Route de nuit - Ronds-points et autoroutes : l'art de la contestation
Bêtes noires des automobilistes, les ronds-points sont aussi les ennemis des réfractaires à l'art contemporain qui n'y voient que gabegie, facilité et provocation. Quant aux œuvres qui ornent les autoroutes, elles se heurtent parfois aux bisbilles politico-adminstratives.
La France est championne du monde dans deux domaines très éloignés du sport : son nombre de ronds points et sa capacité de contestation. Il était donc logique que ces deux spécialités se rejoignent. C'est ainsi que les quelque 40 000 ronds points qui ponctuent l'hexagone focalisent la détestation de ceux qui pensent qu'ils sont trop nombreux et "entravent leur liberté de circuler" (sic).
Mais ils suscitent au moins autant de rejet à cause des éléments posés en leur milieu, même et surtout, lorsqu'on les confie à de grands artistes plasticiens, tels que Bernar Venet, Alain Jaquet ou Francis Guyot.
Pour le premier, son œuvre en métal, installée au milieu d'un carrefour de Belley dans l'Ain, s'est contentée de susciter une moue collective et désabusée, en mode, "bof, tout cet argent pour un bout de fer sans intérêt" (sic). Petit rappel : l'artiste est mondialement connu. Il travaille depuis des décennies sur les grandes structures en métal et expose actuellement au Louvre-Lens.
Venet est également l'auteur de l'une des plus magnifiques sculptures d'autoroute, un immense arc qui semble faire pénétrer l'automobiliste dans une autre dimension lorsqu'il le traverse. Elle devait être implantée sur l'autoroute A6, mais, suite à de longues controverses administrativo-politiques, elle a été contrainte de s'exiler en Belgique, près de Namur. Comme le souligne Serge Bellu, "ainsi va la vie culturelle en France".
Si Bernar Venet a essuyé des tracasseries feutrées et administratives, il n'en va pas de même pour Alain Jaquet, plasticien lui aussi. Décédé en 2008, il a réalisé et installé sur un rond-point de Montpellier une sculpture hommage à Confucius.
Dès son inauguration en l'an 2000, l'œuvre, baptisée hommage à Confucius, et reprenant le symbole du système binaire du penseur chinois a fait réagir. La binarité n'est pas toujours ou on la suppose, et l'œuvre a rapidement été rebaptisée d'un nom autrement plus trivial : le rond-point de la saucisse et du donut. Depuis, et très régulièrement, il figure dans les classements des ronds points les plus moches, établis, avec force populisme, par divers médias.
Il est une autre œuvre de rond-point à figurer dans ces listes et classements du supposé pire, c'est celui dit de la "main jaune" à Châtellerault. La sculpture, monumentale, représente une main jaune tenant un œuf duquel sortent des voitures, en hommage aux ouvriers de la manufacture et des usines d'équipementiers toutes proches. Moquée, jugée hideuse, la sculpture de 24 m va finir brûlée, en 2018, après l'évacuation du rond-point occupé par des gilets jaunes.
Ces réactions, du sarcasme à la destruction, sont bien sûr liées à l'incompréhension, et au rejet, que suscite l'art contemporain, qu'il soit sur un rond-point, une autoroute ou sous la forme d'une pyramide au Louvre, ou de colonnes de Buren au Palais Royal.
Mais après tout, comme l'expliquait l'artiste Paul Mc Carthy accusé du pire pour avoir posé un plug anal - sapin de Noël au centre de la place Vendôme à Paris, qui est en quelque sorte l'un des plus ancien rond-point, la controverse et le questionnement font partie d'une œuvre. Jusqu'à un certain point en tous cas. Après avoir été giflé et avoir vu son oeuvre vandalisée, il a fini par la démonter.
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