Nous sommes dans le hall d'entrée depuis quelques minutes, la porte menant à la salle de montage s'ouvre, face à nous, elles sont 3. Trois Zonda R en cours de montage, près de 5 millions d'euros alignés à portée de main. Elles ne cachent rien de leur anatomie intime, c'est avec les tripes à l'air et leurs chirurgiens s'affairant autour que nous faisons connaissance avec le summum de la production Pagani. Comme entrée en matière c'est fort et il me faut quelques secondes pour que ma bouche se referme, que mes paupières se détendent et qu'enfin je retrouve un regard un peu plus intelligent.
Si les Zonda d’Horacio Pagani s'affichent sur les murs des chambres d'adolescents et peuplent les garages des riches esthètes, elles sont aussi l’aboutissement d’un rêve, celui d’un petit argentin de Buenos Aires qui, à 12 ans, construisaient déjà des supercars miniatures en bois ou en résine. Ces maquettes sont exposées dans une vitrine du hall d’entrée de l’usine située à San Cesario sul Panaro avec quelques autres objets, dont une étonnante F3 Pagani-Renault, témoins d’une ascension motivée par la passion de l’automobile et le souci de perfection.
Horacio est un fanatique de compétition automobile depuis son plus jeune âge et fort logiquement son idole est le "local" Juan Manuel Fangio, 5 fois champion du monde de F1 dans les années 50. Naturellement, alors qu’il n’a que 20 ans, Horacio va se consacrer à la construction d'un châssis de F3 qu’il engagera en compétition. Les innovations techniques font mouche et les résultats obtenus séduisent Renault qui motorise alors ses monoplaces. C'est dans le cadre de ces compétitions qu'il va enfin rencontrer son idole de toujours et l’amitié qui nait va bouleverser sa vie.
Juan Manuel Fangio incite Horacio à partir en Italie et Pagani atterrit à Modène dans le milieu des années 80. Dans ce haut-lieu de l’automobile sportive, sans parler italien, il va rentrer chez Lamborghini où son ascension sera rapide. Il devient un spécialiste des matériaux composites et pousse pour l’utilisation de la fibre de carbone. Mais le cours du fleuve Lamborghini est chaotique et en 1988, il choisit de tracer sa propre voie en créant Pagani Composite Research. L’affaire est florissante, il collabore avec de nombreux constructeurs mais sous le visage sérieux de l’entrepreneur, l’enfant de 12 ans est toujours là. En parallèle à ses activités, il se lance dès 1988 dans le Projet C8 qui n’est rien d’autre que la matérialisation de son rêve de gamin. Le premier prototype entre en soufflerie en 1992, Fangio, toujours lui, introduit ensuite le jeune créateur au sein des sphères dirigeantes de Mercedes d’où il repartira avec un accord de partenariat moteur qui dure encore aujourd'hui. Malheureusement, Fangio s’éteint en 1995 et il ne verra jamais l'aboutissement du projet dont il fut l’inspirateur. Horacio rebaptise alors sa Fangio F1 du nom d’un vent des Andes : Zonda.
Depuis 1999, les 50 personnes qui constituent l’entreprise Pagani ont lâché dans la nature 110 voitures. Le rêve du petit gars de Buenos Aires est réalité.
La Zonda C12 a tout de suite frappé les consciences par l’extraordinaire qualité de sa fabrication, son châssis carbone et par son design intérieur audacieux. Pour l’anecdote, la n°6, voiture personnelle d’Horacio sera la toute première supercar dont le châssis mais aussi la carrosserie seront en carbone. L’appui de Mercedes pour la mécanique, l’expertise de Pagani dans les composites, la richesse du bassin de compétences de la région de Modène et la cohérence du concept technique font connaître le succès à une entreprise artisanale qui a vu bien des rivaux, souvent plus bruyants, plus voyants, se planter profondément. La réputation de la marque est désormais bien établie et aujourd’hui, dans la salle d’assemblage, j'ai du mal à détacher mon regard des 3 Zonda R en construction. Pourtant dans la salle arrière, 2 Cinque sont également en fabrication, une brute de carbone, l'autre orange.
Pagani ne construit pas ses autos de A à Z dans les locaux exigus de San Cesario et il fait réaliser de nombreuses pièces par des entreprises de la région, habituées à travailler avec d’autres marques prestigieuses. Le moteur arrive directement des établissements AMG en Allemagne alors que Pagani produit ce qu’il sait faire le mieux, à savoir les coques et les éléments en carbone. 2 fours autoclaves capables d’avaler en une seule bouchée un capot moteur ou une proue entière attendent que les « petites mains » de l’atelier Composites terminent leur travail. Ici, pas de robots, seulement des ouvriers qualifiés qui découpent les tressages de carbone au cutter, qui plaquent méticuleusement le tissu sur un master avant d’envelopper l’objet d’une robe de plastique sommaire qui permettra de faire le vide avant le passage au four. Avant ça, la baignoire de carbone sur laquelle se grefferont dans quelques semaines tous les composants d’une Cinque est pour l’instant bien incapable de supporter la moindre contrainte physique.
Le rythme de fabrication permet aux employés de contrôler de façon précise chaque élément. Toutes les Zonda possèdent leur classeur de fabrication dans lequel sont répertoriés tous les numéros de série de toutes les pièces qui constituent l’auto et chaque intervenant signe ce registre, ce qui permet d’avoir un historique précis de la fabrication d’un modèle qui ne peut être qu'unique car toujours réalisé selon les désirs du client.
Chez Pagani, le statut d'artisan n'empêche pas la créativité, la recherche. Ainsi, l’entreprise a développé une nouvelle fibre baptisée Carbon-Titanium qui est dorénavant utilisée pour les pièces intérieures de dernières productions. Sur la Cinque, version la plus performante et la plus aboutie des Zonda routières, ce nouveau matériau permet de gagner 50 kg sur la masse totale tout en offrant plus de rigidité. Et lorsque l’on sait que cette Cinque qui ne sera produite qu’à 10 exemplaires (5 coupés, déjà achetés par le même client et 5 roadsters) est dotée d’un V12 AMG de 678 ch et 780 Nm de couple on se dit que les 1210 kg de de ce bijou facturé 1.3 million d’euros n’auront pas de mal à se mettre en mouvement. Ensuite, le montage final est une affaire de rigueur, de patience et de méticulosité et contrairement à quelques officines aux ateliers froids et immaculés où l’image semble plus compter que le produit, ici, tout est réalisé à la main dans une atmosphère joyeuse et une ambiance que seuls les italiens savent entretenir. Ainsi, un ingénieur travaille sur le moteur (qui est un Mercedes sur la Zonda) avec un tee-shirt BMW sur le dos et un large sourire sur le visage.
Zonda vit actuellement une fin de cycle. Cette usine que nous visitons sera bientôt remplacée par une nouvelle, plus grande, à quelques hectomètres de là. Elle accueillera la nouvelle C9 qui arrivera d'ici la fin de l'année prochaine et qui est en phase finale de mise au point. Ces locaux deviendront alors le "SAV" haut de gamme de Pagani car Horacio nourrit de grandes ambitions pour sa nouvelle progéniture qui sera enfin homologuée aux USA et qui doit permettre à l'entreprise de doubler sa production annuelle pour atteindre 40 voitures par an.
Pour finir, rappelons que les Zonda réussissent la gageure d’être, avec la Ferrari Enzo, les seules supercars dont la côte grimpe en « occasion ». La rareté et la qualité font en général de bons placements. Si Zonda est la concrétisation du rêve d’un gamin de Buenos Aires, il ne faut pas perdre de vue qu’elle est aussi la réalisation d’un ingénieur-designer perfectionniste ayant plus de 30 ans d’expérience dans le domaine.
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