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Route de nuit - Ces autos au lancement raté

Dans Rétro / Saga des marques

Stéphane Schlesinger

Une voiture, ça représente souvent des milliards d’euros d’investissements. Mais il suffit parfois d’un lancement loupé pour en compromettre au moins le début de la carrière commerciale…

Route de nuit - Ces autos au lancement raté

Les constructeurs allemands jouissent souvent d’une réputation d’infaillibilité, dont on ne peut dire qu’elle se vérifie systématiquement. Par exemple, BMW, alors qu’il était propriétaire de Rover, a littéralement raté, pour ne pas dire saboté, le lancement de l’excellente 75. Par la voix de son grand patron, Bernd Pischetsrieder.

Excellente auto que la Rover 75. Mais quelles que soient ses qualités, quel modèle peut-il rencontrer le succès quand on annonce la possible disparition de son fabricant juste quand on la lance ?
Excellente auto que la Rover 75. Mais quelles que soient ses qualités, quel modèle peut-il rencontrer le succès quand on annonce la possible disparition de son fabricant juste quand on la lance ?

Lors de la présentation de la voiture, au salon de Birmingham 1998, il lance devant un parterre de journalistes « qu’au milieu d’une crise grave, Rover a besoin d’actions à court terme pour garantir sa survie à long terme ». Quel stratège !

Affolés, nombre d’employés de Rover démissionnent, et comme l’auto a été commercialisée longtemps après cet épisode malheureux (6 mois), la clientèle en déduit qu’elle a des soucis de fiabilité. Acheter une auto chère et pas solide auprès d’un constructeur dont la fin est annoncée comme imminente, voilà qui demande une certaine foi ! En réalité, la 75 a été présenté de façon anticipée pour faire un coup, et s’est révélée par la suite tout à fait solide. Mais l’annonce de Pischetsrieder a porté un coup fatal à cette auto pourtant bien née…

Les Volvo profitaient, elles aussi, d’une belle réputation. En matière de sécurité. Parfois exagérée, elle aussi. Mais de là à se planter aussi efficacement que lors du lancement de la S60, en 2010… Cette grande berline disposait d’un des premiers systèmes de freinage automatique, s’activant en cas de détection d’obstacle.

Quand un constructeur réputé pour la sécurité passive de ses voitures provoque un accident… C’est la superbe réussite de Volvo au lancement de la S60 !
Quand un constructeur réputé pour la sécurité passive de ses voitures provoque un accident… C’est la superbe réussite de Volvo au lancement de la S60 !

Une démonstration en est faite devant des journalistes. Qui foire. La voiture percute de plein fouet le camion avant lequel elle était censée s’arrêter, causant une certaine hilarité auprès de l’assistance. Apparemment, ce n’est pas tant la S60 qui a failli que l’ingénieur chargé de sa préparation : la batterie était, paraît-il, insuffisamment chargée pour que le dispositif fonctionne comme prévu. La Volvo a néanmoins connu une bonne carrière commerciale.

Autre sensation de ridicule insupportable qu’on dû éprouver de grands décideurs de l’automobile : la réaction du public quand a été dévoilée la Ford Edsel en 1957. Il faut dire que les acheteurs potentiels avaient été chauffés à blanc par l’ovale bleu, qui s’est livré à une très intense campagne de teasing. « La voiture du futur » qu’ils disaient ! C’est limite si on ne s’attendait pas à découvrir une soucoupe volante dans les concessions…

Attiser les clients pour leur proposer une auto moche et chère. C’était le pari de la Ford Edsel… Les gens ont ri. Sans toutefois bourse délier.
Attiser les clients pour leur proposer une auto moche et chère. C’était le pari de la Ford Edsel… Les gens ont ri. Sans toutefois bourse délier.

En fait d’engin révolutionnaire, on a vu débarquer une sorte de Mercury (la marque premium mais pas trop de Ford), très banale techniquement, mais décorée de façon tartignole, notamment avec une calandre évoquant un urinoir pour certains, un vagin pour d’autres. Tout ça pour ça !

L’Edsel n'était pas pire qu’une autre, pas meilleure non plus, plus laide certainement et proposée à un prix élevé. Ford avait dépensé près de 250 millions de dollars (près de 2 milliards actuels) dans son développement et son marketing. Dès 1959, face à la mévente totale de la voiture, il l’a retirée. Fermez le ban.

Ridicule toujours, du côté des pontes, lors du lancement de la Lada Granta en 2011. Le constructeur russe décide d’une opération de communication impliquant un Vladimir Poutine qui joue le rôle d’un client lambda. Le but ? Qu’il examine la voiture en concession, puis parte faire un tour avec avant de revenir en disant qu’il l’achète.

On ne peut pas dire que Poutine ait l’air spécialement réjoui au volant de cette Lada Granta. Il faut dire qu’elle a osé lui résister, en ne démarrant qu’à la sixième tentative…
On ne peut pas dire que Poutine ait l’air spécialement réjoui au volant de cette Lada Granta. Il faut dire qu’elle a osé lui résister, en ne démarrant qu’à la sixième tentative…

Poutine joue le jeu, habillé comme un Russe moyen, jauge la Granta, s’installe au volant, tourne la clé et… rien ! La voiture refuse de démarrer. Une fois. Deux fois. Trois fois… Ce n’est qu’à la sixième tentative qu’elle accepte de se réveiller. Poutine, un rien agacé, annonce : « c’est une bonne voiture. Dans l'ensemble j'ai aimé ! ». Dans l’ensemble… Néanmoins, la Granta se vendra très bien.

On ne peut pas parler de lancement raté sans évoquer celui de la Renault Wind. Bien avant qu’elle ne soit annoncée, Auto Plus en a révélé un spyshot, qui a valu une perquisition chez le journaliste responsable de la rubrique où il est apparu, ainsi qu’une interminable garde à vue, Renault ayant porté plainte. Pour espionnage industriel. Tout ça pour ensuite carrément ne pas lancer la voiture !

En effet, le constructeur l’a révélée presque en cachette au salon de Genève 2010, n’en a prévu aucun essai presse et s’est fendu d’une campagne de pub aussi low-cost que le cockpit de la Wind… Evidemment, la celle-ci a été un échec commercial ! Dommage, car elle ne manquait pas d’intérêt. Mais Renault et logique sont deux mots qui ne vont pas toujours bien ensemble.

Dans la série annonces ronflantes/résultat décevant, on ne peut pas passer sous silence une supercar badgée Jaguar. Le constructeur avait mis le feu aux passionnés argentés, révélant en 1988 un concept spectaculaire, la XJ220. 220 pour la vitesse maxi, en miles, soit 350 km/h ! Il recelait de surcroît une mécanique de rêve : un V12 central allié à une transmission intégrale.

L’ère est au bling-bling et aux supercars, les carnets de chèque s’agitent, aussi décision est-elle prise de produire la voiture fin 1989. Début 1990, le prix est annoncé : 350 000 £, hors taxes ! Néanmoins, près de 1 400 acomptes de 50 000 £ sont déposés, alors qu’il n’est prévu de produire que 350 exemplaires au maximum. Diantre, ce missile est sans équivalent !

Problème, Jaguar ne tiendra pas ses promesses. Incapable de développer la mécanique annoncée, le constructeur s’en remet au V6 biturbo, modifié, de la Metro 6R4. Et passe par pertes et profits les quatre roues motrices !

Quand on pré-vend fort cher une auto à la fiche technique alléchante, le mieux est de respecter ses promesses. Ce que n’a pas fait Jaguar avec sa XJ220…
Quand on pré-vend fort cher une auto à la fiche technique alléchante, le mieux est de respecter ses promesses. Ce que n’a pas fait Jaguar avec sa XJ220…

Aussi, quand elle sort en 1992, la XJ220 est loin de retrouver l’engouement de 1988. Evidemment, ceux qui ont pré-commandé la voiture hurlent, et poursuivent Jaguar pour ne pas avoir respecté son contrat. La crise économique qui éclate à cette époque ne les incite pas non plus à manger leur chapeau. Au total, 281 de ces XJ220 seront péniblement écoulées jusqu’en 1997.

Maintenant, évoquons un cas d’école, un modèle incarnant ce qu’il ne faut jamais faire en automobile : ouvertement montrer qu’on cible une clientèle âgée, sénior en langage marketing. C’est ce dans quoi s’est fourvoyé Lancia avec la Lybra.

Lancia a dit aux séniors : tenez, on a fait une voiture pour vous. Et de la lancer via une campagne de pub absconse mettant en scène un Harrison Ford fatigué. Ça n’a pas marché…
Lancia a dit aux séniors : tenez, on a fait une voiture pour vous. Et de la lancer via une campagne de pub absconse mettant en scène un Harrison Ford fatigué. Ça n’a pas marché…

Vous vous rappelez sa pub ? Un spot imbitable mettant en scène un Harrison Ford grisonnant qui récupère un bonsaï décrépi près d’une poubelle avant de repartir en Lybra. Improbable… L’arbre reprend vie dans la voiture, alors que fallait-il comprendre ? Qu’issue du pays de la Renaissance, cette voiture redonne vie à des êtres mis au rebut, comme les papys et les mamys ? On n’a jamais envie de passer pour cela, et la clientèle ciblée a massivement rejeté la Lancia. Comme les plus jeunes d’ailleurs.

En fait, le constructeur a raté sa communication au lancement de la Lybra, ainsi que le langage stylistique de celle-ci, qui s’est, en toute logique, mal vendue malgré ses qualités réelles. Même le nom était malheureux : il rappelait une marque de couches pour personnes incontinentes… Un gâchis total qui a accéléré la chute de Lancia.

Terminons par un lancement totalement raté, pas auprès du grand public (encore que) mais du réseau. Celui de la Fiat Stilo. L’anecdote m’a été narrée voici quelques années par un membre haut placé de Fiat France.

Je lui avais raconté la réaction aberrante rencontrée par un membre de ma famille auprès d’un concessionnaire, et il m’a expliqué l’envers du décor. Cette personne a voulu acheter, fin 2001, une Stilo Abarth. Réponse du vendeur Fiat : « on ne peut pas vous la vendre, il n’y en a plus ». Alerté, le directeur commercial, un massif moustachu vêtu d’un opulent costume à rayures, vient confirmer l’info… et le refus de vente.

Outre une ligne controversée et un prix bien plus élevé que ceux de sa devancière, la Fiat Stilo a pâti d’un lancement raté auprès de ceux qui étaient chargés de la vendre…
Outre une ligne controversée et un prix bien plus élevé que ceux de sa devancière, la Fiat Stilo a pâti d’un lancement raté auprès de ceux qui étaient chargés de la vendre…

Résultat, la voiture a été commandée dans une autre concession et livrée, certes avec beaucoup de retard et pas dans la configuration demandée. Pourquoi une attitude aussi lunaire de la part de ces vendeurs ? La Stilo a été présentée en grande pompe à Lyon aux distributeurs français. Or, ceux-ci l’ont trouvée moche et très chère, comparée au duo Bravo-Brava qu’elle remplaçait.

Surtout, quand ils sont repartis chez eux au volant de la toute nouvelle compacte italienne, ils ont pâti de nombreux bugs électroniques. Ce qui leur a apparemment ôté l’envie de faire des efforts pour vendre la Stilo de peur de crouler sous les retours en garantie (encore plus probables pour les versions dotées d’un maximum de gadgets, comme l’Abarth). Cela contribuera à la puissance de l’échec de la Stilo. Pour info, l’Abarth concernée a très bien fonctionné jusqu’à plus de 200 000 km…

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