a en jeu) retirés, et d'être condamné à une plus grosse amende au tribunal en cas d'échec.
  • L'OMP peut décider de porter l'affaire au tribunal. À moins d'être jugé selon une procédure simplifiée (via une ordonnance pénale par exemple), le contestataire sera cité à comparaître devant la juridiction compétente pour s'expliquer de sa contestation. Face à lui, l'OMP, représentant du ministère public comme son nom l'indique, défendra les intérêts de l'État, et ce sera au juge de trancher.

En l'occurrence, à la suite des contestations des PV pour NDC, on ne compte plus les exemples qui nous sont remontés pour lesquels les OMP les ont rejetées sans aucune raison valable. "La présente infraction étant constituée, je vous informe que je ne peux donner une suite favorable à une requête", dixit ces lettres de refus. Or, rappelle Maître Tichit, "les OMP ne sont pas juges, ils n'ont aucunement les compétences pour déclarer que telle ou telle infraction est constituée ! Cette manière de faire est clairement illégale, et la France s'est d'ailleurs déjà fait condamner par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) par le passé pour des faits similaires".

Il arrive aussi de manière très fréquente que, sans les rejeter clairement, les OMP s'autorisent à la suite de contestations à écrire aux entreprises - ou à leurs représentants - pour leur soumettre des propositions, qui si elles étaient acceptées mettent de fait un terme aux réclamations… "Ce qui est là encore très limite, s'énerve Me Tichit. Le but de ces missives, c'est de presser les patrons à payer ou dénoncer les conducteurs fautifs. Et pour finir, c'est bien de faire échec à ces contestations, afin que les dossiers ne parviennent jamais devant la justice !"

Dans un cas comme dans l'autre, il ne faut pas hésiter à insister. "Ne vous laissez pas faire, implore Caroline Tichit, ce n'est pas normal : vous réécrivez à l'OMP - toujours en recommandé avec accusé de réception pour en garder une trace - et vous renouvelez votre demande de classement sans suite du procès-verbal, ou à défaut, et en application de l'article 530-1 du code de procédure pénale, ainsi que de l’article 6 de la CEDH, d'être entendu par le tribunal compétent pour pouvoir présenter votre défense".

3 - Une grosse majorité de relaxes au tribunal quand les dossiers sont cités

Comme Caradisiac l'a maintes fois répété, les raisons de nullité des PV pour NDC ne manquent pas. Ce sont très souvent les entreprises - et donc les personnes morales - qui sont poursuivies alors que l'article L121-6 du code de la Route ne vise que leurs représentants légaux. Les amendes forfaitaires de 675 euros (minorées à 450 euros, quand elles sont payées rapidement, ou majorées à 1 875 euros quand elles le sont hors délais) n'existent tout simplement pas. Le L121-6 prévoit quant à lui une amende forfaitaire de 135 euros (minorée à 90 euros et majorée à 375 euros). Les agents du Centre Automatisé de Constatation des Infractions Routières (CACIR), qui dressent ces PV pour NDC, ne sont absolument pas habilités à constater ce type d'infraction de manière ainsi automatisée depuis le Centre de Rennes. Etc.

Les procédures ne tiennent - juridiquement parlant - tellement pas la route que, bien défendus, les dossiers s'écroulent le plus souvent au tribunal. À l'occasion de l'une de ses premières relaxes obtenues devant le tribunal de Police de Paris, en décembre 2017, Caroline Tichit s'est même payé le luxe de faire condamner l'État à régler 450 euros à son client, en guise de réparation pour le préjudice subi. Du quasi jamais vu dans le contentieux routier ! Depuis, bien d'autres relaxes dans le cadre de ces affaires pour NDC ont largement été médiatisées, comme ce fut le cas cet été de ce patron à Metz, raconté par L'Est républicain.

Attention, la bataille n'est toutefois pas gagnée d'avance, et il est parfois nécessaire de faire appel avant d'avoir gain de cause. C'est ce qui vient d'arriver à un gérant d'une SARL, condamné à 500 euros d'amende en première instance en début d'année. Défendu par l'avocat Sébastien Dufour, il a été relaxé le 20 septembre devant la Cour d'Appel d'Angers.

4 - Peu d'audiences… de nombreuses prescriptions à envisager !

À croire que les OMP préfèrent éviter que la justice ne jette un œil aux procédures. Même si le rythme des citations semble s'être accéléré en cette rentrée, sur la masse de contestations portées à notre connaissance, les dossiers envoyés devant les tribunaux de Police pour être jugés se font, semble-t-il, au compte-gouttes. À n’en pas douter, de nombreuses prescriptions vont tomber. "Certains OMP l'ont d'ailleurs d'ores et déjà officialisé auprès de certains de mes clients", nous confirme Me Tichit.

5 - La Cour de Cassation bloque toutes les QPC

Cela fait déjà six Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC), dont quatre vraiment nouvelles, que la Cour de Cassation refuse de transmettre à la censure du Conseil constitutionnel. Pour l'heure, il y en a encore une dans le circuit, mais vu le sort réservé aux six premières, ça paraît d'ores et déjà mal barré.

À chaque fois - pour les six déjà retoquées -, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a considéré que les Questions ne présentaient pas de "caractère sérieux", car ce nouvel article L121-6 du code la Route "assure un juste équilibre" entre les nécessités de la lutte contre l’insécurité routière et le respect des droits de la défense, comme du droit de ne pas s'auto-incriminer ou autres droits et libertés garantis par la Constitution…

Pour rappel, avant qu'une QPC ne soit transmise au Conseil Constitutionnel, le seul à pouvoir juger de la constitutionnalité d'une disposition législative, et le cas échéant l'abroger, il faut que cette QPC soit jugée recevable non seulement par le juge de l'instance (de 1er ou 2e degré) devant lequel elle est déposée - et pour cela il faut donc qu'une affaire portant sur un PV pour NDC soit audiencée, ce qui n'est pas si fréquent, comme nous l'avons raconté plus haut (voir notre point 3) ! -, mais aussi par la Cour de Cassation ou le Conseil d'État selon qu'il s'agit d'une affaire judiciaire ou administrative. Or, pour l'avoir par nous-mêmes observé, les avocats, à l'origine de ces QPC, ont rencontré les pires difficultés à les déposer. Et, une fois parvenus, ce sont les magistrats de la Cour de Cassation qui leur ont refusé l'accès au juge constitutionnel, pour des prétextes le plus souvent sans véritable teneur juridique. Ce qui est pour le moins troublant.

Deux d'entre eux, Matthieu Lesage et Caroline Tichit, nous ont confié songer à saisir la CEDH devant ces obstacles qu'ils jugent disproportionnés. En attendant, tous les regards sont tournés sur cette septième QPC, déposée le 26 juin dernier devant le Tribunal de Police de Châteauroux. Le verdict de la Cour de Cassation est attendu pour ce mois d'octobre… On sera donc vite fixé !

Cliquez sur le lien suivant pour retrouver tous nos articles sur le sujet des PV pour NDC.

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