La compacte moderne, histoire d’une cash-machine enrayée
Le type de voiture le plus vendu en Europe totalise déjà plus de 50 ans, et doit tout à Austin, Fiat, Peugeot, Simca ainsi que Volkswagen. Seulement, les constructeurs n’ont pas su le faire évoluer, préférant engranger aveuglément les bénéfices…
Dans une Europe d’après-guerre marquée par un boom économique notamment permis par le plan Marshall, la classe moyenne connaît son essor. Elle commence à acheter en masse des autos dans les années 50, d’où le succès d’engins tels que les Renault 4CV, Morris Minor, Volkswagen Coccinelle et autre Fiat 600. Le niveau de vie aidant, la culture des loisirs s’installant, elle exprime le souhait de modèles non seulement plus performants mais aussi plus polyvalents, sans qu’ils ne coûtent trop cher ni à l’achat ni à l’usage. La recette finale progressera par touches successives pendant une douzaine d'années.
La British Motor Corporation pose un jalon incomparable en 1962 avec son auto codée ADO16. Elle sera commercialisée sous les blasons Austin et Morris, et nommée d’après sa cylindrée, 1100 ou 1300. Ce modèle est, en quelque sorte, une Mini géante, avec son moteur transversal surplombant la boîte de vitesses, ses quatre roues indépendantes et sa carrosserie bicorps. Courte mais spacieuse, joliment dessinée et tenant extrêmement bien la route, elle révolutionne l’offre pour les classes intermédiaires.
Elle rencontre un grand succès, même s’il lui manque un coffre transformable via une porte de coffre incluant la lunette arrière. Cet accessoire, typique des breaks, a été introduit par Renault une petite berline (ou limousine puisqu’elle profite de trois glaces latérales), la 4L, en 1961. Cela dit, c’est en Italie qu’elle est adaptée sur une carrosserie plus grande, monocoque qui plus est. Une auto badgée non pas Fiat mais Autobianchi, apparue en 1964, étrenne cette nouvelle formule : la Primula. Fondamentale, au même titre que l’ADO16, celle-ci inaugure aussi une architecture mécanique que tous les constructeurs de tractions, ou presque, vont reprendre : le moteur transversal où la boîte n’est plus sous le vilebrequin, mais dans son prolongement.
Une solution plus fiable, simple et abordable financièrement, permise par une miniaturisation du mécanisme d’embrayage. Disponible en 3 et 5 portes, l’Autobianchi se contente pourtant d’une suspension peu évoluée, avec des ressorts à lames à l’avant et à l’arrière, où sévit un essieu rigide. Elle devait initialement être badgée Fiat, mais le géant italien a préféré pour la classe moyenne la 124 (1966), une trois-volumes archi-classique dans sa conception, donc plus facile à fabriquer car il avait en tête de la vendre aux Soviétiques : elle deviendrait la Lada 2101.
Pendant ce temps, Peugeot, en 1965, présente le modèle le plus moderne de son histoire : la 204. Visant, elle aussi, la classe moyenne, elle se pare d’une disposition mécanique calquée sur celle de l’ADO16, avec un sus un bloc en alliage doté d’un arbre à cames en tête. Surtout, elle introduit sur une traction un type de suspension relativement rare à l’époque : les jambes McPherson. Vertical, ce principe de suspension dégage beaucoup de place sous le capot, et simple, il s’avère peu onéreux, voire robuste. Mais la française demeure une trois-volumes, et sa mécanique se révèle d’une fabrication assez complexe, même si elle dispose de roues arrière indépendantes.
En 1967, la Simca 1100 frappe un grand coup. Elle est la première de la catégorie à associer la carrosserie 3-5 portes et l’architecture mécanique de la Primula à une suspension entièrement indépendante. Seulement, celle-ci conserve des barres de torsion et des bras superposés à l’avant, une solution certes efficace mais encore un peu compliqué.
En 1969, Fiat revient à la charge avec sa brillante 128 qui, elle, reprend la disposition moteur/boîte des Primula/1100 en l’associant à la suspension avant McPherson déjà vue dans la 204, de dimensions similaires. Avec son moteur très moderne, à arbre à cames en tête commandé par courroie, la 128 étonne par ses qualités routières, son habitabilité et ses performances, de sorte qu’elle est élue voiture de l’année 1970. Mais Fiat, trop conservateur, l’a privée de hayon… du moins en Italie.
En effet, le géant italien, très soucieux de développer ses positions dans le bloc communiste, conçoit pour la marque yougoslave Zastava une variante à hayon de sa 128, qui apparaît en 1971. Traction, 5 portes, arrière transformable, quatre roues indépendantes, moteur à arbre à cames en tête, boîte dans le prolongement de vilebrequin, jambes McPherson, elle profite de la formule de la compacte moderne, à peut-être un détail près : elle conserve une suspension arrière peu avancée, à ressort à lames transversal.
Le parachèvement de la formule viendra d’Allemagne. Sur la Volkswagen Golf, introduite en 1974, on découvre à l’arrière un essieu de torsion, plus simple que l’essieu Fiat/Zastava. La Golf jouira d’un succès colossal, encore renforcé par une animation de gamme remarquable : moteur puissant à injection faisant d’elle 1ère compacte sportive moderne (la GTI, en 1976) et bloc diesel efficace en 1977, lui permettant de devenir la première compacte moderne brûlant du gasoil. Elle sera aussi la première de sa catégorie à associer ce type de motorisation à un turbo (GTD, en 1982).
Efficace, simple et relativement peu onéreuse à mettre en œuvre, la formule de la compacte moderne a annihilé les autres solutions, telles que le que le moteur à plat (Alfa Romeo ou Citroën en Europe) et la propulsion (longtemps choyée par BMW). Plus fort encore, elle équipera l'écrasante majorité des autos de grande série, se voyant déclinée sur les catégories supérieures et inférieures, des segments A à E, mais aussi sur les SUV. Des dizaines de millions d’autos, aussi bien fabriquée en Europe qu’en Asie ou en Amérique, relèvent de cette architecture cinquantenaire.
Seulement, les constructeurs se sont un peu endormis sur leurs lauriers, préférant engranger des bénéfices plutôt que de continuer à innover ailleurs que sur des détails. En a découlé une uniformisation de l'offre technique, et cette banalisation qui a considérablement édulcoré l'envie d'automobile. Ainsi, ils ainsi déroulé un tapis rouge à ceux qui ont osé une rupture technologique, ceux qui ont inventé une nouvelle forme de rêve automobile, écologique celui-ci, Tesla en tête… Son SUV électrique Model Y est en tête des ventes européennes sur le 1er trimestre 2023, balayant sans vergogne une technologie très au point mais trop ancienne...
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