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Carburants : la piste allemande

L'Allemagne vient de briser le consensus européen sur un marché automobile à 100 % électrique en 2035. Elle veut laisser la voie ouverte au moteur thermique fonctionnant aux carburants de synthèse zéro carbone.

Carburants : la piste allemande

Suis-je germanophobe ? Concernant l’automobile, je crains que oui.

Depuis plus de trente ans que je fais ce métier, tout ce que je déplore dans l’évolution de nos voitures, vient d’Allemagne, des modes et des diktats imposés par son industrie archi dominante sur le vieux continent.
Citez-moi une seule voiture allemande qui ait fait avancer le Schmilblick, inventé un nouveau concept, révolutionné le genre ? La Golf de 1974 ? Objectivement, elle n’est qu’une Peugeot 104 (1972) qui a réussi.

Carburants : la piste allemande
Carburants : la piste allemande

Contrairement à son confrère anglais (Mini, Lotus 7, Range Rover) ou français (2CV, DS, R16, Espace), l’ingénieur allemand n’est pas un révolutionnaire, plutôt un perfectionniste et un technophile. Il nous aura donné l’ABS et l’ESP, la transmission Quattro et le W16, des portes qui font klonk et pas bloing et du plastique moussé à tous les étages.

Le marché lui a donné raison et le standard de la voiture allemande et de sa deutsche qualität s’est imposé partout, hélas en figeant l’évolution automobile dans le sens du toujours plus. On lui doit nos voitures toujours plus grandes, silencieuses, sophistiquées, bien finies, lourdes et puissantes mais jamais moins gourmandes.

C’est d’ailleurs un constructeur allemand qui a réussi à torpiller le moteur le plus sobre, le diesel, en préférant améliorer ses performances plutôt que d’assumer sa dépollution, quitte à tricher et à mentir à la terre entière. Le scandale du VW gate n’a pas seulement tué le moteur à allumage spontané, il a définitivement décrédibilisé la parole des constructeurs au profit de l’idéologie auto-phobe.

Les clés du marché aux constructeurs chinois.

 

Mais quand le chancelier allemand met son veto à la prohibition du moteur thermique, je ne peux que lui donner raison.

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Certes l’électrique est la meilleure solution pour décarboner l’automobile, certes, elle doit devenir largement majoritaire dans les ventes et encore plus dans les kilomètres parcourus, mais l’objectif de vendre d’ici douze ans 10 ou 12 millions de voitures électriques par an en Europe n’est pas réaliste. Ou plutôt, ni supportable ni durable pour employer les termes consacrés.

En supposant que l’on dispose de matières premières en quantité suffisantes et tarifs abordables - ce qui n’est pas garanti vu les besoins de l’industrie chinoise de batteries et son quasi-monopole de la mine à la fabrication de cellules - cela implique aussi que leur extraction et leur raffinage ne soient pas un désastre environnemental en termes d’émission de CO2 et de pollution des eaux. Arguments rebattus, je sais, mais hélas pertinents…
Il faudrait aussi que l’Europe produise suffisamment de batteries pour ne pas dépendre des producteurs chinois, japonais et coréens.
Plus simplement et trivialement, imposer 100 % de ventes électrique pourrait revenir à donner les clés du marché automobile européen aux constructeurs chinois qui ont deux longueurs d’avance sur le sujet.
Déjà MG, qui n’est pas le plus puissant d’entre eux, parvient avec une poignée de concessionnaires, une gamme réduite et peu de publicité, à s’y tailler une bonne part avec des modèles 20 à 30 % moins chers que leurs concurrentes françaises ou allemandes.

Enfin, il y a les conséquences sociales : en Allemagne comme en France ou en Espagne et en Europe de l’Est, l’automobile est la principale industrie pourvoyeuse d’emplois. Déjà 5 000 sont promis à disparaître, en Allemagne et en Espagne, par la seule branche européenne de Ford qui justifie ces coupes sombres par le moindre besoin de main-d’œuvre de la voiture électrique.

Panique sur le kilowatt

Carburants : la piste allemande

Je ne suis pas dupe, je sais bien qu’au-delà du désir de sauvegarder ses constructeurs et leur réputation de grands motoristes, l'Allemagne a un gros souci avec sa production d’électricité.
Même si elle nous en vendait cet hiver, c’est l’impasse à moyen et long terme. Le nucléaire auquel elle a renoncé après Fukushima a été remplacé par des centrales à charbon et à gaz. Le premier est incompatible avec l’objectif de neutralité carbone, et donc avec l’incontournable soutien politique des Verts. Quant au second, il venait pour l’essentiel de Russie. Reste l’éolien et le solaire dont l’Allemagne réalise un peu tard qu’ils ne suffiront jamais à alimenter le réseau.
D’où une certaine panique à l’idée de devoir, à terme, recharger les batteries d’un parc de 50 millions de voitures électrique en plus d’alimenter l’industrie et les logements qu’il faudra bien décarboner également.
D’où également le joker du carburant zéro carbone.

L’essence de synthèse, une goutte dans la citerne

Cette essence de synthèse, Porsche en produit déjà de façon expérimentale à partir de CO2 et d’hydrogène et nous en promet des centaines des centaines de millions de litres d’ici cinq ans. Las, cela ne représentera qu’une goutte dans la citerne des besoins européens, de quoi faire vrombir les bolides d’une clientèle aisée, mais guère plus. Car cette goutte sera également hors de prix.

C’est que la production d’hydrogène indispensable à la fabrication de cette essence requiert beaucoup… d’électricité, précisément 58 kWh pour un seul kilo, de quoi recharger la batterie d’une électrique pour 300 à 400 km… Et l’assemblage de cet hydrogène avec le carbone du CO2 encore une énergie considérable.

Carburants : la piste allemande

Reste que l'Allemagne a raison sur un point : en 2035, sur les 250 millions d’autos thermiques du parc européen actuel, il en restera au minimum 100 ou 120 millions dont il faudra bien, et pour un certain temps encore, faire le plein. Autant qu’il soit fait avec des carburants les moins émetteurs de C02 possible. Si l’on vise vraiment la neutralité carbone en 2050, ce point est aussi crucial que l’électrification du parc.
L’essence de synthèse ou plutôt son hydrogène, le même que celui des piles à combustible, étant une magnifique impasse énergétique, on n’y parviendra pas sans le recours aux bio-carburants, la moins sale des solutions s’il s’agit de se passer de pétrole, émettant 50 à 70 % de CO2 en moins d’un expert à l’autre.
Et c’est là que pour une fois, la France a une carte à jouer et son mot à dire dans la grande marche de l’automobile.
Chez nous, ces agro-carburants occupent environ 1 % de la surface agricole utile pour 4 à 5 % de la consommation d’essence, ce qui laisse une certaine marge de développement sans mettre en péril nos assiettes. Surtout quand on sait que l’alimentation animale (viande, lait, œufs) monopolise à elle seule 70 % de nos terres arables.
Ensuite, il y a l’éthanol et le diester de demain, ceux de la fameuse filière ligno-cellulosique, que l’on commence déjà à produire à partir de déchets agricoles et forestiers et ceux d’après-demain qui seront issus d’ordures ménagères, plastiques comme matières organiques. L’agriculture, la forêt, les ordures (mille tonnes disponibles à Paris) sont des domaines dans lesquels nous ne sommes pas trop mal placés…
Bref, je ne comprends pas bien l’opposition résolue de notre ministre de l’Économie au revirement allemand et sa défense acharnée de l’objectif 100 % électrique. Que je sache, nos centrales nucléaires ne sont pas au mieux de leur forme, notre filière de l’atome, trop longtemps laissée en friche, guère plus vaillante et le financement de nos projets de méga-usine de batteries semble résistible. Alors pourquoi vouloir à tout prix mettre tous nos œufs dans le panier de la seule voiture électrique ? Bruno Lemaire sait -il que ce panier sera sans doute percé et les œufs probablement made in China ?

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