Les radars de vitesse, les seuls à être évalués
L'ensemble de notre dossier est consacré aux estimations du nombre de vies sauvées grâce aux radars automatiques de vitesse... Uniquement ! Les radars feux rouges comme de passages à niveau sont exclus de notre enquête. Et pour cause, ils n'ont jamais fait l'objet d'aucune évaluation ! Le ministère de l'Intérieur aurait d'ailleurs beaucoup à craindre d'une étude de recherche indépendante sur le sujet (lire « ce qu'il faut retenir », à la fin de notre dossier). Mais pas dit que nos chercheurs s'y risquent...
Au total, en près de dix ans « 36 000 vies ont été épargnées grâce aux radars », assurait Frédéric Péchenard, du temps où il était encore délégué interministériel à la Sécurité routière entre le printemps 2012 et la fin 2013. Un bilan que l'ancien patron de la police nationale, aujourd'hui conseiller UMP de Paris, avait eu l'occasion d'évoquer à maintes reprises au cours de cette période. Nul doute : il ne s'agissait donc aucunement d'un lapsus, mais bien de chiffres officiellement claironnés par les statisticiens du ministère de l'Intérieur.
Trois ans plus tôt, ces derniers parlaient pourtant de 11 000 morts évités - « seulement » - grâce aux automates. C'est en tout cas ce que l'on pouvait comprendre d'une plaquette publicitaire concoctée à l'époque par les responsables de la Sécurité routière, intitulée : « Les radars sauvent des vies, la preuve » ! Sans en apporter vraiment la preuve, toutefois...
Depuis 2003, tout un tas d'autres estimations, très différentes les unes des autres, ont également été avancées par tout un tas d'autres responsables de la Sécurité routière. Et il est arrivé aussi que les mêmes protagonistes annoncent des chiffres tout à fait différents. Selon sans doute l'humeur du moment... Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur entre juin 2009 et février 2011, en fut certainement l'exemple le plus spectaculaire. Fin 2010, lors des discussions parlementaires sur le projet de loi sur la Loppsi (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure), il déclare ainsi que c'est « 16 000 vies qui ont été épargnées » depuis 2002... Mais deux mois plus tard, il est carrément passé à 23 000, toujours depuis 2002 !
Des chercheurs se sont également astreints à établir un bilan aux radars. En l'occurrence, on a eu droit assez récemment à deux études dites scientifiques. Pas de bol là aussi : les deux démonstrations aboutissent à deux appréciations complètement divergentes ! Du moins, en apparence...
D'un côté, l'évaluation du système des radars automatiques français de Laurent Carnis et Etienne Blais de novembre 2012 fait état de 15 193 tués économisés entre 2003 et 2010. Une analyse passée relativement inaperçue et publiée uniquement en anglais, ceci expliquant très certainement cela. De l'autre, il y a eu la publication fin 2013 dans une collection de l'INSEE* de deux chercheurs du CREST*, Sébastien Roux et Philippe Zamora. Leur analyse a pour le coup été particulièrement suivie par les médias. Et pour cause : elle estime le bénéfice des radars a à peine 800 décès de gagnés entre 2003 et 2011 ! Ah, c'est toujours ça de pris, c'est certain, mais par rapport aux plus de 36 000 vies sauvées que nous assènent nos autorités, le bilan paraît tout de même des plus ternes !
Pour mieux comprendre la situation dans laquelle on se trouve, voici un récapitulatif, pas forcément exhaustif, des nombreuses évaluations entendues sur le sujet :
Qui et quand ? |
Leur nombre de vies sauvées |
Soit sur 10 ans ? |
Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, en décembre 2010 | 16 000 | 17 777 |
Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, en février 2011 | 23 000 | 25 555 |
La Sécurité routière, en mars 2011 | 11 000 | 12 222 |
Jean-Jacques Debacq, ancien directeur de l'Antai*, en septembre 2011 | 3 500 par an | 35 000 |
Sylvain Lassarre, chercheur, en septembre 2011 | 2 000 par an | 20 000 |
Laurent Carnis et Etienne Blais, chercheurs, en novembre 2012 | 15 193** | 21 704*** |
La Sécurité routière, en novembre 2012 | 23 000 | 25 555 |
Frédéric Péchenard, délégué interministériel à la Sécurité routière, à maintes reprises entre les fins 2012 et 2013 | 36 000 | 36 000 |
Sébastien Roux et Philippe Zamora, chercheurs, en novembre 2013 | 740 | 925 |
*Agence nationale de traitement automatisé des infractions.
** avec une fouchette allant de 8 230 à 22 157.
*** soit avec une fourchette entre 11 757 et 31 652.
Nous mentirait-on ? Pour ce qui est de la méthode de calcul employée pour arriver aux 36 000 morts évités, il est clair en tout cas que la formule relève du grand n'importe quoi. Pour le reste, les apparences sont parfois trompeuses. Mais commençons déjà par le commencement, en essayant de comprendre ce qu'est cette notion de « morts évités » ou « épargnés », cette notion de « vies sauvées ».
La suite avec la page « Bien comprendre la notion de "morts évités" ».
*Centre de Recherche en Economie et Statistique, dépendant du Groupe des Ecoles Nationales d'Economie et Statistique (GENES) de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE).
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