DESIGN by BELLU : que reste-t-il de l’exception française ?
Difficile de s’enthousiasmer en regardant défiler les voitures françaises d’aujourd’hui. Elles rivalisent de banalité cherchant à gommer leur identité au profit d’un style international désespérément lissé. Que s’est-il donc passé depuis le temps béni où les studios français voyaient naître les dessins les plus personnels de la planète ?
On attendait avec impatience, mais sans réelle illusion, de découvrir les produits miracles sur lesquels doit reposer le futur de Renault. Les nostalgiques n’ont pas été déçus. Lors du lancement du programme Ampère dédié aux véhicules électriques, le 15 novembre dernier, Luca De Meo a présenté un programme qui repose sur les interprétations modernes de trois modèles phares de l’histoire de la marque : les Renault 4, 5 et Twingo.
La démarche est inédite. Dans la plupart des cas, de la Volkswagen Beetle à la Ford Mustang, les modèles jouant sur une esthétique néo-classique restaient marginaux. Le contexte était différent pour BMW qui fonda la renaissance de Mini sur un retour aux sources et pour Fiat dont la 500 constituait l’arme ultime de sa survie.
Directeur général de Renault S.A. et président de Renault S.A.S. depuis juillet 2020, Luca De Meo a été l’un des artisans du développement de la Fiat 500 alors qu’il siégeait au directoire de Fiat SpA, entre janvier 2002 et avril 2009. Il impose chez Renault la même démarche, mais l’étend pour soutenir la démocratisation de la motorisation électrique.
La nouvelle Renault 5 dévoilée en 2021 et la Twingo annoncée en novembre dernier sont incontestablement séduisantes, restituant l’espièglerie de leurs ancêtres. On ne peut pas en dire autant de la vision moderne de la R4 qui prend la forme d’un SUV massif et dominateur. Aux antipodes de la frugalité défendue en son temps par la Renault 4 originale…
Le marché des SUV, justement, ce n’est pas le domaine de prédilection de Renault. Apparemment, le genre n’inspire pas du tout les designers du losange. Le client se perd dans une déclinaison de modèles sans âme et sans saveur, rivalisant de banalité : Arkana, Austral, Espace, Rafale… Des tailles variables mais des profils uniformément anonymes. Le comble pour la nouvelle Espace qui a l’impudence de reprendre le patronyme d’un modèle qui fut en 1984 l’un des emblèmes de l’audace à la française. Même usurpation d’identité pour la Scénic E-Tech qui ne mérite pas de porter le nom de la brillante édition de 2016. Dans ce catalogue, on ne perçoit pas le rôle joué par l’excellent Gilles Vidal, débauché de chez Peugeot il y a trois ans.
Justement, chez Peugeot, qu’en est-il de la défense de l’identité ? Comment se place le style de la marque par rapport à ceux de Citroën et de DS. C’est là que se situe le problème : les trois labels français de Stellantis se fondent dans une monochromie navrante, dans une monotonie consternante. En dehors des faces avant, rien ne permet de caractériser l’une ou l’autre marque ni dans les proportions, ni dans les volumes ou dans le traitement des surfaces.
Chez Peugeot, le mot d’ordre est devenu la banalisation à tout prix : la berline 408 et la e-3008 renoncent à toute identification trop marquée quand on les regarde de profil et que l’on ne voit pas les rayures lumineuses verticales encadrant la face avant. Tandis que les séduisantes 208 et 308 finissent leur carrière, alors que la 508 reste indéfectiblement la plus belle et la plus élégante berline française, chaque nouveauté gomme désormais les traces de ses devancières. Pas un trait ne dépasse. Peut-on espérer un rebondissement qui ressemblerait au concept car Inception ?
L’évolution de la gamme Citroën inspire le même désarroi. Perchées sur une garde au sol systématiquement et inutilement surélevée, les berlines les plus récentes, ë-C4, ë-C4 X ou C5 X sont façonnées dans un moule passe-partout, dépossédées de toute trace de l’ADN du double-chevron. Et les déceptions continuent : la nouvelle ë-C3 rodée en Inde et au Brésil fera sûrement regretter la charmante C3 née en 2016. Quant à la Oli, encore à l’état de projet, elle joue délibérément sur un physique ingrat et rébarbatif en se référant sans doute au radicalisme qui avait réussi à la 2 CV…
DS Automobiles a perdu la fraîcheur de ses origines quand la première DS 3 qui était capable de damer le pion à la Mini et quand la DS 5, authentique chef-d’œuvre de design, était la seule héritière légitime de la DS 19. Les SUV actuels dans le catalogue DS Automobiles n’ont plus rien d’iconoclaste ; sans parler de l’insipide DS 9 qui couronne la gamme dans l’indifférence générale.
Des appréciations sévères ; peut-être. Mais tout au long de son histoire, l’automobile française avait balancé entre deux tentations, élégance et intelligence. Cette distinction était ancrée dans la culture française depuis les années 1920 quand deux tendances divisaient les créateurs : un conformisme chargé de rappels historiques et une modernité tournée vers un futur que l’on pressentait nourri de sciences et de techniques.
Les deux tendances ont longtemps irrigué les arts-appliqués en France. Cette bipolarisation a été longtemps respectée par les deux marques réunies sous le label de PSA. À Citroën, l’initiative des solutions d’avant-garde, à Peugeot, la défense d’un classicisme de bon aloi.
On est aujourd’hui loin de cette belle intention. Il ne reste rien de cette ambivalence dans le design automobile.
Il faut admettre que les dernières nouveautés présentées par les constructeurs français ne déclenchent aucune émotion, ne justifient aucune admiration sur le plan du design. Pourtant, une multitude de talents sont présents dans les studios de création. Il est temps qu’un design innovant reprenne la main sur un marketing frustrant.
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