Vaillant gnan-gnan bang-bang !
La nouvelle collection Légendes de Michel Vaillant revisite les courses les plus mythiques de la compétition automobile. L’opus numéro deux, L’âme des pilotes, de cette nouvelle collection nous propulse au cœur du GP de Monaco 1971 et balade le lecteur entre réalité historique et fiction. Un détour sur le rocher un brin… tortueux.
19 mai 1971, à l'aube des essais du Grand Prix de Monaco. Les Vaillantes ne partent pas gagnantes, plombées par des problèmes de moteur qui ont valu à Michel un accident sur le circuit du Jarama, en Espagne. Un accident qui le hante encore...
Pendant ce temps, à Marseille, un mystérieux Américain blessé cherche à sauver sa peau. Michel Vaillant l'ignore, mais ce drame aura bientôt une incidence sur son week-end de Grand Prix...
Le pitch tient la route. La dramaturgie du bon polar mécanique, boosté à l’effluve d’essence et de gomme brûlée, sent bon la régalade. De l’haletant quoi ! C’est donc avec avidité que le lecteur gourmand ouvre la BD pour un pur moment d’adrénaline.
Et là, patatras. En guise de folie mécanique nous voilà au château de la Jonquière (Le Moulinsart des Vaillant) en pleine scène familiale au cœur d’un salon à large bibliothèque avec fauteuils moelleux et papa fumant sa pipe. Le moment de circonspections passé -ne serais-je pas en train de lire un Maigret ? – avançons donc un peu.
Monaco apparaît enfin. Une dizaine de cases comme autant de mises en bouche. Quand Michel Vaillant se fait alpaguer dans le hall de l’hôtel Hermitage par une journaliste écrivaine. Tiens, elle n’était pas dans le pitch. Mais bon, avec ses tenues Pucci et Yves Saint Laurent période Mondrian, ça apporte un supplément de couleur dans le décor. Mais au fait, il est où l’américain blessé ? Pas loin. À Marseille exactement ! Et juste quelques cases après dans la BD. Là, les choses sérieuses commencent. Le type se révèle être un… (bip) que Steve Warson… (bip bip) du coup l’équipe Vaillante… (bip bip bip) alors Michel Vaillant… (bip bip bip bip). C’est agaçant ces bips, mais pas question de spoiler l’intrigue.
Pourtant, à cet instant, commencent les sorties de route au propre comme au figuré. Ça démarre par un dialogue par l’absurde. Steve Warson, dit à son passager, à moins que ce soit une injonction au lecteur pour lui signaler qu’il va se passer quelque chose, « Ceinture, accrochez-vous ». Euh mec, il n’y a pas de ceinture dans ta Vaillante Commando. Ça se voit sur le dessin ! Puis ça continue. Une voiture lancée à toute berzingue se crashe du haut d’une corniche. La caisse ressemble à une compression de l’artiste César. Le conducteur lui, s’en sort indemne. Un miracle ! La récente venue du pape à Marseille y est peut-être pour quelque chose, mais question crédibilité ça se pose là. Et puis il y a Francine qui vient interviewer Michel Vaillant pour Paris-Match.
Le pilote lui parle trajectoire, numéro d’équilibriste, de dosage de gagne… Pas une goutte d’émotion, pas une anecdote souvenir, par un brin de sentiment, ce n’est plus un pilote qui parle, mais un cyborg (heureusement que la journaliste ne s’appelle pas Sarah Connor sinon on ne donnait pas cher de sa peau). À ce stade de la lecture, on pourrait penser qu’il n'y a rien à sauver dans cette BD. Erreur !
Toute la partie course, sur et autour de la piste, des essais au final, vaut son pesant de cacahuètes. Les détails historiques sont d’une infime précision. Les trottoirs proéminents en bord de piste apparaissent comme autant d’obstacles rédhibitoires pour les voitures. Les voies de dégagement inexistantes, les spectateurs au ras des pots d’échappement, ou encore les mécaniciens réparant les voitures à même la piste sans que la course ne soit interrompue, retranscrivent parfaitement ce qu’était un GP de F1 dans les années 70. Pour l’ambiance circuit, bravo ! Même le tour de qualif de Steve Warson, aussi improbable soit-il (vive la fiction bien ficelée), mérite un coup de chapeau. Les clins d’œil historiques ne manquent pas de sel. Comme l’apparition de Roman Polanski aux côtés de Jackie Stewart. Le cinéaste était effectivement venu en 1971 sur le circuit de Monaco pour suivre pas à pas le pilote écossais et réaliser le documentaire « Week-end of Champion ».
Lors de la cérémonie de remise du trophée, les représentations de la princesse Grace, du prince Rainier, de Caroline de Monaco et du vainqueur sont d’une criante vérité. Bon, au final dans la BD Henri Pescarolo, seul Français à finir la course cette année-là, perd une place au classement. D'autres aussi d'ailleurs. Steve, ce n’est pas sympa ! La grande réussite tient au bel enchevêtrement entre fiction et réalité historique. Du joli tricotage dont ne devrait jamais trop s’écarter Michel Vaillant au risque de faire plus de mailles à l’envers qu’à l’endroit. Avant de refermer L’âme des pilotes, posez-vous la question : où est Jean ? En hommage à Jean Graton, dont on fête le centenaire, le père de Michel Vaillant accompagné de son épouse s’est immiscé dans la BD. À vous de le retrouver.
Michel Vaillant Légendes, tome 2, L’âme des pilotes, par Lapière et Dutreuil, éd Graton, 16.50 €.
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