Haut de gamme automobile français, le passage au tout électrique va-t-il changer la donne ?
DOSSIER – Lorsque l’on parle haut de gamme français, on parle rarement d’automobiles. Parce que la France est à la traîne de l’Allemagne sur ce plan. L’Allemagne grâce aux marques Audi, BMW, Mercedes et Porsche occupe une bonne partie du marché du haut de gamme européen. Pour lutter face aux marques germaniques, les marques françaises souffrent d’un manque de motorisations nobles. Le passage au tout électrique en 2035 pourrait-il modifier cet état de fait ?

Commençons par un peu d’histoire. Avant-guerre, l’automobile française était présente dans le haut de gamme. On peut citer les marques Bugatti, Delage, Delahaye, Hispano-Suiza, Hotchkiss qui produisaient de belles automobiles de luxe. À cette époque, Renault disposait encore de huit cylindres en ligne, Peugeot équipait sa 601 d’un bloc six cylindres en ligne, Citroën faisait de même avec sa Traction et envisageait un moteur huit cylindres en V pour sa « 22 » qui ne sera, malheureusement, jamais produite en série.
Après-guerre ça se complique pour l’automobile française qui se lance dans la production de petites autos. Seule la DS (qui dispose seulement de motorisations quatre cylindres) sort du lot par son allure originale et ses solutions techniques innovantes. En version Pallas, la Citroën DS a tout d’un haut de gamme. Mais déjà, l’Allemagne produit des voitures performantes à moteurs six et huit cylindres qui vont mettre à mal les ambitions des constructeurs français dans le secteur du luxe automobile.

L’avènement du V6 PRV
Il y aura cependant un petit sursaut avec l’apparition du V6 PRV dans les années soixante-dix (et cela jusqu’en 1998). Ce moteur (doté de carburateurs puis de l’injection et enfin d’un ou deux turbos) va équiper de nombreuses voitures françaises dont les Alpine A310, GTA et A610, la Citroën XM, mais aussi les Peugeot 504 Coupé et Cabriolet, 505, 604, 605 et 607, Renault R30, R25, Safrane, Laguna et Espace. Mais aussi il prendra place sous le capot-moteur de l’éphémère Talbot Tagora SX et des autos de la petite marque MVS Venturi. Hélas, là encore, la production allemande est trop forte et ne laisse que des miettes à toutes ces autos qui ne trouveront d’acquéreurs que sur le seul marché français.

Un trio à la production limitée
De nos jours, il y a encore trois marques automobiles haut de gamme en France : Alpine, DS Automobiles et Bugatti. Si cette dernière assemble en Alsace (berceau de la marque d’Ettore Bugatti) des autos qui valent plusieurs millions d’euros et que son siège social est également en Alsace, elle est la propriété du groupe allemand Volkswagen et du constructeur croate Rimac. Alpine, quant à elle, appartient au Groupe Renault et DS Automobiles fait partie de la galaxie Stellantis. Mais ces marques françaises ont des productions limitées qui n’ont rien à voir avec celles qu'affichent Audi, BMW, Mercedes ou Porsche.

Un cruel manque de motorisations puissantes
Pourtant au fil du temps, les productions françaises se sont approchées de celles des constructeurs allemands en ce qui concerne la présentation et la finition. Mais l’absence d’une gamme de familiales performantes ou de grandes routières s’est fait durement ressentir. Cette absence était due à un manque d’ambition mais aussi un manque de motorisations « nobles » pour les animer. Du côté des familiales, Renault a abandonné la Talisman, Peugeot va faire de même avec la 508 et Citroën peut encore compter sur sa Citroën C5 X mais pour combien de temps encore ? Et puis il faut bien reconnaître que le marché français (sur lequel les marques hexagonales vendent le plus) n’est pas vraiment porteur pour ce type d’auto, et le choix chez les constructeurs étrangers est suffisant pour la clientèle française amoureuse des grandes autos, qu’elles soient berlines, breaks ou SUV.

Une montée en gamme possible avec l’électrique ?
Pour ne pas arranger les affaires des constructeurs français, le passage au tout électrique en 2035 condamne tout investissement dans les moteurs thermiques (même s’il convient d’en fabriquer encore pour assurer un niveau de vente correct). Ce passage au tout électrique est acté pour les constructeurs français qui ambitionnent de devenir incontournables dans le secteur des voitures « zéro émission ». Il est vrai qu'avec l’électrique on envisage plus facilement de produire des voitures surpuissantes et de monter en gamme sans trop de problèmes. Mais est-ce vraiment, ce qu’ambitionnent les constructeurs français ? Car là aussi il faudra faire des investissements et se frotter à une rude concurrence.
Une concurrence toujours plus vive
En effet, parmi les marques haut de gamme électriques, en plus des constructeurs allemands qui investissent massivement, on a droit à de nouveaux acteurs tels que la marque américaine Tesla, de multiples constructeurs chinois (inconnus il y a encore quelques années), mais aussi le constructeur coréen Hyundai qui avec sa marque de luxe Genesis compte bien avoir sa part du gâteau. Il faudra aussi compter avec Alfa Romeo, Aston Martin, Honda, Jaguar, Jeep, Lancia, Land Rover, Lexus, Mazda et bien d’autres. Envisager d'investir dans le haut de gamme électrique pour les constructeurs français n'est donc pas si facile et n’est peut-être pas leur priorité. Car les marques françaises comptent plus sur la création de voitures populaires (de taille compacte) afin d’assurer un volume de production et de ventes permettant d’obtenir un rapide retour sur investissement.
De grands concept-cars pour de petites autos
Renault a présenté l’an dernier, le concept-car Renault Emblème, un « break de chasse » qui avec ses 4,80 mètres de long tendrait à prouver que le haut de gamme est encore envisagé par une marque généraliste française. En plus de donner des indications sur le style des futures autos du Losange, il dispose d’un tableau de bord très moderne avec un écran de 48 pouces que l’on devrait retrouver sur un futur SUV de la marque du segment C (compact jusqu’à 4,50 m de long). Aïe, on est loin d’un segment D (familial) voire E (grande routière) qui permettrait à la gamme Renault de s’élargir vers le haut. Peugeot avait fait comme Renault en 2023 avec le concept-car Inception de 5 mètres de long qui préfigurait les nouveautés électriques de la marque, dont les futures Peugeot E-208 et Peugeot E-2008…

Parier sur la technique pour progresser
Le tout électrique c’est pour bientôt et il faut penser à produire des voitures performantes (quand on parle performances en parle aussi d’autonomie) dotées des derniers perfectionnements de la technique en ce qui concerne les aides à la conduite, la conduite semi-autonome, voire autonome. Aujourd’hui de nombreux constructeurs envisagent de passer aux batteries solides, c’est le cas de Hyundai qui vient d’annoncer de lancer une chaîne de production expérimentale de batteries solides en mars 2025. Il faut aussi des architectures 800 volts pour réduire le plus possible les temps de recharge. Du côté des motorisations, il faut améliorer leur compacité, leur rendement et limiter le plus possible l’utilisation de terres rares. Peugeot et Renault travaillent sur tous ces sujets avec des partenaires comme ACC, Airbus, Factorial, Valeo. C'est beaucoup de travail et d'investissement qu'il faut réaliser un peu de temps. C'est pourquoi nos constructeurs généralistes nationaux vont certainement se contenter de produire ce qu'ils savent le mieux faire, c'est-à-dire des voitures de taille compacte aux performances correctes pour espérer rester dans la course.
Bilan
La course technologique et électrique que les constructeurs sont en train de vivre, donnera-t-elle l'idée aux marques généralistes françaises de créer des voitures de rêve, grandes, spacieuses, performantes afin de redonner au public le goût du haut de gamme à la française ? On peut en douter. Il faudra sans doute se contenter, pendant un long moment, des trois marques françaises (Alpine, DS Automobiles et Bugatti) qui poursuivent leur route dans le secteur du haut de gamme automobile.
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