Route de nuit - Les mystères de l’Est
On a des voitures du Bloc de l’Est une image désastreuse, et pourtant, les ingénieurs n’y manquaient pas d’idées ! Des prototypes très avancés y ont été développés, en voici quelques-uns, qui auraient mérité une autre destinée…
Même si, actuellement, les Lada dérivant de la Fiat 124 deviennent très recherchées, du temps de leur « splendeur », elles étaient souvent méprisées en Occident. Si ces productions made in USSR étaient compétitives lors de leur apparition en 1970, elles n’ont que peu évolué, sombrant rapidement dans l’archaïsme technique, n’ayant que leur prix et une certaine forme de robustesse à mettre en avant une décennie plus tard. Un défaut affectant à plus forte raison les Moskvitch, des créations russes importées au compte-goutte en France sur une courte période, mais aussi les Polski-Fiat (devenues FSO), des dérivés de Fiat 125 fabriquées en Pologne. Mais dans ces pays, contrairement à ce que l’on pourrait croire, on a utilisé beaucoup de jus de cerveau pour contrebalancer des budgets de développement dérisoires.
Une R5 avant l’heure…
Par exemple chez FSO, qui a produit la Syrena 100 – 105, des années 50 à 80, une petite tricorps à moteur 2-temps vite devenue insupportable. A tel point qu’en 1964, les ingénieurs lui imaginent une descendante ultramoderne, dont un prototype est finalisé en 1966. Et là, c’est la surprise. Il s’agit d’une bicorps à traction avant et nantie d’un hayon arrière. Le moteur demeure un 3-cylindres 2-temps, mais la suspension à ressorts hélicoïdaux est entièrement indépendante. En gros, voici une auto comparable dans ses grandes lignes à la Renault 5, six avant son apparition !
Malheureusement, sa conception coûte trop cher aux yeux du gouvernement polonais qui préférera produire sous licence la très classique Fiat 125, dotée du moteur culbuté de sa devancière et non du double-arbre Lampredi.
FSO ne s’avoue pas vaincu. En 1981, il se lance ambitieusement dans la conception d’une compacte moderne. Traction là encore, 5 portes, carrosserie profilée, sérieuse étude contre les chocs… Cela donne la Wars, exposée en 1986. Du gabarit d’une VW Golf I, elle mélange dans son style des airs d’Opel Kadett et de Talbot Horizon. Sous son capot, elle reçoit des moteurs transversaux spécifiques, de 1,3 l à 1,6 l, en essence et en diesel. Là encore, les moyens manquent totalement pour la produire, mais si l’argent avait abondé, l’extrême lourdeur de l’administration communiste aurait repoussé la mise en production au mieux au début des années 90. Du reste, l’URSS produisait déjà la Lada Samara : le géant soviétique ne devait pas apprécier outre-mesure l’initiative de son satellite polonais… La Wars est restée lettre morte.
Un avant-goût de Twingo
Toujours en Pologne, FSM construit depuis 1973 la minuscule 126 de Fiat, qui a dans ce pays une forte influence. A partir de 1979, ce constructeur local sous-traite totalement la production de ce modèle pour le géant italien : la délocalisation, tant décriée à l’heure actuelle, ne date pas d’hier ! Seulement, dès 1980, FSM commence à étudier une remplaçante à la 126, et là encore, l’innovation est de mise. On réfléchit énormément au rapport encombrement/habitabilité et à l’aérodynamique. Cela débouche en 1983 sur le prototype FSM 106 Beskid, une petite monocorps très spacieuse au Cx de 0,29. En quelque sorte, une Twingo avant l’heure !
Techniquement, cette traction récupère la mécanique de la Fiat 126, en la plaçant à l’avant, mais, là encore, le manque de moyens empêchera la finalisation de la Beskid. Puis, à partir de 1991, FSM produira la Fiat Cinquecento, nettement plus moderne techniquement mais au look tellement plan-plan… 6 prototypes existent encore, et ont été exposés au musée d’ingénierie urbaine de Cracovie.
Au même moment, en URSS, deux ingénieurs développent une voiture de sport. Dénommée Laura, elle se signale par une carrosserie aérodynamique plutôt en avance sur son temps. On ne sait pas grand-chose de cet engin dévoilé en 1982 et capable de 170 km/h, si ce n’est que son moteur a été assemblé à la main par ses créateurs, et que le Secrétaire Général du Parti Communiste, un certain Mikhail Gorbatchev, l’a beaucoup appréciée. Mais pas au point de financer sa mise en production, l’URSS étant alors exsangue, piégée par les USA dans la course à l’armement.
Toujours au début des années 80, décidément prolifiques, un ingénieur autodidacte, Alexander Kulygin, développe sa propre voiture, la Pangolina. Techniquement, elle n’a rien d’original : c’est une Lada 1200. En revanche, le design est très intéressant : l’avant rappelle celui de la Lamborghini Countach, tandis que la silhouette générale est plutôt celle d’un break de chasse. Plutôt séduisante pour l’époque ! La voiture aura un certain retentissement dans le pays, puisqu’elle figurera dans un magazine puis dans un film de science-fiction. Mais elle n’aura malheureusement pas de suite… Transformée en targa, la Pangolina existe toujours.
La R16 qui venait du froid
Au-delà de ces initiatives personnelles, les autorités soviétiques ont, elles aussi, autorisé l’étude de projets intéressant dans les années 60. Elles comptaient en leurs rangs des passionnés d’automobile, dont Leonid Brejnev lui-même ! En 1965, il n’est pas encore décidé que la Zhiguli (la Lada 1200) motorisera les masses populaires, et la firme russe Izh planche sur une auto très avancée. Les ingénieurs, très impressionnés par la Renault 16, lancent la conception d’une traction à 5 portes, l’Izh 13. Le prototype roule en 1968, près de deux ans avant que la Lada n’entre en production. Malheureusement, il pose de gros soucis de mise au point (notamment parce que l’URSS ne produit pas les joints cardans adéquats) et ne sera jamais produit. Néanmoins, Izh fabriquera une version à hayon de la Moskvitch 412, puis, dans les années 80, une traction à 5 portes sortira effectivement esthétiquement calquée sur la Simca 1307 : l’ineffable et épouvantable Aleko.
Chemin défriché pour Dacia
On aurait tort de réduire l’automobile des Pays de l’Est soit à l’image qu’elles ont eue à l’Ouest. Compte-tenu de l’incroyable inertie des autorités communistes, du manque flagrant de finances et de sous-traitants, voire d’une gestion humaine parfaitement inquiétante, les ingénieurs ont manifesté des trésors d’intelligence pour produire des voitures originales. L’absence d’argent est souvent source d’une incroyable créativité ! Certaines de leurs créations ont connu un grand succès, y compris à l’Ouest. Comme la Lada Niva, l’ancêtre des SUV compacts, voire la Lada Samara et la Skoda Favorit, pourtant sorties avec bien des années de retard. Elles ont montré qu’il y avait un marché pour des autos simples, pratiques, possiblement solides (certes, il fallait être un peu bricoleur pour utiliser les Lada et Skoda sans crainte) et pas chères. Un marché que Dacia, une autre marque de l’Est, a envahi avec une immense réussite.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération